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Billet de blog 31 mars 2009

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Ombres et lumières sur les violences à l'école

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Pleins feux médiatiques et sarkozystes sur des intrusions violentes dans deux établissements de banlieue, à Gagny et Garges. Mais black out sur les violences dans un établissement de Neuilly, qui ont pourtant amené les enseignants du collège André Maurois à exercer ‘’leur droit de retrait’’.

Dépêche de l’AFP du vendredi 20 mars ( " Neuilly : des enseignants refusent de faire cours pour dénoncer des tensions " ) : " Les professeurs d’un collège de Neuilly ( Hauts–de-Seine ) ont refusé d’assurer les cours pour dénoncer un climat de tension dans l’établissement, notamment après qu’une enseignante eut reçu un courrier de menaces de mort à son domicile, a-t-on appris de plusieurs sources. Deux professeurs, qui ont souhaité rester anonymes, ont évoqué des ‘’actes de malveillance et des agressions verbales et physiques récurrentes’’ depuis plusieurs semaines au collège André Maurois de Neuilly-sur-Seine. Mercredi, une enseignante a également reçu une lettre de menaces de mort à son domicile, ce qu’a confirmé l’inspecteur des Hauts-de-Seine, Claude Michellet. Ce dernier a cependant estimé que la situation n’imposait pas un droit de retrait : ‘’on ne peut pas considérer qu’on est devant une violence extraordinaire’’ a-t-il expliqué à l’AFP " .

Très peu d’évocations de cette affaire dans la ‘’grande presse’’. Et profil bas des pouvoirs publics dans le fief ( ‘’protégé’’ dans tous les sens du terme) des Sarkozy, père et fils.

Ce même vendredi 20 mars, une autre dépêche de l’AFP ( " Intrusions dans un collège de Garges-lès-Gonesses " ) : " Jeudi, une bagarre a éclaté devant le collège entre deux élèves. L’un deux a téléphoné à des amis, venus en renfort. Une dizaine de jeunes se sont alors introduits dans l’établissement. Le principal du collège Patrick Cassou a tenté de s’interposer et a été roué de coups. Le procureur a réfuté l’idée d’une ‘’action concertée à l’encontre du principal’’ ainsi que le terme de ‘’bande organisée’’, parlant en revanche ‘’de jeunes qui n’ont pas accès à la culture, aux mots, et utilisent la violence’’ […]. Mercredi, le chef de l’Etat avait annoncé la création d’un délit d’intrusion dans un établissement scolaire, parmi seize mesures répressives pour combattre le phénomène des bandes violentes, suite à l’expédition punitive violente menée le 10 mars dans un lycée de Gagny ".

Ce même vendredi, Nicolas Sarkozy félicite pour son " courage " Patrick Cassou qu’il reçoit à l’Elysée avec une dizaine de professeurs, surveillants et parents d’élèves du collège. L’épisode est à la " Une " de la plupart des ‘’grands médias’’.

Il faut savoir que ces différences de traitement, et cette focalisation sur les violences scolaires dans les quartiers dits ‘’sensibles’’ datent depuis le début de l’apparition du problème de la violence à l’Ecole dans la sphère ‘’politico–médiatique’’, qui s’est faite très brusquement et que l’on peut dater précisément d’octobre 1990.

Le journal " Le Monde " est d’ailleurs un bon exemple de cette mutation soudaine. Une série d’articles paraissent à la mi-octobre 1990 sur ce thème jusqu’alors inédit. Quelques extraits. " La violence dans les lycées de la banlieue parisienne. Les enseignants rompent la loi du silence " ( 15 octobre ) ; " L’insécurité dans les établissements… Plusieurs centaines de lycéens venus de la banlieue parisienne ont à nouveau manifesté aux abords de l’inspection académique de la Seine-Saint-Denis. A Paris, les élèves du lycée d’Argenteuil ont réclamé des postes de surveillants et d’agents d’entretien supplémentaires, dénonçant la saleté et l’insécurité qui règnent dans leur établissement " (18 octobre ).

Le ministre alors en charge de l’Education nationale – Lionel Jospin – se saisit immédiatement du problème, qui devient dès lors une question politique qui ne quittera plus la scène publique.

Cette irruption soudaine en 1990 de la thématique de la violence scolaire sur la scène politico-médatique s’explique avant tout par le caractère inédit des manifestations des lycéens de banlieue contre " l’insécurité " de leurs établissements scolaires, et par l’ampleur extraordinaire du mouvement lycéen de l’automne 1990 – parti de la ‘’périphérie’’ - qui va marquer les esprits.

Les mouvements étudiants ou lycéens s’étaient jusque là développés à partir des centres villes et des établissements les plus huppés comme la Sorbonne, l’ENS d’Ulm, ou les grands lycées parisiens ( avec le plus souvent des mots d’ordre, dans les années post-soixante-huitardes, contre les différentes figures de la ‘’répression’’ ). C’est dire si cette inversion ( la ‘’périphérie’’ à l’initiative ) et sur un thème inédit ( pour la sécurité et l’ordre dans les établissements scolaires ) fait sensation, en particulier dans le monde des médias. La thématique des violences à l’Ecole développée dans la sphère politico-médiatique en restera très marquée, dans une équivalence : violence scolaire = établissements de la périphérie. Et la problématique publique des violences scolaires s’enkystera là-dessus ( alors qu’il se peut fort bien que ce ne soit pourtant là que la partie émergée de l’iceberg ).

C’est d’ailleurs ce que montrent les enquêtes dites de victimation, en particulier l’enquête " ESPAD ", réalisée à l’échelon européen en 1999 et 2003, et menée en France par l’INSERM sous la direction de Marie Choquet. L’étude de 2003 se fonde sur les déclarations de près de 17000 collégiens et lycéens français, âgés de 12 ans à 18 ans dans 400 établissements publics et privés. Ces jeunes ont rempli un questionnaire sur les conduites violentes dont ils avaient été les auteurs et/ou les victimes durant les douze mois précédant l’enquête.

Si l’on analyse les résultats de cette enquête, les deux variables explicatives qui viennent en tête des phénomènes de violences scolaires sont le sexe et l’âge. Et seulement ensuite les résultats scolaires et l’origine sociale ( contrairement à bien des idées reçues, et qui ne sont pas ‘’innocentes’’ dans leurs conséquences…).

Il est amplement établi que les garçons se montrent nettement plus violents que les filles ( même en ce qui concerne les ‘’violences verbales’’…), et que généralement, surtout pour les garçons, les violences augmentent de 12 à 15 ans, pour diminuer ensuite de façon sensible .

Les auteurs de l’enquête ont classé les élèves en quatre groupes pour ce qui concerne leurs niveaux scolaires : moins de 7, entre 8 et 11, entre 12 et 15, et enfin 16 ou plus. On peut ainsi constater que les très bons élèves garçons ( dépassant le 15 de moyenne ) peuvent être statistiquement plus violents que les mauvaises élèves filles ( ayant moins de 7 de moyenne ) en ce qui concerne les coups ( 25% contre 16% ), sensiblement à leur hauteur pour le racket ( 3% contre 4% ) et à égalité pour les actes racistes ( 6% ), même s’ils commettent moins de vols ( 7% contre 14% ).

Comme le résume Marie Choquet, " Les violences sont mieux réparties qu’on ne le croit. Raisonner, par exemple, en termes de mauvais établissements a tendance à caricaturer la réalité et à faire oublier la violence non dite présente dans les bons établissements ".

Mais cette focalisation à laquelle on s’habitue dangereusement peu à peu ( même si cela ne permet pas de traiter - et pour cause - le problème des violences à l’école dans toute son étendue ) permet de présenter les violences scolaires comme étant ‘’à la marge’’ et le fait de ‘’marginaux’’ ( plus ou moins ‘’étrangers’’ au système scolaire, voire – en message subliminal – à la France ). In fine cela permet aussi et surtout ( à bon compte ) de se porter garant de la restauration de l’ordre scolaire ( sous les espèces –hyperboliques- de ‘’la tolérance zéro’’, ou celles –mythiques- du ‘’sanctuaire scolaire’’ ). D’où l’intervention empressée et privilégiée de Nicolas Sarkozy vers les établissements ‘’sensibles’’, et l’annonce de mesures de politique sécuritaire ( bien venue par ailleurs pour détourner l’attention en période de tension économico-sociale ).

Alors, Neuilly, vous n’y pensez pas…

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