La production d’électricité éolienne bénéficie, dans tous les pays européens, et même au-delà, de dispositifs de soutien ayant permis à cette filière, comme ce fut le cas de tant d’autres, de décoller. De ce fait, elle a pu acquérir une maturité technologique qui fait d’elle un succès industriel remarquable : pour donner une idée de son ampleur il faut savoir que la capacité de production éolienne installée rien qu’entre 2010 et 2011, équivaut à la capacité de production de vingt-neuf réacteurs nucléaires.
Il existe en Europe principalement deux types de soutien que sont les certificats verts et les tarifs d’achat bonifiés (TA).
La France ayant choisi ce dernier, c’est grâce aux l’arrêtés tarifaires successifs que la filière a connu un relatif succès avec une croissance ininterrompue jusqu’en 2010, année du vote de la loi Grenelle 2 qui mit un frein regrettable à son développement (tout en proclamant le contraire).
Pour des raisons qui restent obscures, la France n’avait pas notifié à la Commission Européenne ce mécanisme de TA, contrairement aux autres pays européens.
La raison couramment évoquée pour justifier cette absence de notification consistait à dire que seules les « aides d’Etat » nécessitent d’une telle notification. Par conséquent, aux yeux des autorités françaises, le TA éolien semblerait ne pas avoir été considérée comme telle.
La logique sous-jacente à cette obligation de notification est celle de permettre à la Commission de juger d’une éventuelle concurrence faussée par une aide publique introduisant une distorsion dans le marché concerné.
Sans s’attarder sur la validité de la position des autorités françaises, une association bien connue pour ses prises de position systématiquement contraires à tout projet éolien a formé un recours devant le Conseil d’Etat pour dénoncer l’absence de notification de ce qu’elle considère être bien une aide d’Etat.
La plus haute juridiction administrative s’est déclarée incapable, le 15 mai 2012, de dire si le TA éolien constitue ou non une aide d’Etat et a renvoyé la question devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. Celle-ci devra donc dire si le TA en vigueur en France pour soutenir la filière éolienne est une « aide d’Etat ». Avec pour conséquence, si la réponse est positive, une obligation de notification qui sera jugée non respectée.
Le TA serait alors, par pur formalisme, tout simplement annulé. Laissant toute une filière industrielle et ses dix-mille salariés dans une situation très précaire. Cette précarité est constatée déjà depuis que la question a été soulevée par l’association « Vent de Colère », et qui se traduit par la perte quasi totale de confiance de la part des banques, entraînant d’insurmontables difficultés pour financer les projets.
La filière éolienne est paralysée en 2012, après avoir été entravée en 2011 par l’entrée en vigueur de la loi Grenelle 2.
Ainsi donc il faut prendre acte de la nécessité absolue de notifier à Bruxelles tout soutien financier qu’un Etat membre déciderait d’apporter à un acteur économique, que ce soutien financier soit présupposé « aide d’Etat » ou non et quelle que soit la forme de ce soutien.
Au-delà du formalisme de la démarche, la Commission doit pouvoir déterminer si le soutien en question, potentiellement qualifié d’aide d’Etat, est (ou a été) de nature à fausser la concurrence entre acteurs économiques présents sur un même marché.
On peut ou non être d’accord avec ces règles, le fait est qu’elles s’appliquent à tous et, jusqu’à preuve du contraire, quelle que soit la filière. Le fait qu’un Etat juge que telle filière relève de sa souveraineté et soit considéré stratégique ne le dispense pas du devoir de notification.
La question que doit se poser le secteur de l’énergie en France devient alors celle du respect de ces contraintes par l’ensemble de ses acteurs.
Tous égaux devant les lois ?
Il est communément admis en 2012, y compris par les autorités de sûreté, que la filière électronucléaire pourrait être responsable d’accidents majeurs dont les conséquences pourraient se chiffrer en centaines de milliards d’Euros.
Le risque que toute activité fait courir à son environnement, naturel ou humain, doit obligatoirement être couvert par une assurance. La plus petite association sportive de quartier souscrit une police en responsabilité civile.
Pourtant, ce n’est pas le cas de nos centrales nucléaires. Ou plutôt, cette couverture des dégâts le sont pour un montant limité à moins de cent millions d’Euros, soit une sous-évaluation d’un facteur mille à dix-mille.
L’Etat français étant directement impliqué dans la gestion de ses centrales de production d’électricité puisque actionnaire majoritaire (à hauteur de 84 %) d’EDF, sans compter qu’il a la responsabilité de nommer les autorités de contrôle (il est en quelque sorte juge et partie), c’est lui qui serait appelé à couvrir les dégâts potentiels d’un accident nucléaire dès lors que son coût dépasserait la somme assurée.
Mais, là encore, pour un montant limité : 700 M€, c’est déjà mieux. Cela reste largement (mille fois) insuffisant. Au-delà de ce montant de dégâts, les dommages sont à la charge des victimes.
Autrement-dit, quoi que très largement insuffisante, la couverture du défaut assurantiel des exploitants par la puissance publique peut être facilement assimilée une aide d’Etat.
Il serait par conséquent nécessaire de mobiliser tous les moyens juridiques pour que soit respecté le principe d’égalité devant la loi afin que :
1) tout mécanisme de soutien à une filière industrielle soit notifié à la Commission Européenne.
2) Bruxelles puisse se prononcer sur l’éventuelle distorsion de concurrence dont aurait bénéficié l’industrie nucléaire française par la prise en charge par l’Etat de ses coûts assurantiels.
3) EDF ou l’Etat français mette sans tarder en place un fonds de garantie couvrant ce risque, à défaut de pouvoir l’assurer.
4) Le montant de cette aide (ou soutien) soit enfin évalué et permette aux filières concurrentes pour la production d’électricité (éolien, solaire, biomasse, cogénération, hydroélectricité, etc.) d’obtenir une compensation financière équivalente à celle dont aurait bénéficié la filière nucléaire.
Il sera alors possible de comparer le préjudice subi par ces filières concurrentes, aux soutiens dont elles bénéficient grâce aux TA. Si tant est que ceux-ci sont considérés comme aide d’Etat par la CJUE et reconnus comme responsables d’une distorsion de concurrence.
Le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) et France Energie Eolienne (FEE) devraient sans tarder se saisir de cette question, avec l’appui de toute institution représentative des intérêts des industries de production d’électricité renouvelable, mais également avec l’appui des organisations qui militent pour l’abandon de la production électro-nucléaire, redoutent les conséquences d’un accident majeur et s’insurgent contre les conditions déloyales qui ont historiquement permis à une industrie d’origine militaire de se développer sur le marché civil au détriment des autres filières, écrasées économiquement par l’aide massive que l’Etat français a apporté à la filière nucléaire civile.
L’association « Vent de Colère » devrait être remerciée d’avoir ouvert cette voie juridique. Hors toute considération éthique ou de sûreté, et si les mécanismes d’économie libérale en vigueur sont respectés, cela devrait aboutir à une condamnation des principaux exploitants du nucléaire, en France comme ailleurs.