Cogestion et scandale Volkswagen
Symbole de la rigueur germanique, comment et pourquoi Volkswagen s’est-il fourvoyé dans cette histoire de fraude aux normes anti-pollution ? Le constructeur allemand pensait-il pouvoir s’appuyer sur la complaisance des organes de contrôle indéfiniment ? … Un tel comportement intrigue. Est-ce par suffisance, parce que d’autres trichaient ?
La réussie du groupe VW repose sur une tromperie qui a traversé quasiment une décennie, sans qu’aucune alerte ne se soit manifestée au sein de l’entreprise.
A ce stade nous n’avons aucune certitude quant à l’origine de la fraude ni comment elle s’est développée. Des informations apparaissent ça et là pour relativiser le nombre de salariés « mouillés » dans l’affaire. « Quelques uns » qui auraient agir à l’encontre du plein grée des dirigeants. Fable, intox, pare-feu pour limiter la responsabilité de l’Entreprise ? Nous devrions le savoir.
Ce n’est pas la première affaire de ce genre qui éclabousse le « made in Germany ». La puissante fédération des automobile- clubs allemands, l’ADAC, lobby automobile le plus influent d’Europe, a été convaincue de manipulations quant à l’attribution de ses trophées.
Ce qui amène à s’interroger sur le rôle des Institutions Représentatives du Personnel. En effet « La cogestion caractérise le modèle économique allemand. Une loi de 1976 impose ce mode de gestion à toutes les entreprises de plus de 2000 salariés. Les salariés disposent de la moitié des sièges dans les conseils d'administration, mais la direction garde une voix prépondérante ».
Cette gouvernance n'implique pas que les représentants des salariés cogèrent à proprement parler l'entreprise, mais que certains projets doivent obligatoirement recevoir leur approbation. Cette précision explique que les traducteurs, avisés, préfèrent définir le management des entreprises en Allemagne par le mot « codétermination » et non par celui de « cogestion ».
Face à d’autres systèmes de représentation, ceux propres aux pays anglo-saxons ou de l’Europe du Sud, le système de cogestion à l’allemande garde peu ou prou ses partisans. Un certain nombre d’observateurs seraient d’accord avec le journal « Alternatives économiques » qui écrivait le 7 novembre 2012 :
« C'est l'un des aspects les plus intéressants du modèle allemand : la forte spécificité de sa gouvernance des entreprises. Elle se caractérise en effet par un niveau d'association des salariés aux décisions beaucoup plus important qu'ailleurs. Cette implication contribue manifestement à expliquer les succès industriels allemands ».
Chez nous, une institution, la CGT, que l’on peut difficilement taxer de réformiste vante la cogestion en vogue chez le voisin d’outre Rhin en ces termes :
« Depuis 2007, les écarts de compétitivités se sont creusés entre Volkswagen et les deux constructeurs français. De nombreuses explications ont été données. Aucune ne résiste à l’analyse. La cause de la divergence des trajectoires des trois généralistes européens est à chercher dans l’incohérence des stratégies de PSA et Renault »
« Volkswagen doit la cohérence de sa stratégie, non pas à une intelligence particulière de ses dirigeants, mais à un « compromis de gouvernement d’entreprise » avec IG Metal et le Land de Basse Saxe ".
Ces propos sont extraits d’une étude[1] que la CGT a publiée dans le cadre des négociations sur l’accord de compétitivité chez Renault en janvier 2013 ». Les experts apprécieront cette « realpolitik » de la centrale de Montreuil : difficile de trouver mieux pour symboliser la cogestion que ce triumvirat entreprise/syndicat/pouvoirs publics réunit dans un « compromis de gouvernement ».
Le poids que confère l’institution aux représentants des salariés, tant sur le terrain via les comités d'établissement qu'au niveau stratégique dans les conseils de surveillance, leur donne des possibilités d’actions très importantes qui ne sont pas sans effet sur les orientations de l’entreprise. En contrepartie la codétermination fait peser de lourdes responsabilités sur les représentants des salariés particulièrement dans le domaine de la gestion de l’entreprise : s'ils s'opposent à telle ou telle fermeture d'usine, elle ne pourra pas être menée à bien. Mais si la situation économique de l'entreprise s'aggrave, la faute risque de leur en être imputée.
Concernant la fraude VW, il n’est donc pas illégitime de se demander pour quelle raison la voix des syndicats est si peu audible ? Ce silence est-il un silence complice ou conforte-il la thèse que les organes dirigeants ne savaient pas ? Quelle que soit la réponse leur position est plus qu’inconfortable d’autant plus que ce scandale met à jour un management de l’entreprise qui peut-être qualifié de brutal:
« Un groupe où la peur est érigée en mode de direction et où exprimer la moindre objection peut signer la fin de la carrière d’un cadre expérimenté.
« Une entreprise dirigée comme une monarchie absolue, où ce qui n’est pas autorisé ne peut pas arriver »
« On donne des instructions sur les objectifs à atteindre, et personne n’ose dire que cela n’est tout simplement pas possible, pas faisable techniquement. Parce que si quelqu’un dit cela, il peutse chercher un nouvel emploi ! »
Ces faits dénoncés dans la presse[2] ne peuvent laisser indifférents les organisations syndicales de Volkswagen dont la raison d’être est la défense du salarié. Ils révèlent un climat social qui fait peser sur les salariés des contraintes d’autant plus inadmissibles qu’elles ne peuvent être inconnues des organisations syndicales et qu’elles conduisent à une déresponsabilisation générale :
« Selon les confessions faites par les ingénieurs concernés, il était techniquement impossible de fabriquer le moteur EA 189, développé par Volkswagen en 2005, en respectant à la fois les plafonds d'émission de gaz polluants et les impératifs de coûts. Il aurait donc été décidé d'avoir recours au logiciel truqueur ».
Ce qu’il faut bien appeler l’affaire Volkswagen rappelle d’autres situations, dans le monde médical, le nucléaire, voire les fonds de pension etc... Des objectifs « techniquement impossibles » des salariés mis sous pression…. Une entreprise dirigée comme une monarchie … on retrouve ces mêmes symptômes. « La gouvernance du groupe Renault, se caractérise aujourd'hui par la présence d'un seul homme à tous les postes de pilotage. Carlos Ghosn, c'est une monopolisation du pouvoir, dangereuse pour l'entreprise », affirmait, dès 2012, la CFDT dans son livre « Renault en danger ».
Tous ces scandales ont un point commun, l’absence de contre-pouvoirs capables de s’élever contre des situations établies, la perte du sens critique.
C’est un rôle auquel peut et devrait prétendre le syndicalisme à la condition de ne pas s’enfermer dans le refus systématique ; ni dans la complaisance.
Claude Patfoort 26 octobre 2015
contact@renew-srta.fr
[1] Pour étayer sa démonstration la CGT Renault a repris unilatéralement le travail d’un universitaire Monsieur Michel Freyssenet
[2] L’Express et le Monde