Il était 19 h hier 5 mars lorsque dans un couloir de la station Montparnasse deux jeunes policiers retenaient une dame qui criait. Elle se débattait pour se libérer de l'emprise de l'un d'entre eux, qui serrait avec force son poignet gauche en tenant son avant bras levé. Il me semble important de préciser que cette interpellation musclée n'avait rien d'un contrôle au faciès: la dame avait tout l'air d'une mamie, comment dire ?, autochtone ? En tout état de cause bien habillée et sobre.
La dame cirait, demandant de la laisser partir et priait les passants de ne pas la laisser seule, insistant sur le fait qu'elle n'avait rien fait. Nous apprenions également par ses cris qu'elle était âgée de 56 ans.
Nous qui passions par là, nous avons commencé à entourer les protagonistes de cette scène inhabituelle, d'abord par curiosité, puis par indignation: comment deux policiers pouvaient oser, quel que soit le grief ou le soupçon pesant sur cette dame, agir avec cette brutalité à l'égard d'une personne aussi démunie ?
Mais nous n'avions encore rien vu et ce qui allait suivre était digne d'un État policier ayant perdu tout sens de la dignité et du respect de la personne. Maltraiter de la sorte une femme, relativement âgée et sans défense était insupportable et la situation commençait à virer à l'émeute.
Car les deux premiers policiers ont appelé des renforts et ce furent d'abord deux autres costauds qui arrivèrent pour prêter main forte. La dame se débattant toujours en criant qu'on la laisse partir, elle fut traînée par terre et saisi par chacun de ses quatre membres avant d'être soulevée; comme on saisirait une bête destinée à l'abattoir.
Ne se laissant toujours pas faire avec docilité, se contorsionnant pour se libérer, les habits de la dame-proie commencèrent à partir en lambeaux ou à tomber: d'abord son manteau, puis son gilet, ses chaussures... et voilà qu'en l'espace de quelques minutes elle s'est trouvée avec un sein découvert, ses collants arrachés, sa jupe ouverte, son dos dénudé; tout en criant qu'elle avait de plus en plus mal à cause de cette brutalité.
Les policiers se retrouvèrent rapidement entourés de plusieurs dizaines de personnes révoltées et indignées, demandant de cesser une telle obscénité.
C'est alors que les militaires armés de mitraillettes patrouillant nonchalamment pour, paraît-il, faire peur aux éventuels terroristes (Vigipirate), sont arrivés et, armes aux poings, formèrent un cordon entre les policiers et les passants.
Mais rien n'y faisait, la dame se débattait encore et toujours, se retrouvant ainsi de moins en moins habillée.
La scène était devenue surréaliste: 4, puis 5 policiers, assistés d'une dizaine de militaires armés étaient mobilisés pour appréhender une dame de 56 ans qui ne présentait aucun danger apparent !
Les militaires se sont chargés de tenir la foule en respect, tandis que les policiers continuaient à traîner leur proie, à moitié nue et bientôt vomissant.
Cela a duré un quart d'heure avant que les protagonistes de cette scandaleuse interpellation relevant d'un régime proto-autoritaire disparaissent dans un couloir peu fréquenté menant à Montparnasse Vaugirard. Un fort malaise et une rage contenue m'avaient envahis et avaient envahi les nombreux témoins de la scène.
Est-il possible que pas un seul gradé de la police nationale ne soit capable de stopper pareille bavure ?
Nous avons été nombreux à protester sans succès, menacés à notre tour si nous ne partions pas immédiatement. Je devine déjà que nombreux sont ceux qui se disent et diront que, forcément, l'interpellée a commis quelque acte répréhensible. Cela m'évoque ce qui se disait dans le pays de mon adolescence lorsqu'on apprenait la "disparition" d'une (vague) connaissance : "Algo habrá hecho" (Il aura fait quelque chose). C'est ainsi que trente mille personnes ont "disparu" entre 1976 et 1983 et que c'est seulement en février 2011 que le principal responsable de ce massacre a été jugé définitivement.
Dans le train de retour dans ma ville de bord de Garonne j'ai pu terminer la lecture de l'opuscule de Stéphane Heissel que j'avais commencé durant le trajet aller.
Cela a fini de me convaincre de témoigner, ne serait-ce qu'en criant dans le vide. Des dizaines de photos ont pu être prises (quelques unes ci-dessous) et vidéos tournées par nos téléphones portables. Y aurait-il un journaliste qui voudrait s'enquérir du sort de la dame? Et porter à connaissance de tous ce que dix ans de politique sécuritaire ont fini par engendrer en France?