Cela a été réclamé lors de l’examen du projet de loi sur la refondation de l’Ecole à l’Assemblée nationale. En vain. Mais cela a déjà été décidé en 1968, en vain également.
Barbara Pompili ( co-présidente du groupe écologique à l’Assemblée nationale ) a déposé un amendement en vue de «sortir complètement du système de notation dans l’enseignement primaire en accompagnant les équipes pédagogiques pour les former à d’autres systèmes d’évaluation positive de la progressivité des élèves».
Le rapporteur du projet de loi, Yves Durand (PS), a fait valoir aux écologistes qu’un «tel bouleversement» en si peu de temps alors que la Finlande par exemple a mis dix ans à le réaliser pourrait «provoquer des blocages qui rendraient cette évolution intéressante impossible». Et le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon a souligné qu’une partie du texte en débat à l’Assemblée disait déjà des «choses importantes» sur le fait notamment que «les modalités de la notation doivent évoluer pour éviter une notation sanction», pour «privilégier une évaluation qui valorise les progrès des élèves» et qui soit «compréhensible pour les familles». L’amendement n’a pas été retenu.
En mars 1968 ( on le sait, cf mon billet précédent ) s’est tenu à Amiens un colloque des plus surprenants avec la participation de la fine fleur des hauts fonctionnaires de l’éducation nationale et des chercheurs en éducation.
Le rapport final indique « les grandes lignes d’une rénovation pédagogique », et stigmatise en particulier « les excès de l’individualisme qui doivent être supprimés en renonçant au principe du classement des élèves, en développant les travaux de groupe, en essayant de substituer à la note traditionnelle une appréciation qualitative et une indication de niveau ( lettres A,B,C,D,E ) ». Il est affirmé qu’il faudrait « individualiser les rythmes de progression » et que le contenu des enseignements devrait « être fixé par cycles et non plus par année scolaire » .
Les événements de mai 68 ont sans aucun doute précipité le mouvement et certaines prises de décision. Le nouveau ministre de l’Education nationale - Edgar Faure - fait aboutir les réformes qui étaient prêtes ou prêtes à être acceptées dans une certaine mesure , en particulier la suppression des compositions, des classements et des remises de prix ; et le remplacement de la notation de 0 à 20 par une notation de A à E dans le primaire et aussi le secondaire.
Les enseignants, dans leur ensemble, se sont montrés très partagés sur les évolutions, leur ampleur et leur rapidité. Nombre de réformes se sont heurtées à de sérieuses résistances, en particulier celle de la notation ( notamment dans l’enseignement secondaire ). Dès juillet 1971, une circulaire ministérielle en tient partiellement compte en autorisant le retour à la notation sur 20 dans les classes d’examen. On connaît la suite.
Dans le secondaire, le SGEN ( le syndicat enseignant qui s’était le plus engagé pour des évolutions éducatives et pédagogiques ) a perdu nettement des voix, tandis que le syndicat le plus conservateur ( le SNALC ) en a gagné – lui - très nettement aussi. Le mouvement réformateur, et tout particulièrement « la rénovation pédagogique », va être désormais plus ou moins clairement assimilé à la gauche ( voire au ‘’gauchisme’’) et à l’héritage ( revendiqué ou critiqué ) de mai 68. La ‘’mémoire’’ va l’emporter durablement sur l’ ’’histoire’’.
Et cela d’autant plus facilement que le souci de remise en ordre, en particulier à partir du moment où Georges Pompidou devient président de la République, va rapidement - et finalement -dominer dans la politique scolaire gouvernementale de droite.
En définitive, on ne saurait sans doute trop prêter attention à la conclusion de l’article de l’historien Antoine Prost paru dans le numéro de mai 2008 des « Cahiers pédagogiques» consacré à Mai 68 : « Par-delà les succès immédiats initiaux, mai 68 a fragilisé le mouvement réformateur. D’abord parce qu’il encourage la radicalisation de ses partisans comme de ses adversaires. Les premiers critiquent les partisans d’une pédagogie démocratique possible, débusquent dans l’Éducation nationale un appareil idéologique d’État et plaident pour une pédagogie non directive ou une « société sans école ». Les seconds dénoncent une subversion qui menace la société même. La réforme pédagogique devient un enjeu directement politique[…]. Radicalisation, politisation et division surchargent ainsi le débat. Avant 1968, la réforme pédagogique n’avait pas que des partisans, mais le clivage traversait et la droite et la gauche. Il était possible d’en discuter, non sans passion, mais de façon relativement pragmatique, en se référant à des données d’expérience. Après 1968, la discussion change de plan. C’est un affrontement bloc contre bloc, avec des arguments de principe où la réalité des classes ne pèse guère. Il n’est pas sûr que les élèves en aient tiré profit ».