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Billet de blog 28 novembre 2024

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La ''nature'' et l’éducation sexuelle ou sexuée

Le ministre délégué à la ‘’réussite scolaire’’ s’en est pris au projet de programme d’éducation à la vie sexuelle en prétendant qu’il incluait la ‘’théorie du genre’’, ce qui n’est nullement avéré. Mais en l’occurrence, c’est ‘’naturellement ‘’que ‘’la nature’’ a bon dos. Et cela vient de loin et a des racines très ‘’historiques’’ tenaces.

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Au printemps 2010, un « Guide pour l’éducation sexuelle » a été édité sous l’autorité du Secrétariat à l’enseignement catholique. Il y est fortement affirmé que «  l'anthropologie a toujours reconnu l'importance structurante de la différence sexuelle. Un courant récent, néanmoins, conteste ce modèle. La ‘'gender theory'' privilégie le ‘'genre'', considéré comme une pure construction sociale, et diversifié selon les orientations sexuelles, aux dépens du ‘'sexe''. Elle manifeste un déni de la différence corporelle et psychologique qui préexiste aux rôles culturels [ ...]. Le but de la ‘'gender theory'' est de ‘'libérer'' l'individu de tout cadre normatif donné par la nature, la société, la religion et de permettre à chacun de choisir librement son identité, son orientation sexuelle et sa forme de famille ».


Il n’y a pas si longtemps, en 1929, l’encyclique Divini illius Magistri du pape Pie XI avait réaffirmé la position traditionnelle de l’Église qui condamnait la ‘’coéducation’’ (ce qu’on appelle actuellement la ‘’mixité’’), considérée comme fausse et nocive parce que fondée sur le ’’naturalisme’’ : « c’est une erreur, pernicieuse à l’éducation chrétienne, que cette méthode dite de’’coéducation des sexes’’, méthode fondée aux yeux d’un grand nombre sur un naturalisme négateur du péché originel. En outre, pour tous ses tenants, elle provient d’une confusion d’idées déplorables qui remplace la légitime communauté de vie entre les hommes par la promiscuité et le nivellement égalitaire » (ASS,1930, p.72).

Mais ce type de positionnement n’appartient pas qu’à l’Église. On peut le saisir même à des moments sensibles de l’institution d’une Ecole républicaine et laïque durant le moment ‘’ferryste’’, par exemple lors de la création d’une enseignement secondaire public de filles. Le cursus, de cinq ans, est plus court. Les lycéennes n’ont pas droit au baccalauréat (qui ouvre les portes de l’Université, et donc des professions libérales et de l’administration supérieure), mais à un examen spécifique, le « diplôme de fin d’études secondaires » (« désintéressé » professionnellement). La philosophie et les humanités classiques (qui sont alors les fleurons du secondaire masculin) ne sont pas au programme. Pour l’essentiel, il s’agit d’un enseignement de lettres et de langues vivantes modernes. En mathématiques, il est préconisé « un programme essentiellement distinct » de celui des jeunes gens . Maitrot, le rapporteur dans cette discipline, s’en explique clairement : « il serait inutile, et même fâcheux de développer chez les jeunes filles l’esprit d’abstraction ; d’autre part, elles n’ont que faire des mathématiques appliquées puisqu’elles ne deviendront pas ingénieurs ».

L’explication en est donnée par Camille Sée, le promoteur de la loi de décembre 1880 instituant l’enseignement secondaire féminin, « ce n’est pas un préjugé, c’est la nature elle-même qui renferme les femmes dans le cercle de famille. Il est de leur intérêt, du nôtre, de l’intérêt de la société toute entière, qu’elles demeurent au foyer domestique. Les écoles qu’il s’agit de fonder ont pour but, non de les arracher à leur vocation naturelle, mais de les rendre davantage capables de remplir les devoirs d’épouse, de mère et de maîtresse de maison. La République instruit les vierges, futures mères des hommes »

L’évocation de ’’ la nature ‘’ ( avec son corollaire actuel a contrario du spectre d’une ‘’théorie du genre’’) a bon dos pour justifier in fine un certain conservatisme et les discriminations.

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