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Billet de blog 31 juil. 2015

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Les argumentaires en faveur de l'élitisme viennent de loin

Ils ont sont là dès l'établissement de l'Ecole de la Troisième République, et se développent lorsque commence  la marche vers une ''Ecole unique'' 

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Ils ont sont là dès l'établissement de l'Ecole de la Troisième République, et se développent lorsque commence  la marche vers une ''Ecole unique'' 

Cette histoire, et surtout les argumentaires alors développés, valent le détour par les résonances qu'ils peuvent avoir encore dans des débats plus récents...

Lorsque l'Ecole de la troisième République s'est installée, il y avait déjà des classes élémentaires dans les lycées et collèges (des établissements secondaires qui pouvaient aller alors de la ''dixième'' à la ''terminale''). Lorsque les écoles communales deviennent gratuites en 1881, ces classes élémentaires du secondaire restent payantes et ne disparaissent pas (bien au contraire). Jules Ferry lui-même n'hésite pas à s'en féliciter dans sa circulaire du 9 septembre 1882 : « l'usage s'est établi partout d'annexer aux établissements secondaires des cours élémentaires destinés à préparer les très jeunes enfants mieux qu'ils ne pourraient l'être dans la plupart des écoles primaires aux études d'ordre plus élevé auxquels les destinent leurs familles » . Heureux parents privilégiés... La spécificité de ces classes élémentaires avait d'ailleurs été renforcée par le décret du 8 janvier 1881 instituant un « certificat d'aptitude aux fonctions de professeur de classes élémentaires de l'enseignement classique ».

Mais à partir de la fin de la Première guerre mondiale, des réformateurs partisans d'une « Ecole unique » mettent en cause cette partition de l'Ecole publique dès les premières années de scolarité. Et ils militent concrètement pour des'' rapprochements'' (en vue d'une unification complète à terme). Le décret du 12 septembre 1925 permet aux instituteurs d'enseigner dans les classes élémentaires. Par l'arrêté du 12 février 1926, les programmes des classes élémentaires des établissements secondaires deviennent ceux de l'enseignement primaire. Mais il n'en demeure pas moins que ces classes continuent à exister et à être'' payantes''.

Ces ''rapprochements'' seraient pourtant trop pour certains. Et leurs argumentaires valent d'être notés (car, sous une forme ou sous une autre, ils ont la vie dure).

Victor Bouillot, président de la société des professeurs élémentaires : « Rendre purement primaire un enseignement qu'on fait payer aux familles comme préparatoire aux études secondaires ne serait pas seulement injuste et malhonnête : ce serait exercer une brimade ridicule et odieuse contre une classe sociale à qui on semblerait faire grief du souci louable qu'elle porte à l'avenir de ses enfants [...] Quel est le crime de cet enseignement ? Est-ce une atteinte à la démocratie, que d'y enseigner dans un esprit secondaire parce que l'on s'adresse à des enfants qui tous se destinent aux études secondaires et qui payent pour y être préparés? » (« Les classes élémentaires et l'école unique », in « Revue universitaire », juin 1924).

Emile Besch : « La démocratie, plus que tout autre régime, a besoin d'une élite, sous peine du règne de la médiocrité. Après la Guerre, pour relever les ruines, pour faire progresser et rayonner la civilisation française, l'élite sera plus nécessaire que jamais. D'ailleurs les solutions démocratiques en apparence le sont parfois très peu en application ou en intention. Croit-on vraiment que si l'Allemagne semble disposée à adopter le principe de l'Einheitsschule, de l'école primaire pour tous, ce soit par conversion subite aux principes démocratiques ? Il s'agit en réalité de soumettre plus étroitement encore les intelligences au joug de la Kultur unitaire, d'uniformiser et de caporaliser toujours davantage, pour avoir encore plus de discipline et de mécanisme. C'est une réforme non de l'esprit démocratique, mais de l'esprit de fourmilière » (« Le lycée et l'école primaire », in « Revue universitaire », 1918, n°5)

Enfin, last but not least, Victor Bouillot et Emile Besch (avec bien d'autres) mettent en garde contre cette réforme qui va « faire fuir vers les écoles privées » , et profiter au premier chef aux écoles d'Eglise.

Las, trois fois hélas ! L'Histoire réelle a de ses ironies ! Ce sont en effet des gouvernements radicaux-socialistes (très attachés à lutter contre les entreprises cléricales) qui décident en 1926 que les programmes des classes élémentaires des établissements secondaires seront alignés sur ceux du primaire ; et, dès le 12 septembre 1925, que des instituteurs enseigneront désormais dans ces classes. Et c'est le régime de Vichy (qui ne s'est pas signalé par un anti-cléricalisme virulent, bien au contraire!) qui décide de rétablir les professeurs dans l'encadrement de ces classes élémentaires très spéciales !

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