C’est ce par quoi elle a commencé son intervention lors de la passation de pouvoir lundi dernier :« En entrant dans ce ministère, je pense à mon arrière-grand-mère, à ma grand-mère, à ma belle-mère, à ma tante, à ma soeur qui furent toutes institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège ; je pense à cette lignée de ‘’hussardes de la République’’ ». Il fallait oser dans ce sens et ce style ; et cela promet pour la suite.
L’expression « hussards noirs de la République » a connu toute une fortune historique qui ne se dément pas (et qui mérite d’être interrogée). Elle a été lancée par l’écrivain Charles Péguy en 1913, à un moment et dans un sens précis qu’on ne devrait pas oublier : dans une période de vives tensions nationalistes et militaires en Europe, prélude au conflit de 14-18. Et elle était fondée sur l’uniforme que portait les normaliens au début de la troisième République (les instituteurs n’ayant jamais porté d’uniforme, et a fortiori les institutrices).
« ‘’Vive la nation’’, on sentait qu’ils l’eussent crié jusque sous le sabre prussien. Car l’ennemi, c’était les Prussiens. Ce n’était déjà pas si bête. Ni si éloigné de la vérité. C’était en 1880. C’est en 1913. Trente-trois ans après. Et nous y sommes revenus. Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs [...] Un long pantalon noir. Une longue redingote noire, bien droite, bien tombante, mais deux croisements de palmes violettes aux revers. Une casquette plate, noire » (Extraits de la contribution de Chartes Péguy au 6° "Cahiers de la quinzaine" de la 14° série, du 16 février 1913)
Cette expression globalisante « hussards noirs de la République » fait d’autant plus problème que cela fait longtemps que les femmes sont plus nombreuses dans l’enseignement que les hommes. En 1880, elles sont déjà majoritaires : 54 %, dans l’enseignement primaire (public et privé). Dès 1930, les deux tiers des enseignant(e)s du primaire sont des femmes. Elles atteignent l’étiage des trois-quarts en 1970.
A vrai dire - même chez les républicains- nombreux sont ceux qui pensent que s’occuper de l’éducation et de l’instruction des enfants est plutôt un métier de femme (célibataire si possible). En premier lieu, Jules Ferry lui-même qui n’hésite pas à en faire part publiquement lors du Congrès pédagogique des instituteurs et des institutrices de France du 19 avril 1881 : « Je suis profondément convaincu, quant à moi, de la supériorité naturelle de la femme en matière d’enseignement. Il y a certes des pères qui sont capables de montrer la tendresse, le dévouement, la délicatesse d’une mère.. Mais enfin la loi générale, c’est que le sentiment maternel est le plus profond ressort de l’éducation ».
Si possible une enseignante célibataire que se dévoue pleinement en tant que « mère » (« symbolique ») des enfants des autres., comme le dit là encore Jules Ferry : « l’institutrice qui reste fille trouve dans l’éducation des enfants d’autrui la satisfaction de ce sentiment maternel, de ce grand instinct de sacrifice que toute femme porte en elle ».
Le « sacrifice » : tout est dit!. Aussi bien pour les enseignantes que pour les enseignants ( « hussards noirs de la République ») .
Mais on peut aussi penser que c’est se payer de mots, ou plutôt les payer de mots. C’était déjà le cas lorsqu'en 1913 l'écrivain Charles Péguy a lancé l'expression « hussards noirs de la République » qui allait faire florès pour désigner les enseignants du primaire. Les instituteurs en France gagnaient - déjà- deux fois moins que leurs homologues d'Allemagne. Comme l'a souligné le grand historien anglais Théodore Zeldin dans son livre sur « Les Passions françaises », « en 1914, les instituteurs d'Alsace-Lorraine [alors sous souveraineté allemande] recevaient un salaire deux fois plus élevé que celui de leurs collègues français et, dans une enquête internationale, les enseignants du primaire en France furent classés comme les plus mal payés d'Europe, venant à la vingt-cinquième place, à égalité avec ceux du Monténégro »
l vaut mieux pour eux (et pour ‘’l’attractivité du métier d’enseignant’’ qui est en vive souffrance persistante depuis des années) de les appeler par leur nom : ‘’professeure(s)’’ et de les traiter en conséquence pour ce qu’ils sont : des professionnels cadres supérieurs (alors qu’ils sont traités avec le traitement de cadres intermédiaires et parfois contraints dans l’exercice de leur métier à être plus ou moins ravalés au niveau d’exécutants). C’est sans doute plus difficile à décider et à faire que de pratiquer l’escalade emblématique chère aux communicants. Mais c’est le prix effectif à payer , en réalité incontournable, si l’on veut avoir les professeurs qu’il faut auprès de nos jeunes. Cela débute bien mal, ‘’A la hussarde’’.