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Billet de blog 27 mars 2017

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Le Pen et Fillon: le jeu des apparences

Parmi les cinq candidats les mieux placés, ces deux-là jouent à fond le jeu pervers des apparences vestimentaires : voiles, burkini et uniformes. On aurait tort de n'y voir qu'un épiphénomène sans importance et sans signification.

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Bien sûr, les problématiques que cela induit tendent à occulter des questions plus importantes ; tout en suscitant de fait des passions dans tous les milieux (entre collègues, dans les ''dîners en ville'', et même entre amis). Et cela parce qu'elles impliquent des valeurs (voire des valeurs en conflit) reprises et détournées par ces deux spécialistes de l'embrouille (même si leurs positions et leurs argumentaires sont le plus souvent à l'évidence fluctuants voire contradictoires). Au centre du sac de nœuds : « l'égalité » (y compris ''l'anti-sexisme'') réappropriée ''apparemment'' par les deux duettistes. Un comble, compte tenu de leur ancrage à l'extrême droite ou à la droite extrême.

En juin 2004, un rapport de l'Inspection générale rédigé par Jean-Pierre Obin (à l'issue d'inspections menées par une dizaine d'inspecteurs généraux – dont Jean-Paul Delahaye, futur DGESCO – dans une soixantaine d'établissements scolaires ''sensibles'') est remis au ministre de l'Education nationale François Fillon Les signes et manifestations d'appartenances religieuses dans les établissements scolaires »).

Le ministre François Fillon met tout de go le rapport dans un tiroir et ne le rend pas public. Près d'un an plus tard, en mars 2005, peu après sa publication sur le site de la Ligue de l'enseignement, le rapport est discrètement placé sur le site du ministère, sans qu'aucune autre initiative soit prise par le ministre. Et cela alors même que la question du ''voile'' est présentée dans ce rapport comme « l'arbre qui cache la forêt » des détériorations de la vie scolaire et des contestations de certains enseignements (notamment en éducation physique et sportive, en histoire, en sciences de la Vie et de la Terre).

En revanche, François Fillon joue les matamores quant à ce qui est le plus ''apparent'' (le ''voile'') en revendiquant d'avoir été moteur dans l'interdiction du port du voile par les élèves dans les établissements scolaires, puis en se prononçant pour l'extension de cette interdiction à l'université, et enfin en se montrant très actif dans la campagne des interdictions du burkini sur les plages durant l'été 2016.

Ce faisant, il rejoint aussi la campagne menée par nombre d'élus appartenant à son parti, l'UMP, en faveur de la'' mise en uniforme'' des élèves de l'enseignement scolaire. Avec des formes et des justifications ''à géométrie variable'', y compris de la part de François Fillon lui-même.

Cela commence en 2003 par une déclaration de François Baroin et de Renaud Donnedieu de Vabres évoquant le retour des « tabliers gris » pour lutter contre les enfants « fashions victims » et surtout combattre « la montée des communautarismes et le voile à l'école » . En janvier 2013, une quinzaine de sénateurs de droite (dont Serge Dassault) déposent une proposition de loi rendant « obligatoire le port de l'uniforme ou de la blouse à l'école primaire et au collège ». Les attendus de ce projet de loi finissent par un couplet sur « l'égalité » auquel l'ultra démocrate et ''égalitariste'' Serge Dassault ne pouvait qu'être particulièrement sensible : « L'uniforme a depuis toujours été utilisé pour symboliser un lien d'appartenance. Il n'est pas une panacée mais un outil permettant de gommer symboliquement les différences sociales, ethniques et religieuses ».

En août 2013, François Fillon indique que « L'Ecole doit être le creuset du civisme et de l'égalité républicaine. Les distinctions sociales ou d'origines doivent s'effacer au profit d'un esprit d'unité. Je propose d'instaurer une tenue uniforme des élèves dont les modalités doivent être définies au niveau de chaque établissement ».

Dans une tribune parue dans le « Figaro » du 7 mai 2015, François Fillon écrit : « Je suis favorable à ce que tous les élèves portent une tenue uniforme afin de créer un esprit de communauté et d'éviter les querelles sur les marques de vêtements ou sur la longueur des jupes »

En septembre 2016, au cours de l'université d'été à La Baule, François Fillon conclut : « je veux une école du respect, de l'autorité, symbolisés par le port de l'uniforme »

Lors du second débat télévisé de la primaire de droite, François Fillon déclare urbi et orbi : « Je propose un uniforme parce que je pense que c'est moderne, une bonne manière de montrer à un enfant qu'il entre dans une nation ».

Enfin une touche finale est mise par François Fillon au cours du débat télévisé du 20 mars 2017 : « un même uniforme » (national ?)

On aura admiré la plasticité des propositions et des justifications de François Fillon, et leur gradation...

Mais on peut se rassurer, Marine Le Pen n'est pas en reste non plus là-dessus. Alors même qu'en septembre 2016, à l'occasion d'une convention consacrée à l'éducation, Marine Le Pen soutenait que : « le collège unique est une machine à frustration qui favorise les inégalités […] ; à trop vouloir que les élèves soient tous les mêmes, on efface leurs différences », elle se prononce résolument pour « l'uniforme » dans les établissements scolaires, au nom de l'égalité de traitement. Aucune contradiction ''apparemment'' entre s'en prendre au collège unique et à « l'uniformité » qu'il engendrerait d'une part, et préconiser d'autre part une « mise en uniforme » pour raison d'égalité...

Il est vrai aussi que sa profession de foi en la matière, au lendemain des attentats meurtriers de janvier 2015, a emprunté également d'autres justifications : « Je demande un symbole fort pour rappeler à chacun que nous sommes tous Français : le rétablissement de l'uniforme dans le public comme dans le privé, pour tous ».

Le responsable à l'éducation du Front national – Alain Avello – soutient que l'uniforme permettrait de redonner à l'école « sa mission essentielle : combler les inégalités d'origine sociale, qui sont marquées par la tenue » ( ah les vertus magiques de l'apparence!). Il permettrait de « régler le sempiternel problème des signes ostentatoires » et de « revenir à la fonction assimilatrice de l'école pour les enfants d'origine étrangère » Avec une touche (''anti-égalitaire'', ''sexiste'' ?) de différenciation des ''genres'' : « une façon de porter le costume pour les garçons » et « le tailleur pour les filles ».

Marine Le Pen ne s'est pas fait faute de s'empêtrer dans ces ''détails'', et de s'en agacer sans s'en dépêtrer. Interrogée dans une conférence de presse, elle a été amenée à lâcher « pourquoi pas une blouse ? ». Sans préciser la couleur. Ni la longueur. Tout en concluant : « ce ne sera pas tout le monde en socquette, jupes plissées ou garçons en cravate. Quoique ce serait pas mal ! ».

En jupe plissée bleu marine ? Toujours est-il que Marine Le Pen est le plus souvent en pantalon . Et François Fillon dans son costume à nul autre pareil, impayable.

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