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Billet de blog 27 mars 2008

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La Gifle !

L’épilogue judiciaire du professeur de Berlaimont poursuivi pour avoir frappé un élève qui l’avait traité de "connard" devait avoir lieu aujourd’hui. Mais il a refusé avant-hier la procédure du ‘’plaider coupable’’ afin que son affaire soit jugée en pleine lumière. Un choix qui n’est pas sans risque personnel, compte tenu d’une jurisprudence complexe et plutôt incertaine.

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L’épilogue judiciaire du professeur de Berlaimont poursuivi pour avoir frappé un élève qui l’avait traité de "connard" devait avoir lieu aujourd’hui. Mais il a refusé avant-hier la procédure du ‘’plaider coupable’’ afin que son affaire soit jugée en pleine lumière. Un choix qui n’est pas sans risque personnel, compte tenu d’une jurisprudence complexe et plutôt incertaine.

En cas de ‘’plaider coupable’’, le prévenu et son avocat négocient en effet dans le bureau du procureur ; après quoi, l’arrangement est soumis au tribunal en séance publique. Et le procureur Bernard Beffy n’a pas hésité à regretter publiquement devant la presse que le professeur - José Laboureur - ait changé d’avis sur le ‘’plaider coupable’’, estimant que cette procédure était " parfaitement adaptée " à la situation et sans doute " dans l’intérêt " du professeur qui risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

Mais José Laboureur, qui est poursuivi pour " violences aggravées " veut que toute la lumière soit faite au su et au vu de tout le monde. Soutenu par une pétition qui a recueilli plus de 20000 signatures, le professeur affirme vouloir " défendre la corporation des enseignants ". Et il est appuyé dans son combat par deux avocats de la Fédération des Autonomes de Solidarité laïque ( une mutuelle de l’enseignement public chargée de venir en aide aux enseignants victimes des ‘’risques du métier’’ ). Selon maître Jean-Marc Villesèche, " le plaider-coupable suppose qu’on accepte une qualification pénale aux faits qui ont été reconnus par M. Laboureur . Or est-ce qu’on est dans le cadre de l’exercice de l’autorité d’un enseignant ou dans celui de l’infraction pénale ? ". Et l’avocat-conseil national de Solidarité laïque - maître Francis Lec - après avoir rappelé que chaque jour une soixantaine de professeurs sont l’objet de violences physiques ou verbales, s’est élevé contre " la manière dont cet enseignant avait été maltraité " ( en faisant référence à la garde à vue de 24 heures imposée à José Laboureur, qui avait beaucoup choqué ).

In fine, le procureur d’Avesne-sur-Helpe a estimé que José Laboureur, en refusant le ‘’plaider-coupable’’, prenait ainsi " le risque d’être plus sévèrement puni devant un tribunal correctionnel ".

Et il est vrai que le panorama diversifié de la jurisprudence que nous avons pu établir, maître Francis Lec et moi-même pour notre livre " Histoires vraies des violences à l’école " ( paru à l’automne 2007 chez Fayard ) est assez complexe et peut révéler bien des surprises.

Dès 1889 ( deux ans après l’interdiction formelle des châtiments corporels dans l’Ecole républicaine ) la Cour de cassation n’a pas hésité à reconnaître aux maîtres un droit de correction au même titre que celui attribué aux parents, dans la mesure où il n’y a pas excès et où la santé de l’enfant n’est pas compromise. Une vingtaine d’années plus tard, un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 décembre 1908 précise que " les instituteurs ont incontestablement par délégation paternelle, un droit de correction sur les enfants qui leur sont confiés ; mais, bien entendu, ce droit de correction pour demeurer légitime, doit être limité aux mesures de coercition qu’exige la punition de l’acte d’indiscipline commis par l’enfant ".

Les tribunaux admettent le plus souvent que, dans le cadre du maintien de la discipline scolaire, les enseignants bénéficient d’un exceptionnel droit de correction pour assurer le bon déroulement du cours dans un ordre scolaire dégradé ( Cour d’appel de Toulouse, 18 février 1999 ), répondre à une attitude provocatrice ( Cour d’appel de Caen, 4 mai 1998 ) ou sanctionner physiquement des violences ou injures contre l’enseignant ou entre élèves ( Chambre criminelle de la Cour de cassation, 18 juin 2002).

En revanche, ce ‘’droit de correction’’ est rarement toléré par les tribunaux pour d’autres buts, par exemple pour sanctionner une mauvaise application au travail ou de mauvais résultats. Ainsi la Cour d’appel d’Agen juge en 1999 qu’une institutrice qui avait infligé une fessée ( occasionnant un gros hématome ) à une jeune élève de cinq ans qui " ne savait pas faire son travail " est " coupable de violences volontaires ". Un instituteur qui criait régulièrement sur un élève de sept ans, jetait ses affaires, déchirait son travail, le moquait, lui donnait des claques et lui tirait les oreilles est également condamné le 23 janvier 2002 par la Cour d’appel de Pau à une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis. Pour expliquer sa décision, la Cour indique qu’ " il importe peu que le but poursuivi ait été exclusivement pédagogique : l’intention coupable ressortait de la volonté délibérée d’accomplir des actes qui par leur nature et leur répétition ont entraîné une atteinte physique sur l’élève dépassant ainsi le cadre éducatif ". En juin 2006, le directeur d’une école maternelle se voit infliger cinq mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Nice : il rudoyait ses élèves, leur administrait parfois des coups de pied ou de règles en fer et se rendait coupable de brimades en particulier contre les enfants en difficulté scolaire.

Il ne faut pas non plus que les corrections dépassent une certaine intensité ou prennent des formes considérées comme inacceptables, moralement et juridiquement. Ainsi la Cour d’appel de Bourges a condamné à une peine d’amende un instituteur d’école maternelle qui avait fait mine de mordre le doigt d’un enfant afin de mettre un terme à son comportement agressif et à ses morsures réitérées : le ‘’droit de correction’’ exclut la loi du Talion, moralement inacceptable ( 26 juin 1997 ) . Par ailleurs, un responsable d’un internat est condamné pour avoir donné des coups de pied dans le dos d’un élève qu’il avait projeté à terre ( alors même qu’il est relaxé pour les gifles et les coups de pied donnés aux élèves perturbateurs restés debout) ( Cour d’appel de Toulouse, 18 février 1999 ).

On le voit, les principes mêmes de la jurisprudence ne sont pas d’une clarté absolue en la matière, et rien n’est vraiment assuré.

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