Ce résultat est quelque peu surprenant si on le met en regard des pratiques des familles françaises quant à leurs utilisations effectives du public et du privé pour la scolarisation de leurs enfants. Une vaste étude publiée en 1994 par les sociologues Gabriel Langouët et Alain Léger : "École publique ou école privée ? Trajectoires et réussites scolaires » (Éditions Fabert) a établi que 55% des familles n'utilisaient alors que le public pour tous leurs enfants, 5% uniquement le privé, et 40% des familles utilisaient à la fois (et successivement) le public et le privé ou le privé et le public. D'autres études ont montré depuis que ce « zapping » familial entre le public et le privé s'est encore amplifié.
Dans la dernière période, comme l’a souligné Bernard Toulemonde (ancien recteur et ex-DGESCO) « chaque année 10% à 12% des élèves de l'enseignement secondaire privé (125000 élèves environ) émigrent dans l'enseignement public, tandis que 3,5% des élèves du public (150000) font le chemin inverse » ("Et si on tuait le mammouth ? », L'Aube, 2017, p. 79). Et il a rappelé que, selon les services statistiques du ministère, « seuls 7% des élèves arrivés en classe de terminale des lycées sont des fidèles avec une scolarité « tout privé », alors que 40% sont des infidèles ayant suivi une scolarité mixte privé-public », le « tout public » étant encore de peu majoritaire ».
Dix ans avant l’étude sans appel des sociologues Gabriel Langouët et Alain Léger, on peut se douter que ces pratiques étaient déjà pour l’essentiel en œuvre et qu’elles n’ont pas été pour rien dans l’échec de la réforme tentée alors notamment par le ministre de l’Education nationale Alain Savary. Des sondages indiquent à l’époque que 67 % des Français estimaient que la liberté de l’enseignement était menacée par cette réforme, et 79 % se prononçaient pour le statu quo de l’organisation de l’enseignement public et privé.
Les taux de réponses allant dans le sens d’un statu quo en faveur du privé étaient alors bien plus élevés qu’actuellement (79%), même si ceux-ci restent forts (49 % contre la suppression des financements de l’Etat au privé . On peut noter qu’ils reviennent à l’étiage des sondages des années d’après guerre. En 1946, 23% seulement des Français se déclaraient favorables à des subventions publiques aux établissements privés ; mais en 1951, 45% d'entre eux se prononcent pour cette solution (42 % étant contre). C’est à ce moment là que la loi ‘’Marie’’ avait admis les élèves des établissements privés au bénéfice des bourses de l'État et que la loi Barangé avait octroyé une allocation trimestrielle pour chaque enfant fréquentant l'école primaire publique ou privée. L'importance historique de ces deux lois tient surtout à la reconnaissance du (nouveau) principe de subventionner les écoles privées par des fonds publics qu'elles impliquent.
Dans le contexte actuel, le plus sidérant est l’’’affaire des boursiers’’. Jusqu’à la fin de la troisième République, il n’était pas permis que les boursiers d’État puissent être accueillis dans un établissement scolaire privé car cela était considéré comme un financement public (indirect) non autorisé du privé. Actuellement , c’est ce qui est recommandé et un protocole d’accord a été signé le 17 mai où l’enseignement catholique s’engage «à doubler le taux d’élèves boursiers en cinq ans » (il est actuellement de 13 % contre 30 % dans le public). Et, non moins sidérant, cela est conditionné à des contreparties financières acceptée par le MEN car cet engagement vaudrait « dans les établissements où les familles bénéficient d’aides sociales égales à celles dont elles bénéficient quand elles scolarisent leur enfant dans un établissement public correspondant » . Le MEN s’est engagé à « sensibiliser » les collectivités territoriales « pour ouvrir aux élèves des établissements d’enseignement privé les mesures sociales dont bénéficient les élèves des établissements publics dès lors qu’ils concourent à la mixité sociale ».
Alors qu’il apparaît que selon le sondage réalisé à la mi-mai de cette année par Cluster 17 l’ ‘’opinion’’ est actuellement à nouveau foncièrement partagée sur la question du financement public d’établissements scolaires privés, le protocole d’accord qui vient d’être signé entre le ministère de l’Education nationale et l’enseignement catholique va dans le sens de son renforcement... Dans une direction à contresens ?