Il y a eu quasi unanimité de la critique lors de l’attribution de la Palme d’or. Il risque de ne pas en être de même pour le public à partir du 24 septembre et de l’accès en salle, comme on pourra le constater ici même en raison des réactions contrastées des uns et des autres. Le débat est d’ores et déjà lancé.
Selon Véronique Bouzou, qui enseigne depuis de nombreuses années le français dans des collèges de banlieue réputés ‘’difficiles’’ et qui vient d’écrire un livre-charge ( " L’Ecole dans les griffes du septième art ; une Palme d’or scandaleuse " ), " le film ne va faire que conforter une immense majorité de personnes dans leur opinion, à savoir que les élèves de banlieue sont indisciplinés, irrespectueux envers leur professeur, violents entre eux et presque totalement incultes, à la limite de la débilité profonde…Quant à l’image que donne de lui le professeur, elle est purement désastreuse. A travers lui, c’est tout le discrédit de l’enseignement qui est véhiculé. La plupart verront en lui un incompétent en matière d’autorité, totalement dépassé par ses élèves et incapable de faire cours dans le calme et la dignité ".
Et elle conclut : " Je crois profondément, après avoir vu le film, que la Palme d’or fait le jeu de l’extrême droite. En effet, ‘’Entre les murs’’ jette le discrédit sur l’école publique en montrant des professeurs névrosés et des élèves issus de l’immigration, crétins. Indirectement, le film laisse sous-entendre qu’il faudrait privatiser l’école ".
On sera peut-être surpris, mais le pédagogue bien connu Philippe Meirieu lui fait dans une certaine mesure écho dans une interview au " Café pédagogique " datant du 15 septembre : " En réalité, le film n’est jamais véritablement ‘’entre les murs’’ de l’école. Ici, il n’y a pas véritablement d’’’Ecole’’, de celle que qu’on doit ’’faire’’, parce que, justement, elle n’existe pas spontanément. On vit dans quelque chose qui ressemble à une école, où il y a des personnages qu’on trouve habituellement dans les écoles, avec des rituels qui sont ceux de l’école… mais sans véritable ‘’Ecole’’. Jamais on n’est mis en face d’une situation d’apprentissage vraiment construite, avec des contenus exigeants, des consignes claires, des activités précisément encadrées. Ce qu’on nous montre comme matrice pédagogique, c’est un vague cours magistral dialogué où, en l’absence de structuration pédagogique, de lest intellectuel, d’enjeux culturels, le professeur est contraint de jouer avec la séduction, la pression, la sanction […] Il faut absolument refuser que ce film soit interprété par les uns comme un acte de foi dans une pédagogie compassionnelle qui se suffirait à elle-même et, par les autres, comme la dénonciation implicite d’une démission éducative orchestrée par quelques pédagogues irresponsables […] Les pédagogues ont encore du travail… " En effet !
J’ai pu voir le film – entre autres opportunités - dans l’une des trois séances de projection destinées à la presse qui a eu lieu le 20 août salle Pathé rue Lamennais, où l’on nous a distribué de surcroît un petit livret ‘’explicatif’’ ( un long entretien avec Laurent Cantet et François Bégaudeau ). Trois des passages de ce livret indiquent clairement comment ils situent leur film.
Laurent Cantet : " De plus en plus de gens parlent de ‘’sanctuariser’’ l’école. Je voulais au contraire la montrer comme une caisse de résonance, un lieu traversé par les turbulences du monde, un microcosme où se jouent très concrètement les questions d’égalité ou d’inégalité des chances, de travail et de pouvoir, d’intégration culturelle et sociale, d’exclusion ". Laurent Cantet ( bis ) : " Le film ne cherche ni à ménager les uns, ni à charger les autres : ils ont tous leurs faiblesses et leurs fulgurances, leurs mouvements de grâce et de mesquinerie. Chacun fait preuve alternativement de clairvoyance, ou d’aveuglement, de compréhension ou d’injustice ". François Begaudeau : " Dans le présent de chaque scène, il y a tant d’énergie au travail que tout le monde est sauvé. Mais le mouvement du scénario fait qu’on s’achemine jusqu’à la rupture, l’impossibilité, la catastrophe ".
Ce n’est pas pour eux un film à thèse et à réponses mais un film à questions, sans héros positifs ou négatifs.
Pour ma part, j’avoue avoir été ‘’pris’’ par ce film ( et à plusieurs reprises, circonstance aggravante ! ) parce qu’il me semble, comme le dit très bien dans " l’Express " Daniel Pennac ( ancien cancre, puis professeur et écrivain, l’auteur de " Chagrin d’école " ) : " Tout cela dit la violence intrinsèque à la nécessité d’apprendre et à l’obligation d’instruire. La difficulté du métier de professeur tient à ce choc perpétuel entre l’ignorance qui veut s’ignorer et le savoir toujours perçu comme venant d’ailleurs. Très violent, ici, le choc, entre ces murs, très ! L’art d’enseigner consiste sans doute à transformer cette violence en désir ".
Reste une question, plus troublante qu’elle ne paraît être à première vue : comment expliquer la très grande qualité du jeu des acteurs-élèves ( qui est à l’évidence pour beaucoup dans le succès du film ) ?
Auraient-ils été tout spécialement sélectionnés ( à l’instar de ces castings d’adolescents où l’on prélève quelques ‘’pépites’’ parmi des centaines de postulants) ? Pas du tout ! Des ateliers avaient été ouverts, chaque mercredi après-midi, à tous les élèves de quatrième et troisième du collège Françoise Dolto qui le désiraient. Sont venus, en comptant même ceux qui ne sont passés qu’une seule fois, une cinquantaine d’élèves. Et la quasi totalité de ceux qui forment la classe du film sont ceux qui se sont accrochés toute l’année ( 25 sur 50 en tout ).
Mais, dira-t-on, cette facilité déconcertante à ‘’bien jouer’’ vient de ce qu’ils ne sont pas à proprement parler des acteurs ( de ‘’composition’’ ) : ils sont ‘’naturels’’ parce qu’ils ‘’jouent’’ ce qu’ils sont, leur vie.
Et bien non ! La plupart des personnages adolescents présents dans le film sont des compositions. Par exemple, le personnage de Souleymane ( très important dans le film ) est joué par Frank, un garçon très posé et très doux à l’opposé de son personnage. Les auteurs du film ont été surpris de voir jusqu’où pouvaient aller les très grandes capacités d’improvisation de leurs ‘’acteurs-élèves’’. Laurent Cantet : " Un jour, j’ai demandé à Carl d’être très remonté contre le prof, et il nous a proposé une scène d’une violence inouïe. Quelques secondes plus tard, je lui ai suggéré une autre situation : il arrive d’un autre collège dont il s’est fait virer, il veut passer pour un gentil garçon. Instantanément, il a composé un personnage mesuré, intimidé par François, le professeur. La scène est d’ailleurs dans le film ".
Et les deux auteurs du film soulignent que, parallèlement à cette aisance dans l’improvisation, leurs ‘’acteurs-élèves’’ étaient capables – lorsqu’une scène était trouvée – de la refaire avec un naturel et une précision de jeu incroyables.
Et François Begaudeau de conclure : " L’école est une incitation permanente au jeu de rôle, à la dissimulation, à la triche. Les mauvais élèves ont souvent ce talent-là, parce qu’ils doivent compenser leurs difficultés par la tchatche, par la mauvaise foi, par l’invention ".
In fine, serait-ce cela la ‘’vérité’’ et le ‘’secret’’ de ce film ? Et est-ce ‘’dangereux’’ ?