L’intervention du chef de l’Etat sur la question des violences scolaires peut être considérée comme sans précédent ; et elle repose sur une inversion du sens de la ‘’sanctuarisation’’ de l’école. Une seule autre intervention présidentielle peut lui être comparée, mais elle n’a pas eu de suite. Il s’agit de l’intervention faite par Jacques Chirac au conseil des ministres du 20 mars 1996.
Le ministre de l’Education nationale François Bayrou y présente en une dizaine de minutes son plan de lutte contre la violence à l’Ecole. Il s’agit, selon ses propres termes, de " travailler à resanctuariser l’Ecole " : " l’Ecole doit être un sanctuaire ". Evènement rare dans un Conseil des ministres ( qui est dans les faits une simple chambre d’enregistrement ), le président de la République Jacques Chirac prend immédiatement la parole pendant un long quart d’heure. Il déclare qu’il ne veut pas " d’un énième plan non suivi d’effet " et il assure qu’il y sera " personnellement attentif ". Il insiste sur l’importance du partenariat entre les différentes administrations et invite les chefs d’établissement à " travailler avec le commissaire de police et le juge pour enfants du lieu ", en soulignant même que " la police, dans certains cas, doit pouvoir entrer à l’école ".
Mais François Bayrou n’œuvrera pas dans ce sens ( et il n’y aura donc pas alors de suite tangible à cette intervention du Chef de l’Etat ) car il est fortement allergique à la présence de forces l’ordre dans l’enceinte scolaire, et pour des raisons de fond. Il les développera d’ailleurs quelques années plus tard très clairement lorsque Nicolas Sarkozy ( comme il l’avait déjà fait dès janvier 2004 lorsqu’il était ministre de l’Intérieur) proposera de nouveau à la Convention sur l’éducation tenue par l’UMP le 22 février 2006 l’installation permanente de policiers dans les établissements qui en feraient la demande.
Dès le 11 mars 2006, la réplique de François Bayou est significative, et elle repose sur une toute autre conception de la ‘’resanctuarisation’’ de l’Ecole : " Retrouver un collège paisible, cela ne se fera pas avec des policiers dans les établissements scolaires, car si nous acceptons l’idée que la loi de l’école est la même que celle de la rue, alors l’école a perdu. Les valeurs de la rue, c’est trop souvent – hélas ! – la loi du plus fort. Et la police est là pour imposer la force de la loi aux caïds qui veulent prendre le dessus. Les valeurs de l’école ce n’est pas la loi du plus fort, c’est la loi du respect, le respect du savoir, le respect de l’éducation, et le respect de l’autre. Si l’on veut sauver l’école, il faut défendre son système de valeurs ! C’est l’autorité du professeur et du surveillant qu’il faut reconstruire ". Et le 13 février, lors de son passage sur France II, François Bayrou persiste et signe : envisager la présence de forces de l’ordre dans l’Ecole est " une erreur de la pensée, car la loi de l’école, ce sont les enseignants et les éducateurs ; si on met des policiers à l’école, c’est la défaite de l’éducation et ce sera la loi du plus fort ".
François Bayrou défend et développe une certaine pensée – classique - du " sanctuaire " scolaire. Celle ( si l’on peut dire ! ) de Nicolas Sarkozy est tout autre. Devrait-on être vraiment étonné qu’elle puisse reposer, in fine, sur ‘’la loi du plus fort’’ ?
On retiendra en tout cas ( fait tout à fait symptomatique, et également sans précédent ), que la réunion qui a eu lieu mercredi dernier à l’invitation de son ministre Xavier Darcos pour traiter du problème des violences à l’Ecole a écarté délibérément les syndicats enseignants. C’est en effet ( pour qui veut ou peut comprendre ) dans la logique imperturbable de la ‘’resanctuarisation’’ sarkozyste ( type securitate ) qui ne met plus au centre " les enseignants et les éducateurs, la loi de l’Ecole ; mais la loi du plus fort ".
LA VIE ANTERIEURE
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
( Baudelaire, " Les fleurs du mal " )