http://www.renew-srta.fr/blog/
Les résultats 2016 du groupe Renault inspirent la presse à l’exemple de ce magazine[1] qui dresse une couronne de lauriers à Monsieur Carlos GHOSN plus que jamais « imperator »
Ouvrez le ban
« Renault, toujours debout! Dans la catégorie confirmation de l'année, c'est bien la marque au Losange qui décroche le gros lot. Son patron Carlos Ghosn, qui collectionne désormais trois casquettes (Renault, Nissan et Mitsubishi) peut s'enorgueillir d'avoir remis le groupe de Billancourt sur les rails »
Fermez le ban !
Bref s’il n’y avait quelques ratés à allumage, peut-on ici faire allusion à l’information judiciaire ouverte dans le cadre de l’affaire des moteurs diesel pour « tromperie sur les qualités substantielles et les contrôles effectués avec cette circonstance que les faits ont eu pour conséquence de rendre la marchandise dangereuse pour la santé de l’homme ou de l’animal » ? à laquelle s’ajoutent les déboires rencontrés en Russie, mais surtout au Brésil tout irait pour le mieux. Tant il est vrai que 2016 aura été pour le groupe Renault une très bonne année qui, espérons-le, ne restera pas exceptionnelle.
Félicitons donc Monsieur Ghosn pour les bons résultats obtenus.
Dans une interview accordée à un autre hebdomadaire[2], lors de la diffusion des résultats 2016, le PDG explique les raisons de ce renouveau : « C'est grâce à l'alliance, indéniablement. Notre alliance entre Renault et Nissan, étendue maintenant à Mitsubishi Motors, souvent mal comprise - c'est peut-être notre faute -, est un formidable levier de performance pour l'entreprise ».
Mais de quelle alliance s’agit-il ?
Le sujet n’est pas ici de s’interroger sur la réalité du bilan économique de Carlos Ghosn. Il s’agirait plus exactement de voir où en est l’Alliance et la place de Renault dans celle-ci.
Un concept : deux entreprises distinctes
Pour construire leurs relations en mars 1999 « Renault et Nissan ont choisi d’édifier ensemble une alliance d’un type unique, composée de deux entreprises distinctes liées par une communauté d’intérêts et unies pour la performance. Les mécanismes de l’Alliance ont été conçus pour veiller au maintien des identités de marque et au respect de la culture de chacune des deux entreprises »[3]
La notion de deux entreprises indépendantes, est soulignée avec force dans le document publié à l’occasion des dix ans de l’Alliance : « Dans les coulisses de l'alliance Renault-Nissan - Automobile_files Alliance Press Kit mars 2009, intranet Renault :
« Renault et Nissan sont des sociétés séparées dotées chacune de sa propre équipe de direction et de son propre siège social. Elles sont indépendantes l’une de l’autre. Leurs servicesd’ingénierie,dedesignetdemarketingetleursactivitésdefabrication(encoreque cesdernièressoientmisesencommunsurquelquesmarchésétroits)sonttousautonomes»[4]
Depuis 2014 l’accord de mars 1999 n’existe plus !
« Le 1er avril 2014, Renault et Nissan ont franchi une nouvelle étape dans l’évolution de l’Alliance quand elles ont décidé de faire converger quatre fonctions clés (achat, fabrication, logistique, ingénierie) pour accélérer les synergies en leur permettant de prendre des décisions plus rapides, d’éviter les doubles emplois et de mettre en commun leurs ressources …La convergence de ces fonctions incite également au rapprochement des directions des deux sociétés » …. (document de référence de l’assemblée des actionnaires 2014).
L’opportunité d’une telle stratégie n’est pas en question, ce dont nous parlons c’est de son impact sur les relations au sein de l’alliance. Restons factuel pour remarquer qu’in fine le mécano qui se met en place fait voler en éclat le principe de deux groupes autonomes, mythe fondateur de l’Alliance. Car enfin si la mise en commun des achats est à rapprocher de la dépendance des sources d’approvisionnement, la mise en concurrence des sites de fabrication et de montage de celui de la pérennité des sites industriels en particulier hexagonaux, la filialisation des deux ingénieries dans une même division est bien la fin de l’indépendance pour les deux constructeurs.
Le 31 janvier 2014, le journal les Échos publie sur son site un entretien avec Carlos Ghosn sous le titre : « RENAULT et NISSAN sont désormais indissociables « C'est une étape de plus dans le rapprochement opérationnel de l'alliance … Ainsi, dans l'ingénierie, au lieu d'avoir comme actuellement un patron des moteurs et transmissions chez Renault et un autre chez Nissan, l'idée est d'avoir un patron unique qui sera chargé de gérer la majorité des métiers de l'ingénierie des deux marques ».
La décision de 2014 modifie, manifestement, le périmètre de l’alliance. Dans la configuration initiale nous avions donc une union entre deux sociétés indépendantes. Dans le nouveau périmètre les deux sociétés sont gérées conjointement par un comité « alliance » dépendant directement de Carlos Ghosn. Le groupe binational construit sur la base de deux sociétés distinctes, chacune gardant le contrôle de sa gestion opérationnelle, se transforme en une multinationale bâtie sur la mise en commun des actifs des deux sociétés, dont la gestion est transférée à une filiale
Cependant, le rapprochement des directions convergées ne doit pas être interprété comme un simple épisode du match Renault-Nissan, mais comme un changement fondamental de l’Alliance. L’alliance devient « un outil commercial pragmatique et flexible, à même d’évoluer et d’intégrer de nouveaux projets et partenaires dans le monde entier » selon le document de l’assemblée générale des actionnaires du 30 avril 2015
Ce rapprochement des directions opérationnelles présente l’avantage en déplaçant vers RNBV les centres de décision de l’alliance de faciliter la gouvernance de celle-ci. Revers de la médaille il a l’inconvénient de figer la répartition des pouvoirs au sein de l’alliance, à travers les participations croisées, au niveau des accords de 1999 et 2002. Or, Carlos Ghosn ne s’en est jamais caché, il veut réajuster les participations croisées à celui des résultats commerciaux des deux groupes.
Plusieurs hypothèses sont envisageables :
- Compter sur la passivité de l’Etat actionnaire pour ouvrir l’alliance à d’autres partenaires sans y associer Renault comme avec Mitsubishi,
- Actionner d’une manière ou l’autre le pacte de stabilisation qui permet de faire monter Nissan dans le capital de Renault.
- Une solution plus élégante "le jour où l'État français décide de sortir (du capital), tout est ouvert. Et je peux vous dire que ça ne prendra pas beaucoup de temps", a lancé M. Ghosn lors d'une conférence avec des analystes financiers, en marge de la présentation des résultats de Renault pour 2016.
Un PDG polycéphale
Quelle que soit la solution retenue on pourra remarquer la confusion des rôles : monsieur Ghosn s’exprime-t-il et agit-il en qualité de PDG de Nissan ou Renault ? La position de Monsieur Carlos Ghosn comme aurait pu le souligner à juste titre la Cour des comptes dans son rapport sur l’Etat actionnaire, est « polycéphale » puisqu'il cumule quatre fonctions, PDG de Renault, de Nissan, de Mitsubishi et de l’Alliance Renault Nissan ; fonctions porteuses de contradictions et de conflits d'intérêts qui peuvent télescoper l'intérêt social de Renault. La concurrence entre ces fonctions et la complexité qu'elles suscitent trouvent à s'illustrer : il est actionnaire et siège au Conseil d'Administration de Renault, de Nissan voire de Mitsubishi, il est soumis à des contraintes budgétaires ; il est enfin législateur et régulateur.
Plagiant la réponse formulée par Renault à l’adresse de l’Etat dans le rapport de la Cour des comptes[5] sur l’Etat actionnaire nous dirions :
Monsieur Carlos Ghosn dispose, grâce à sa représentation au Conseil d'Administration de Renault et dans ses comités, d'informations stratégiques alors qu'il est dans le même temps actionnaire et administrateur de Nissan et qu'il prend, en tant que PDG, des décisions dont le contenu pourrait être inspiré par les informations confidentielles qu'il détient ; c'est ainsi que la révision des participations croisées au capital de Renault et au capital de Nissan pourrait s’ effectuée en situation d'initié.
Bien qu’un tel scénario soit improbable la question d’un conflit d’intérêt au détriment de Renault devrait être posée. Quant à la fin annoncée de Renault, comme constructeur automobile, le film se déroule sans incident notoire : dans une indifférence générale le clap de fin est pour bientôt.
Claude PATFOORT le 13 février 2017
[1] L’Express
[2] Le Point
[3] Document de référence Renault 2012 page 223
[4] Doc intranet RENAULT
[5] L’ETAT actionnaire – janvier 2017 https://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/L-Etat-actionnaire