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CLAUDIO RUMOLINO

Géographe et énergéticien. Spécialisé dans le financement participatif des renouvelables

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Billet de blog 11 septembre 2016

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Esthètes en quête de pureté. Puristes en quête d'absolu : la France manque d’air.

Les conservatismes de tout bord convergent pour asphyxier le souffle éolien. Il existe un domaine très significatif de ces luttes acharnées pouvant frôler l'absurde : celles qui s’opposent à la production d'énergie renouvelable, notamment éolienne - technologie ayant le plus faible impact environnemental de toutes les formes de production, s’il fallait encore le rappeler.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La radicalisation de l'opposition à l'implantation de parcs éoliens atteint, en France, un degré d'absurdité et de brutalité inouï. Cette brutalité s'exprime de plusieurs formes, mais toutes convergent vers une alliance objective pour freiner, sinon empêcher, l'émergence libre et rapide de cette filière, tel que cela se vérifie pourtant partout ailleurs.

Toutes sortes de procès sont faits à ces sympathiques machines qui ne font que tourner, mues par l'énergie mécanique du vent. Leur mouvement nous révèle la présence de forces terrestres que le génie humain s'efforce de mettre en valeur, en la transformant et la transportant jusqu'au cœur de nos foyers.

Rien qu'en cela, rien que par ce résultat - relevant de la magie de l'ingéniosité des hommes et femmes qui le rendent possible -, la production éolienne devrait susciter l'adhésion de tous.

Mais même sans parler de ce résultat ; même sans analyser ces objectifs - atteints - louables en soi ; rien qu'en restant à la seule perception sensorielle que procure la vue de ces moulins dansant avec les flux d'air au rythme des partitions exécutées par le Dieu Eole, l'observateur désintéressé a du mal à comprendre le rejet que certains peuvent exprimer ou la violence des oppositions que la simple présence de ces machines peut susciter.

Animées d'une chorégraphie toute naturelle, les éoliennes apportent aux paysages la dynamique qui nous révèle les forces qui ont aidé à les façonner. Elles nous  apportent également l'indice d'une présence humaine sachant composer simplement avec son environnement pour mobiliser et mettre en valeur ces mêmes forces. Surtout, les éoliennes nous fournissent l’électricité dont nous avons besoin, sans exhumation de molécules fossiles demandant à être transformées par des moyens coûteux, dangereux et irréversibles.

Et dire que l’on ose parler de « nuisance » éolienne ? Un comble !

Car il faut le dire et le répéter, l'énergie captée et transformée par les éoliennes est la plus respectueuse de l'environnement ; ce que les esprits chagrins ou les nostalgiques de l'ordre ancien s'efforcent de nier pour faire porter à cette filière la responsabilité de maux imaginaires comme la défiguration des paysages, la perte de valeur immobilière ou d'attrait touristique, une pollution acoustique insupportable ou encore le massacre d’oiseaux.

Il n’y a pas de doute, aucun autre moyen de production d'électricité, mis à part le solaire photovoltaïque, ne provoque moins d'impacts sur l'environnement.

Mais alors, qui sont les opposants ? Qu'entendent-ils préserver ? De quoi au juste se prétendent-ils les défenseurs ?

Nous ne parlerons pas de ces opposants traditionnels - ou traditionnalistes -  à qui la simple vue d'une éolienne soulève le cœur car elle concentre la charge symbolique de l'atteinte à l'ordre dont ils se prétendent les défenseurs : châtelains, officiers, bourgeois en quête du graal bucolique fantasmé à la campagne... Au mépris de populations rurales qui n'ont que faire de la carte postale et subissent la situation d'un territoire préempté.

Le combat acharné de ces conservateurs trahit des motivations qui n'ont rien à voir avec le souci du bien commun. Leur souci étant plutôt celui de la défense d'intérêts particuliers : leur demeure, « leur » paysage, leur vision de l’organisation économique – et de l’ordre social.

Et le fait qu'une partie significative de l'armée française partage ce combat, à sa manière - c'est–à-dire en rendant de plus en plus difficile l'obtention de leur accord en faisant jouer leur souverain droit de véto -, ne fait que révéler l'atavisme d'une alliance de classe profondément ancrée dans notre histoire. [1]

L'analyse de la psychologie de ces opposants mériterait d'autres développements. Cependant, c'est sur une autre forme d'opposition, plus inédite, qu’il est intéressant de s'attarder : celle de groupes se réclamant de l'écologie ou, en tout cas, de la défense de l'environnement. Leur posture et leur combat laissent perplexe.

Invoquer la destruction d'une nature préservée pour contester la construction d'un parc éolien relève, au mieux, d'une étroitesse d'esprit incapable de voir plus loin que le bout de son nez ; au pire, d'une manipulation bien orchestrée conduisant à prêter main forte aux opposants traditionnels.

Certains de ces puristes, manipulés ou non, osent placer la lutte contre les éoliennes sur le même plan que celle qui anime les contestations contre les grands projets inutiles et imposés comme l'aéroport de NDDL ou le barrage de Sivens. Allant jusqu'à se réclamer initiateurs de nouvelles ZAD, ce qui ne peut que discréditer, par usurpation, d'autres luttes bien légitimes, rendant leur combat à la fois absurde, nuisible à la cause qu'ils prétendent défendre et, au final, pathétique.

L’action de ces puristes ne fait qu'entâcher la mémoire de certains militants qui ont payé de leur vie leur engagement, comme Vital Michalon ou Rémi Fraisse, qui doivent se retourner dans leur tombe.

C'est ainsi que des groupes sociaux aux intérêts et à la philosophie de vie diamétralement opposés deviennent des alliés objectifs dans une cause à rebours du sens de l'Histoire. La figure de ces opposants se confond avec celle du bien connu « idiot utile », servant la cause de ses propres ennemis.

Mouvement anti transition

La transition énergétique ne se conçoit pas uniquement comme l'évolution technique ou technologique de l'appareil de production (on devrait dire de "transformation") de l'énergie nécessaire aux activités humaines.

Il faut la comprendre comme une évolution principalement d'ordre sociétal car elle concerne d'abord un mode d'organisation des différents maillons de la chaîne d'activités concernées ; du captage de la ressource à sa consommation finale.

Mais en réalité c'est bien plus que cela puisque cette transition se donne pour objectif intangible la durabilité par une exploitation (on devrait dire un prélèvement) de ressources de flux et non de stock. Ce prélèvement de ressources s'opérant au plus près des lieux de consommation et impliquant autant que faire se peut les consommateurs eux-mêmes. C'est là le gage d'une meilleure prise de conscience de la valeur d'une ressource par ses utilisateurs.

Cette ressource énergétique est à comparer avec la ressource alimentaire, en tout point analogue en termes de rapport de l'Homme à la nature.

Consommer au plus près du gisement (on devrait dire du captage) une ressource obtenue avec le concours direct ou indirect du plus grand nombre de consommateurs - nous le sommes tous -  induit une répartition très dispersée des sites concernés. Et cette multiplication des sites et des sources signifie que chaque territoire sera mis à contribution.

Cette participation de chaque territoire devrait être appréhendée et perçue comme une obligation autant utile que morale. S'y soustraire ne peut être considéré que comme un privilège difficilement justifiable.

Dans une approche égalitaire, comme celle qui est invoquée pour justifier la péréquation tarifaire de la fourniture d'électricité, la production d'énergie renouvelable devrait s'imposer à tous selon le même principe et avec la même force. Aucun territoire ne devrait faire exception.[2]

Dans une telle configuration de mise à contribution de tout territoire, est-il concevable que certaines contrées prétendent échapper à l'effort collectif en avançant des arguments d'ordre esthétique (dont la dimension subjective ne peut être contestée) ? [3]

C'est ainsi que, au nom du respect d'appréciations toutes personnelles, d'aucuns revendiquent le droit - et l'obtiennent - de rester à l'écart d'un mouvement sociétal de fond : mouvement de transition engageant le pays  - engageant la planète ! - tout entier(e) vers un autre modèle de production de l'indispensable énergie dont ces habitants ont pourtant autant besoin que tous les autres.

A l'autre bout du spectre des opposants nous trouvons, pour tenter d'empêcher l'installation de nouvelles unités de production, ceux qui argueront d'une sobriété drastique, prétendant que celles-ci ne servent qu'à conforter le système productiviste qu'ils disent combattre. Inventant et colportant des arguments spécieux comme celui des terres rares ou de la bulle financière ; ou pire encore, l’argument de l’éolien « faire-valoir de l’atome » !

Ces pseudo arguments cachent en réalité le rejet viscéral de la société par des individus en quête de boucs émissaires permettant de justifier leur marginalité.

Le paradoxe de ces conservatismes, qu'ils soient d'inspiration esthétisante ou reposant sur des perceptions simplistes de la défense de l'environnement, c'est que, malgré leur apparent antagonisme, leurs fondements philosophiques se rejoignent dans leur refus d'une transition inéluctable. Retardant ainsi égoïstement le changement de paradigme énergétique dont l'avènement sera bénéfique à tous. Sauf aux intérêts immédiats de quelques-uns.

L'asphyxie nous menace Messieurs les conservateurs. Un peu d'air, s'il vous plaît.


[1] Nous savons désormais grâce au Ministère de l'Environnement que notre pays n'atteindra pas les objectifs qu'il s'est lui-même fixés en matière de lutte contre le dérèglement climatique dans le cadre d'une loi s'imposant à tous les pays européens. Le paquet énergie climat (le fameux trois fois vingt) ne sera pas respecté par la France, comme elle le devra pourtant, à l'échéance 2020. Principalement à cause du retard éolien.

La qualité des eaux de surface ou la biodiversité se voient rejoindre par un nouveau contentieux écologique en vue pour le pays qui s’autoproclame, sans rire, de « l’excellence écologique ».

Et c'est dans ce contexte que les contraintes aéronautiques se durcissent en permanence, ayant fait passer leur impact direct sur les difficultés d'autorisations des projets éoliens de 30 % à 70 % du territoire hexagonal depuis 2013.

[2] Ainsi, la péréquation tarifaire de la fourniture d’électricité – ou de gaz – devrait être appliquée en tenant compte de l’apport de chaque territoire au mix énergétique national. Le tarif de la fourniture n’a aucune raison d’être le même partout si ce principe égalitaire n’est qu’à sens unique.

La solidarité entre territoires, au nom de laquelle cette péréquation tarifaire s’applique, serait alors conditionnée à leur participation à l’effort de production d’énergie. Aussi le territoire qui décide de s’affranchir de toute participation au bouquet énergétique national n’aurait-il aucune raison de bénéficier de la solidarité tarifaire générale. Sauf pour les précaires énergétiques, dont la situation est traitée par d'autres mécanismes.

La mesure de l’effort de participation peut se faire en établissant un ratio entre énergie consommée et énergie produite à l’intérieur d’un périmètre d’une maille prédéfinie. De cette manière TOUS les territroires de la République seraient incités à tendre vers un statut de TEPOS (territoire à énergie positive).

[3] Allez faire un tour en Espagne, pays de patrimoine s'il en est, et vous verrez que la cohabitation entre châteaux et éoliennes ne nuit en rien à l'attrait touristique du pays. A moins de prétendre que les Espagnols ont un sens esthétique bien moins développé que le nôtre ?

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