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Billet de blog 30 juin 2014

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L'ABC après l'ABCD

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Un rappel historique passant par quelques principes afin de tenter de ''sortir'' par le haut d'une situation pour le moins confuse...

D'abord ce rappel : les stéréotypes sexués ne sont pas seulement présents dans la société, ils ont été inscrits historiquement dans l'Ecole républicaine elle-même, ses représentations et matériaux pédagogiques. Et cela fait plus d'une génération que leur remise en cause a été programmée ...et que l'on piétine. Les stéréotypes sexistes restent en effet beaucoup plus présents à l’Ecole que l’on aurait pu le supposer après les injonctions de certains textes ministériels du début des années quatre-vingt. Ainsi, l’arrêté du 12 juillet 1982 du ministre Alain Savary (« Action éducative contre les préjugés sexistes ») insistait déjà sur «  la mention destinée à combattre les préjugés sexistes ajoutée à l’ensemble des programmes pour toutes les disciplines et activités éducatives».

Mais, quinze ans plus tard, le rapport demandé par Alain Juppé sur cette question à Simone Rignault ( députée RPR ) et Philippe Richert (sénateur apparenté à l’Union centriste ) et remis le 9 avril 1997 au Premier ministre est sans appel. Les deux auteurs responsables du rapport, qui s’étaient pourtant interrogés initialement sur le sérieux et l’enjeu de la requête (qu’ils estimaient pour l’essentiel dépassée compte tenu des politiques officielles scolaires affirmées), sont formels : « En France, malgré les mesures prises il y a une quinzaine d’années, des stéréotypes sexistes existent toujours dans les manuels scolaires ». Et si l'on en juge par des études réalisées ces toutes dernières années, on en est toujours là pour l'essentiel.

Question de principe. Pour la clarté des débats futurs, il y a sans doute lieu de distinguer et de prendre en compte deux catégories de stéréotypes sexués. On peut dire qu’il y a sexisme quand les textes et les illustrations des manuels scolaires décrivent hommes et femmes dans des fonctions stéréotypées qui ne reflètent pas la diversité des rôles réels. Le fait de nier la réalité sociale et historique dans sa complexité et sa diversité aboutit à donner une représentation unilatérale et caricaturale des images et des rôles masculins et féminins. Mais il existe aussi un autre sexisme, différent mais ayant également ses effets ‘’pervers’’, lorsque les manuels scolaires se bornent à exposer une situation existante sans la critiquer ou sans présenter d’alternative. Car on peut considérer que cela équivaut à accepter ( dans les faits ) implicitement les inégalités et les discriminations qui existent..

Question de principes également pour orienter de nouvelles façons d'agir si l'on veut réaliser une avancée décisive, et renoncer à piétiner comme on le fait depuis une génération Le très intéressant rapport de l'Inspection générale de mai 2013 sur « Les inégalités scolaires entre filles et garçons dans les écoles et les établissements » a indiqué fort opportunément que « la focalisation initialement portée sur l'orientation et principalement sur celle des filles a durablement marqué les politiques d'égalité entre filles et garçons [..]. L'effort a porté jusqu'ici sur la diversification des choix d'orientation. Mais cet effort a rencontré ses limites en intervenant assez tard dans le processus d'orientation, en fin de collège, au moment où les représentations stéréotypées sur les métiers et les formations qui y conduisent sont déjà construites. Enfin il a ciblé prioritairement sur les filles, envoyant un message ambigu. Est-il plus dérangeant que les filles n'aillent pas assez en séries scientifiques, ou que les garçons évitent les séries littéraires ? Que les filles désertent les séries industrielles, ou les garçons les services ? Qu'il n'y ait pas assez d'ingénieures ou de puériculteurs ?» ( pages 42-43). Enfin ce rapport a également souligné à juste titre que « l'enseignement primaire a été l'angle mort » des politiques de réduction des inégalités scolaires ( même si, ici ou là, de très intéressantes initiatives ont pu avoir lieu ).

 Si l'on veut rompre avec des logiques antérieures qui ont montré leurs limites, il convient donc doute d'aller résolument dans le sens d'un changement de paradigme qui concernerait - en même temps et d'un même mouvement - les filles et les garçons, notamment dans le domaine fondamental de la lutte contre les stéréotypes, en la menant par ailleurs de façon résolue beaucoup plus tôt.

 Certaines des orientations de la dernière convention interministérielle (signée en février 2013) allaient dans ce sens. Cette convention annonçait en particulier « la création d'un programme''ABCD de l'égalité'' qui s'adresse à l'ensemble des élèves de la grande section de maternelle au CM2 et à leurs enseignants, et vise à déconstruire des stéréotypes de genre ». On a vu...

 Mais il était aussi d'ores et déjà dûment prévu dans cette convention interministérielle (compte tenu en particulier du peu de progrès, en trente ans, dans les manuels scolaires quant aux stéréotypes véhiculés ) qu' « une documentation pédagogique, coproduite par le ministère du droit des femmes et le ministère de l'éducation nationale sera mise à la disposition des enseignants sous forme physique et numérique ».

Il était aussi d'ores et déjà projeté (et c'était aussi indéniablement une nouveauté ), « une formation à l'égalité pour les enseignants : un module spécifique''lutte contre les stéréotypes de genre dans les pratiques professionnelles'' sera prévu dans le cahier des charges des futures écoles supérieures du professorat et de l'éducation ». Et la formation continue n'était d'ores et déjà pas oubliée : « cette thématique sera également déclinée dans la formation continue de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale […]. Des outils de formation en ligne seront établis et mis à disposition sur les sites disciplinaires et généralistes du MEN ».

Tout cela ouvrait indéniablement des perspectives. On verra dans quelles mesures elles seront accomplies ; car, en la matière, on vient de loin ; et l'on revient de loin...

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