Il n’en fallait pas plus pour qu’il soit particulièrement pris à partie par le pamphlétaire d’extrême droite Edouard Drumond : « Parmi les meneurs de l’œuvre de destruction entreprise contre tout ce qui rappelle la Patrie d’autrefois, une place à part doit être réservée au Juif allemand Michel Bréal. Celui-ci se chargea de poursuivre la vieille France dans ses belles-lettres, dans ses humanités, humaniores litterae, qui rendent l’homme plus humain, plus civilisé. Il fut l’instrument de ce besoin qu’a le Juif de tout abaisser, de tout niveler dont nous avons parlé si souvent dans ce livre. Grâce aux méthodes pédagogiques allemandes, que Michel Bréal fit adopter en France, les pauvres cervelles de nos enfants, brouillées par mille notions confuses, devinrent incapables d’aucun effort sérieux. Le niveau des études classiques baissa rapidement et les candidats au baccalauréat en arrivèrent à ne plus savoir l’orthographe. Les facultés sont unanimes dans leurs rapports à se plaindre de cette lamentable décadence » (« La France juive », 1886, Marpon et Flammarion, page 441).
Il faut dire que ce type de position et de rhétorique est quasi inhérent au monde de l’extrême droite (cf. la tribune parue sur Mediapart le 20 juin dernier : « ultra-sécuritaire, ultra-autoritaire, ultra-identitaire) .
Michel Bréal, en s’en prenant au patrimoine considéré comme devant être intangible de l’orthographe française , péchait à l’évidence contre ‘’l’identitaire’’.
Et cela était non moins évident pour ce qui concerne le domaine ’’disciplinaire’’ . Dès 1882, Michel Bréal a fait part de ses réflexions dans ses « Excursions pédagogiques » à propos de la discipline dans les lycées (qui avaient été créés par Napoléon, avec une discipline toute militaire et dans une atmosphère de couvent).« C’est toujours ce régime à la fois monacal et militaire, ces longues heures d’immobilité et de silence, ces mouvements réglés et uniformes, ces marches en file, ces punitions pour la moindre infraction, cette habitude systématique de donner toujours tort à l’enfant » (Michel Bréal, « Excursions pédagogiques, Hachette, p. 322).
Mais, pour Michel Bréal, la République, au contraire de l’Ancien régime qui formait des fidèles pour l’Eglise et des sujets disciplinés pour le roi ou l’Empire (militaire), se doit en principe de « développer l’initiative de l’enfant : l’objet de l’éducation est de rendre par degrés les maîtres inutiles, la liberté est le but vers lequel on doit conduire l’élève par des transitions sagement ménagées. Or on en est resté à un système qui ne laisse à l’écolier - quel que soit son âge, quelle que soit la confiance que par son caractère et sa conduite il ait méritée - ni la répartition de son temps, ni le droit de s’isoler, ni l’emploi de ses heures de loisir, ni rien de ce qui constitue la liberté et la responsabilité » (Ibid, p. 307)
Thèmes et clivages récurrents…
Quelques mots pour finir (puisque on va être en pleine période olympique) quant à son initiative ‘’marathonienne’’.
Michel Bréal a participé personnellement au Comité olympique de 1894 pour des Jeux sportifs et a suggéré alors à Pierre de Coubertin d’organiser une « course de Marathon au Pnyx » qui aurait une « saveur antique », offrant même une coupe d’argent à qui renouvellerait l’exploit du soldat légendaire venu apporter en 490 avant J.-C. la nouvelle de la victoire du général Miltiade sur les envahisseurs. La course fut réalisée dès les premiers Jeux de 1896, durant lesquels 19 concurrents disputèrent une course de 40 km, remportée par un berger grec. Neuf ans plus tard, Michel Bréal renouvela son offre de décerner personnellement une coupe en argent au vainqueur. Durant toutes ces années, il ne cessa de s’intéresser à l’olympisme naissant, espérant vainement pouvoir l’associer à la promotion de l’art et de la poésie sur le modèle antique.