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Billet de blog 24 février 2016

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Le bizutage: un phénomène très ''classe''!

Dans une interview à « Libération », la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem vient de rappeler à l'ordre : « Il n'existe pas de bizutage bon enfant». En effet ! Et pourtant cela perdure ici ou là, en dépit d'une certaine prise de conscience il y a une vingtaine d'années, et des mesures prises à l'initiative de Ségolène Royal.

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Après quelques affaires de bizutage qui défrayent alors la chronique, un Comité national contre le bizutage se met en place durant l’été 1997 et lance une campagne pour obtenir son interdiction. Ce Comité rassemble dix-sept organisations très diverses. On y retrouve notamment le SNES-FSU, le SE-UNSA, mais aussi le SNALC, une quasi union sacrée syndicale ; les associations de parents d’élèves FCPE et PEEP ; la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature, sans oublier l’ADUA ( l’Association de défense des usagers de l’administration ) qui met depuis 1989 en bonne place parmi ses objectifs la lutte contre ce type de violences.

Dans le projet de loi contre la délinquance sexuelle présenté au Conseil des ministres le 3 septembre 1997, un article introduit une nouvelle qualification pénale et des sanctions renforcées contre certaines formes de bizutage. Ségolène Royal, qui avait déjà déposé sans succès une proposition de loi en ce sens en décembre 1993, parvient ainsi à ses fins dans ce contexte et dans ses nouvelles fonctions de ministre déléguée à l’enseignement scolaire, approuvée par le porte-parole du Comité national contre le bizutage à l’issue de la table-ronde qu’elle a organisée avec lui le 9 septembre.

Le texte prévoit que « le fait pour un élève ou un étudiant d’imposer à un autre élève ou étudiant - en exerçant des pressions de toute nature - des actes, des attitudes ou des comportements contraires à la dignité de la personne humaine est puni de six mois d’emprisonnement et de 50000 francs d’amende », et cela pour tous les « actes humiliants ou dégradants ». L’article 225-16-2 double ces peines lorsqu’ils affectent une personne fragile physiquement et mentalement. Enfin l’article 225-16-3 évoque la responsabilité des personnes morales : il vise les structures scolaires et universitaires qui se refuseraient à prendre des mesures répressives contre le bizutage et les mouvements associatifs qui participent à ces pratiques.

Ségolène Royal s’est montrée très engagée dans ce combat. « On sera sans faiblesse, affirme-t-ellele 11 septembre 1997. Je crois que tant qu’il n’y aura pas d’élève sanctionné, rien ne changera. Tout ce qui est contrainte physique ou mentale doit être éradiqué ». Et elle n’hésite pas à mettre publiquement en cause des professeurs ayant facilité des actes de bizutage. Ils l’attaquent en diffamation, mais en vain..

Il s'avère que c'est un combat à mener, mais difficile et toujours à reprendre si l'on juge par la persistance du phénomène, surtout en certains lieux (même si cela peut être sous des formes plus ou moins nouvelles et/ou ''discrètes'').

Selon Emmanuel Davidenkoff, cette violence tenace du bizutage s’explique par l’existence même des filières très sélectives et de l’enjeu qu’elles représentent pour les jeunes qui y accèdent ( et qui ne veulent pas perdre, en tentant de se soustraire au bizutage, ce qu’ils sont prêts à tenir). « Le bizutage est l’une des expressions de la violence de notre système éducatif, de la course au ‘’bon diplôme’’ […]. La réussite scolaire est un enjeu vital. Ceux qui sont concernés par le bizutage sont sur le point de toucher au but, de décrocher une peau d’âne qui les mettra à l’abri jusqu’à la retraite » ( « Le bizutage ou la faillite d'une certaine idée de l'école républicaine », in « Les Cahiers de la sécurité intérieure", n°15, 1994).

Le philosophe Bernard Defrance considère, lui, en dernière analyse, que « cette violence-là est en chacun de nous. Parce qu’il n’y a pas, d’un côté les violents, et de l’autre les non-violents. Si nous étions placés dans ces situations où, non seulement nous pourrions être assurés de l’impunité, mais où ces déchaînements trouveraient une pseudo-justification liée aux ‘’traditions’’, sommes-nous sûrs que nous pourrions résister aux pressions collectives ? […]. D’où vient la violence des ‘’bons élèves’’ dans le bizutage ? De mécanismes anthropologiques extrêmement archaïques : on peut reconnaître là ce que dit René Girard sur la violence sacrificielle » ( « Panoramiques », n°6, 1992).

Mais ce n'est pas une raison pour rester les bras ballants, bien au contraire : les autorités concernées ont, au contraire, toutes leurs responsabilités à prendre.

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