Et c’est même ‘’instructif’’’ ! Les Brighelli, Le Bris et autres " Fabriques du Crétin " ( idéologique ) vont s’étrangler de dépit que le succès médiatique, au lieu de faire écho comme d'habitude à des imprécations convenues et mille fois ressassées, aille – pour une fois – à une approche équilibrée de l’acte d’enseigner en milieu dit ‘’difficile’’.
Il faut d’abord mesurer l’extrême ( et précieuse ) rareté du sujet de ce film qui a reçu à l’unanimité la palme d’or au Festival de Cannes : les films où l’Ecole est présente d’une façon ou d’une autre n’abordent pratiquement jamais les processus d’enseignement et d’apprentissage, et n’ont font en tout cas pas leur objet essentiel. C’est l’évidence également pour les séries à la télévision telles que, par exemple, " Madame le Proviseur " ou " L’instituteur ".
On peut aussi remarquer que deux autres films ont manifestement fait exception à cette règle, et cela justement durant ces dernières années, ce qui peut apparaître comme le signe annonciateur d’heureux changements en perspective. Il s’agit du film de Nicolas Philibert " Etre et avoir " ( 2003 ) qui donne à voir une classe unique d’Auvergne et son maître Georges Lopez ; et du film d’Abdellatif Kechiche " L’Esquive " ( 2004 ) qui met en scène des élèves de banlieue répétant une pièce de Marivaux pour leur cours de français.
On est situé par là aux deux extrêmes. D’un côté, la vision d’une classe rurale qui peut certes avoir les mérites de calmer les anxiétés récurrentes en France lorsqu’il s’agit de l’Ecole, mais au prix d’une perception quelque peu surannée ( voire quasi ‘’ethnologique’’ avec un soupçon de ‘’passéisme’’, car les classes uniques sont de fait presque ‘’résiduelles’’ ) ; de l’autre côté une réponse ‘’moderne’’, ambitieuse et encourageante face à une ‘’modernité’’ ( la banlieue ), perçue généralement comme délétère et affligeante.
Le film de Laurent Cantet, " Entre les murs de la classe ", tiré du roman éponyme ( plus ou moins autobiographique ) de l’ex-professeur de français François Bégaudeau qui joue lui-même ce rôle dans le film, est de la deuxième veine. En plus démonstratif, ne gommant aucun aspect contrasté de cette aventure collective aux dynamiques évidentes de part et d’autre, mais aussi aux frottements voire aux affrontements multiples.
Rien ne peut mieux rendre compte de ce qui est alors en jeu, que cette longue citation de François Bégaudeau tirée de sa contribution au dossier que les Cahiers pédagogiques ( n° 445 ) avaient consacré aux ZEP. " Il y a une marque des élèves de ZEP qui, à mes yeux, les discrimine positivement. Appelons cela leur frontalité. Là encore, il faut se rappeler l’ambiance morne qui régnait dans nos classes bourgeoises, où les mots d’ordre, pour tacites, n’en étaient pas moins strictement appliqués. Surtout ne pas participer. Surtout ne jamais lever le doigt. Même si on savait la réponse ; a fortiori si on le savait. C’eût été afficher, et se nier comme rebelle en l’affichant, ce que nul n’ignorait, à savoir qu’entre les profs et nous existait une fondamentale connivence sociale par rapport à quoi on ne se démarquait que superficiellement, et par exemple en n’instituant aucune relation sociale avec eux. En ZEP, tout le contraire. Les élèves ne ressentent pas le besoin de se distinguer d’un système qui, de toute évidence ( c’est fou ce qu’ils ont intégré cette conviction ), n’a pas été conçu pour eux. Alors c’est souvent une forêt de doigts levés qui accueille les questions posées à la cantonade par l’enseignant, pour peu qu’elles ne soient pas complètement absconses. Parfois, la parole ne prend même pas la précaution d’en passer par le rituel immémorial du doigt. Cela donne des répliques inopinées, des parasites, des dialogues de sourd, et pour tout dire un joyeux bordel [ Note de CL : on pourrait se croire alors à certains moments du fonctionnement des blogs sur Mediapart ]. Et de fait, cette loquacité débridée relève de ce qu’un euphémisme ironique aime à appeler la ‘’spontanéité’’ des élèves. C’est vrai : c’est le même élève ‘’spontané’’ qui sauve votre cours de l’exposé unilatéral et un jour vous tutoie ou vous signifie qu’il se bat les couilles de vos réprimandes. Tout fonctionne en interface. C’est le prix à payer de la frontalité que de la voir, de loin en loin, se muer en affrontement. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut pas désirer l’animation et réprouver l’agitation, priser l’énergie et déplorer l’électricité ".
Le ministre de l’Education nationale Xavier Darcos a cru bon de faire savoir qu’il tenait le film pour " un très bel hommage rendu à tous les enseignants de France " ( par le truchement, donc, du comportement éducatif et pédagogique du professeur de français, François Begaudeau en personne )" qui, malgré des conditions de travail parfois difficiles, font preuve d'un dévouement et d'une vérité exceptionnels qui doivent être salués". L’un des principaux inspirateurs des nouveaux programmes signés du ministre, et l’un de ses principaux soutiens médiatiques - Jean-Paul Brighelli ( l'auteur du best-seller "La fabrique du crétin" ) - a tenu, lui, à écrire dans son dernier essai " Fin de récré " paru il y a quelques mois qu’" il faut être Bégaudeau pour s’extasier devant le bredouillage de ses élèves ; mais comment peut-on être Bégaudeau ? ". Attendons la suite, qui ne devrait pas être triste.