Marrakech, 25 mai
La vieille ville, à l’intérieur de ses murailles, peut-être comparée à une fourmilière grouillante de ses habitants, où l’activité donne le tournis. Le tout dans un mélange de sons, d’odeurs, de musiques, de visages et de tenues vestimentaires très variés. Beaucoup de touristes, mais mêlés aux habitants et se côtoyant dans une étonnante indifférence de cultures : depuis la femme en niqab faisant ses courses aves trois gamins accrochés à ses basques, jusqu’aux Anglaises à peine vêtues laissant apparaître leurs chairs blanches ; ou le vieux édenté et barbu assis sur le côté de sa carriole tirée par un âne, se faufilant dans les rues étroites remplies de piétons et d’étales de toute sorte, hélant les Français en bermudas plantés au milieu de la chaussée pour prendre la photo.
Ces rues étroites… Succession interminable de boutiques lilliputiennes de toute sorte, aussi bien vendant des babioles pour touristes que des denrées de première nécessité, ou ateliers de réparation ou d’artisanat ; des barbiers, des agences immobilières dont la surface ne dépasse jamais, comme pour les autres échoppes, les 3 ou 4 m².
Des pressings ou des bouchers étalant viandes et abats sanguinolents pendus au droit des façades au-dessus de leurs mini comptoirs ; des vendeurs de fruits et/ou légumes, parfois uniques, ou d’herbes aromatiques, partout la menthe, les melons, les pastèques, les citrons ou les aubergines rachitiques. Et pas que dans les boutiques ; non, ils sont là, en plus des boutiques, étalés à même le sol ou stationnant devant le moindre m² de façade libre avec leur véhicule ou charriot ; avec ou sans l’animal servant à la traction.
Le commerce est ici omniprésent. Pour autant, jamais ou presque on ne verra un prix affiché. Car il n’y a pas un prix. Les articles proposés à la vente ne semblent être qu’un prétexte à l’échange. Echange porteur d’affect, réel ou simulé, le plus souvent simulé quand on est touriste ; affect sur lequel va s’appuyer la transaction pour susciter le sentiment de complicité et donner au chaland l’assurance qu’il fera une bonne affaire. C’est ainsi que la première réponse à une demande de prix par le client ce n’est pas un chiffre, mais le chiffre que vous ne payerez pas ou que vous devriez normalement payer : le prix n’est pas le prix de l’objet, mais celui personnellement proposé et qui l’est dans une phrase chargée d’affect.
Inutile de dire que le touriste, immédiatement repéré par sa tenue, sera accosté chaque minute par un vendeur différent, que ce soit pour une babiole, un vêtement ou un repas ; et cela dans la langue que l’allure de la proie aura fait deviner avec succès au vendeur : anglais, français, espagnol ou Italien.
Toute sorte de pratiques d’approche sont déployées. De la plus lourde à la plus subtile. Celle-ci commence généralement par une offre en apparence désintéressée (Rachid va vous faire découvrir un lieu) et, de fil en aiguille on finit par se trouver à visiter ce lieu qu’on n’imaginait pas – les tanneries fétides – et un guide impromptu se fend en explications sur l’activité exposée, vous conduit à la boutique-atelier en fin de parcours pour vous laisser entre les mains de vendeurs aguerris et, que vous ayez acheté ou non, Rachid attendra dehors pour réclamer la pièce qui rémunérera la visite guidée que vous n’avez jamais demandée.
Mais attention à la pingrerie, car notre guide improvisé et mal fagoté ne se contente pas d’une pièce : non, il connaît le pouvoir d’achat d’un Européen moyen, capable de se payer un voyage au Maroc et dira sans détours que la pièce de 10 dirhams que vous lui tendez ne représente qu’un misérable Euro. Ne lui faites pas la réponse d’esquive classique consistant à dire que vous n’avez que des « grosses » coupures, comme par exemple 100 dirhams. Il vous sortira de ses poche la monnaie permettant de le payer au tarif qu’il considère « normal » et vous tend les 50 Dh, scellant ainsi de fait une transaction à 50 Dh qu’on aurait du mal à discuter sans se faire traiter de misérable.