Contrairement à ce que nous avons constaté depuis ces 150 dernières années au cours desquelles la richesse économique et la puissance industrielle se sont bâties sur la base d'une énergie abondante et pas chère, il semblerait que désormais cette puissance et cette richesse se baseront sur la capacité d'une société à s'adapter et à vivre avec une énergie rare et chère.
Courir derrière le mythe prométhéen d'une énergie inépuisable et - en apparence - bon marché, comme le fait la France depuis 40 ans avec son programme électronucléaire, est non seulement un non-sens philosophique. Mais c'est également, et cela devient chaque jour plus clair, une fausse route sur le plan économique.
La poursuite obstinée sur cette voie conduit notre pays à sa perte.
Quels sont les ressorts de tant d'obstination et de cécité ? Par la capacité d'action que l'accès et l'usage de l'énergie confèrent aux sociétés humaines, celle-ci représente un formidable outil de pouvoir pour ceux qui maîtrisent sa production et sa fourniture. Les promoteurs du programme nucléaire français ne se sont pas trompés en voyant en lui le moyen le plus sûr d'asseoir leur domination sur l'immense majorité de leurs concitoyens.
Dans une société française profondément marquée par une Histoire traversée de luttes impitoyables pour la conquête et par le maintien de pouvoirs établis à travers notamment la prégnance du passé aristocratique qui irrigue et anime encore nos élites, y compris quand celles-ci se réclament des valeurs "républicaines", cela n'a finalement rien de bien étonnant de voir que l'énergie soit devenue l'enjeu qui cristallise le pouvoir et la domination du plus grand nombre par des cercles restreints d'individus issus d'un moule les ayant formatés pour cela.
Les traditionnels corps d'ingénieurs créés à d'autres époques, mais ayant survécu aux changements de régime, aux révolutions et guerres diverses, comme les X, mines et ponts, sont les exemples les plus achevés de ces élites aristocratiques qui n'ont jamais accepté ni supporté que le pouvoir de décision de ce qui était bon pour le peuple leur échappe.
Ces Corps sont capables de faire de grandes choses sur le plan matériel. Au service du bien commun ?
Le bien commun commanderait en 2012 que toutes nos énergies soient déployées à travailler pour nous donner une résilience face aux pénuries énergétiques qui s'annoncent. Développer la capacité d'adaptation est un acte émancipateur qui tend à libérer les individus et les sociétés de l'emprise de ses conditionnements et de ses addictions. Le contraire exact de ce que peuvent souhaiter nos élites dominantes.
L'industrie française du XXIe siècle ne se construira pas sur les bases d'un modèle sociologique encore imprégné d'élitisme - fût-il "républicain" - dans ses instances décisionnaires. Tant qu'une oligarchie dite éclairée (illuminée ?) restera aux commandes de notre économie, le programme électronucléaire restera au zénith des classes dominantes, nous empêchera d'entamer notre transition énergétique et le pays n'aura aucune chance de voir le XXIe siècle en face. La préservation et la poursuite du nucléaire est un cas d'école de ce que le conservatisme et capable de faire pour s'accrocher à ses privilèges.