Dans une note envoyée en 2012 à tous les salariés d'EDF par la vénérable figure de celui qui fut leur Président pendant 20 ans, aujourd'hui retraité mais néanmoins encore très actif sur le front anti énergies renouvelables, et qui devait paraître dans les Tribunes Parlementaires Européennes il y a tout juste un an, Marcel Boiteux nous régale d'une prose archéologique savoureuse. Voir la PJ.
Monsieur Boiteux est soudain devenu soucieux de demander l’avis de ses concitoyens. C’est pourquoi il déplore que ces derniers n’aient pas été consultés sur le mode de financement du développement des énergies renouvelables, lorsqu’il dénonce notamment le fait d’avoir « fait peser subrepticement le poids sur les consommateurs d’électricité ».
« Sans leur demander leur avis », insiste-t-il.
Cette louable préoccupation ne semble pas avoir toujours été présente à son esprit. Du moins si nous jugeons par les responsabilités qu’il occupa chez l’électricien national de 1967 à 1987. Période au cours de laquelle EDF lança son gigantesque programme électronucléaire, décidé entre experts à l’ombre des cabinets et engageant le pays sur une pente dont la fin se situe à quelques milliers de générations plus tard. Si tant est que cette pente ait une fin.
Dans le cas du financement du nucléaire, ce n’est pas d’un coût pour les consommateurs mis à charge « subrepticement » qu’il faut parler. Nous parlerons plutôt de hold-up transgénérationnel commis sur l’ensemble des habitants, non seulement Français, mais également des pays environnants.
Et que dire des considérations de M . Boiteux sur la corruption insinuée des maires, lesquels succomberaient aux offres aguicheuses des opérateurs éoliens ?
Car, comme chacun sait, les élus des territoires concernés par les installations nucléaires les ont tous demandées sans aucune contrepartie et si les avis positifs des maires et des populations habitant autour de ces centrales sont mis en avant, cela n’a strictement rien à voir avec les retombées monétaires pourvues par EDF. Non ! C’est juste par amour du risque.
On ne saurait donc en aucune manière parler de « municipalités réticentes » et de « particuliers sinistrés » pour désigner les riverains des installations nucléaires. Car, comme chacun sait, une maison située à 500 m de Fessenheim a bien plus de valeur que la même maison située à 500 m d’une éolienne (distance minimale imposée par la loi).
La corruption des élus et des populations proches des éoliennes que M. Boiteux insinue ne serait possible que grâce aux « prix artificiels » résultant du mécanisme de soutient mis en place par les Pouvoirs Publics pour favoriser une filière émergeante. Marcel Boiteux est contre les prix artificiels. C’est bien normal, car comme chacun sait, la filière qu’il défend n’a jamais eu recours à la moindre aide publique et les prix de vente de sa production reflètent et ont toujours reflétée les vrais coûts, en y intégrant tous les paramètres et externalités ainsi que la recherche et le développement depuis les années 50. Sans parler des coûts assurantiels, parfaitement pris en compte dans le calcul du kWh issu de l’atome.
Dommage que l’ancien patron d’EDF n’ait pas eu le temps de lire le rapport de la Cour des Comptes, paru 4 jours avant la date de sa note anti-éolienne : il aurait noté que malgré un prix actuel de vente de l’électricité nucléaire revu à la hausse récemment à 42 €/MWh, le compte n’est toujours pas bon. Ce qui signifie que les quelques 400 milliards de kWh nucléaires vendus par EDF annuellement représentent un déficit d’au moins 2,8 milliards par an. Qui les finance « subrepticement » ?
Les fermes éoliennes « envahissent le paysage », observe-t-il. Il est bien normal que cela l’inquiète, car la production qu’il défend n’envahit rien de visible. Cette invasion se fait en toute discrétion : au niveau de la cellule ou de l’ADN. Mais pas au niveau des paysages. Abstraction faite, bien évidemment, des ces discrètes tours réfrigérantes et leur panache de vapeur qu’il nous arrive d’apercevoir depuis telle ou telle autoroute. Leur esthétisme est indéniable et ne gâche rien.
L’âge de la retraite venue, ce sursaut de sagesse de Marcel Boiteux ne l’empêche pas de continuer à regarder le marché de l’électricité avec les mêmes lunettes de toujours.
Il nous parle ainsi du prix du « kWh domestique » pour désigner une fée électricité, disponible partout et en permanence grâce à ce « réseau gigantesque » qu’il nous lègue. C’est beau !
C’est grâce à ce réseau hyper-centralisé qu’une situation de monopôle a pu s’établir durablement en France, bâti de manière pyramidale pour que les gentils consommateurs ne manquent de rien, qu’ils aient autant de courant qu’ils désirent afin d’alimenter une boulimie promue au rang de « progrès social » et, surtout, que cette architecture de réseau ne les incite pas à vouloir devenir producteurs ni, encore moins, pouvoir échanger leur production avec leurs voisins.
La production et la distribution de courant doit rester, dans l’esprit de Marcel Boiteux, l’apanage d’une classe dirigeante formée à cette fin.
Que des citoyens lambda s’avisent de vouloir produire leur énergie et, pire encore, s’affranchir partiellement du réseau central, cela est parfaitement insupportable pour un esprit fin et cultivé, habitué à servir le public, comme c’est le cas de notre « agrégé d’université ».
Dans sa liste dénonciatrice vient ensuite le tour du grand méchant « anticyclone sibérien », à qui il fait jouer le rôle habituel d’épouvantail thermique ne pouvant être combattu que par un chauffage électrique dont il continue à vanter les mérites contre les " prêtres de l’entropie » (comprendre "ayatollahs").
Cela lui permet de faire coup double : contre les éoliennes qui s’arrêtent de tourner juste à ce moment là et contre les autres modes de chauffage, incapables qu’ils sont d’assurer les calories en pointe de consommation et qui incitent les gens, de ce fait, d’acheter en urgence les appareils d’appoint que seule l’électricité serait capable d’approvisionner.
Car, comme c’est bien connu, seuls le chauffage au « gaz, au fuel ou tirés d’une pompe à chaleur » auraient besoin d’appoint. Il propose donc d’interdire les appareils d’appoint pour ces autres modes de chauffage.
Son message est-ce bien ? : si tout le monde avait un chauffage électrique, il n’y aurait pas besoin d’appareils d’appoint. Ou alors il n’y aurait pas de pointe, car toute la production serait considéré comme une production en base. C’est vrai que cela permettrait de justifier la construction d’une 40aine de GW nucléaires supplémentaires, soit 24 EPR.
Quelle que soit la réponse, notre « membre de l’Institut » nage en plein délire !
Don Quichotte, tel un dinosaure, sent que le monde nouveau lui échappe
Sieur Boiteux fait partie de cette génération de décideurs habitués à traquer la pénurie. Ayant reçu sa formation au lendemain de la guerre, toute son action s’est inscrite dans le contexte des Trente Glorieuses et son idéal de Progrès.
Traquer la pénurie était l’obsession des dirigeants et fonctionnaires qui ont façonné le visage de la France durant cette période.
Pour accomplir cette mission, leur premier souci était de veiller à un dimensionnement des équipements collectifs qui soit capable de répondre à la demande en toute circonstance.
Objectif louable. C’est ici qu’on retrouve le « kWh domestique » de MB.
Mais qu’est-ce que la pénurie ? A partir de quels niveaux d’ « insatisfaction » en parle-t-on ?
Tentons de l’approcher par un exemple vécu personnellement.
On se croirait au Tiers Monde
Ma voisine de palier, ingénieur d’armement à la retraite, a récemment fait savoir en réunion de co-propriété qu’elle s’opposerait à l’extinction, la nuit, de la pompe du circuit de bouclage de l’eau chaude.
Pour se justifier elle a fait valoir un argument imparable qui n’a pas eu de mal à convaincre le syndicat des co-propriétaires, composé en majorité de retraités.
Elle argua de la situation d’inconfort dans laquelle risqueraient de se trouver ceux qui, comme elle, auraient à prendre une douche à 4 h du matin, par exemple.
L’attente supplémentaire due à l’absence temporaire de bouclage que cette situation de « pénurie » lui imposerait (2’ ?) pouvant risquer de lui faire perdre l’éventuel avion matinal qu’un jour, peut-être, elle aurait à prendre.
Pour palier cette hypothétique inconvénient, dont les chances de se produire plus d’une fois par décennie sont à peu près nulles, décision a donc été prise de laisser la pompe tourner 24h/24, ad vitam aeternam. Pour la plus grande satisfaction morale, intellectuelle et, surtout, économique de Marcel Boiteux et d’EDF.
Ce combat contre la pénurie ne connaissant aucune limite, EDF, sous l’impulsion de dirigeants de la trempe de M. Boiteux, nous a dimensionné notre capacité de production d’électricité comme si la pointe de consommation hivernale devait se produire chaque soir.
La peur de manquer étant le trait commun de toute sa génération, il ne fut pas difficile à nos dirigeants de faire accepter aux Pouvoirs Publics les options de surdimensionnement en tous genres. L’exemple le plus abouti étant notre imposant parc électronucléaire.
Parlez-moi d’éoliennes…
Comment faire accepter à ceux qui ont œuvré (sévit ?) ces derniers 60 ans l’idée de sobriété et de recherche permanente de l’efficacité ou de régulation de la demande ?
Tâche d’autant plus difficile que leur traque de la pénurie finit par se transformer en une affaire rentable reposant sur le postulat – toujours d’actualité – d’une croissance infinie de la consommation. Ce qui conduisit à la politique obsessionnelle de l’offre menée par nos énergéticiens nationaux, basée sur l’idée que la production se trouverait toujours justifiée, a posteriori, par la consommation, fût-elle induite.
Dans l’esprit de MB, la décision de produire précède celle de consommer. Tel est son paradigme économique, fruit des représentations sociétales qu’il hérita d’une société obsédée par la traque à la pénurie.
Comment, dès lors, imaginer qu’un MB, et avec lui toute une génération de décideurs, accepte, ou ne serait-ce que comprenne l’avènement des éoliennes dans le paysage énergétique ?
Pour cette caste dirigeante un nouveau moyen de production ne se conçoit qu’en agrégeant sa capacité aux précédentes. Point en substitution.
L’éolienne venant en remplacement d’une unité existante lui paraît inconcevable. Sa production n’est que l’anticipation d’une demande sans cesse renouvelée. Il faut par conséquent lui adjoindre sa fameuse centrale au gaz qu’il nous présente comme indissociable. Et lui permet de faire ainsi ses calculs d’investissement, à l’instar des calculs d’émission de CO2 que d’autres « experts » en vue s’empressent de faire pour « carbonner » la production de ces « sympathiques outils alternatifs », comme MB appelle les éoliennes sur un ton suintant la condescendance. Tel est l’état d’esprit de celui qui ne jure que par le « lancement de vastes programmes ».
Et MB d’inviter la filière éolienne à rester dans le domaine de la R&D tant que la rentabilité n’est pas « approchée en attendant pouvoir descendre un jour sur le terrain »
MB et la caste qu’il représente ne vit pas sur la même planète que nous. Ou, plus précisément, il n’a pas vu passer le changement d’ère que l’humanité connaît depuis une dizaine d’années : 211 Mds d’€ rien qu’en 2011 ont été investis dans le monde dans les Enr et rien qu’en Europe à 27 la puissance éolienne installée dépasse les 100 GW pour une production de presque 200 TWh en 2012, soit plus du tiers de la production nucléaire française.
La sclérose guette notre pays tant que le clan auquel appartient notre « membre de l’Institut » sera écouté. Comme lorsqu’il conseille d’aller faire de l’éolien ailleurs, « dans les pays en développement et très éventés. » (il pense sans doute à l’Allemagne ou au Danemark). Ou comme lorsqu’il invite les « défenseurs du vent, pénétrés de la transcendance de leur cause », revenir pour « discuter utilement » dans dix ou 20 ans.
Accusant la filière éolienne, en attendant, de « se croire autorisée à asseoir leurs convictions et leur prosélytisme sur des arguments biaisés ».
MB nous délivre là, avec cette sentence, un bel exemple de ce que les psychologues appellent la "projection", c'est-à-dire une action ou affirmation plus ou moins consciente tendant à attribuer à ses adversaires la manifestation de ses propres turpitudes. Celles qu’il partage avec toute la galaxie nucléaire qu’il représente à merveille.