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Billet de blog 1 avril 2017

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Peuples amérindiens de Guyane: ne les oublions pas!

Le 28 mars dernier, les guyanais sont descendus dans la rue et ont crié tous en coeur : «Nou Gon Ké Sa». Dans le cortège tout vêtu de noir, code vestimentaire du défilé, les «peuples autochtones amérindiens» se détachent par leur tenu rouge. Ils adressent leurs revendications aux ministres arrivés mercredi 29 mars dernier.

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Le 28 mars dernier, les Guyanais sont descendus dans la rue et ont crié tous en coeur : “Nou Gon Ké Sa”. Descendant du Fort Cépérou à l’ouest de Cayenne pour rejoindre le cortège qui démarrait Avenue Nelson Mandela à l’est, le cortège des peuples Amérindiens de Guyane défile sous les applaudissements de la foule, poings levés, en signe de ralliement au combat démocratique en marche.

Rassemblement historique, il l’était aussi par la présence de ces communautés amérindiennes, souvent grands oubliés des revendications citoyennes de Guyane, et de la République française en général. Au lendemain de la rencontre de l’ensemble des autres collectifs “Pou la Gwiyann Dekolé” avec les ministres de l’Intérieur et de l’Outre-Mer, ils adressent leurs revendications à la délégation ministérielle arrivée mercredi 29 mars. 

 Le melting pot guyanais et la place des peuples autochtones

Si le rassemblement du 28 mars a donné à voir l’image d’une société unie et solidaire autour d’un socle de revendications communes et partagées1, c’est néanmoins sans compter l’extrême diversité et la pluralité extraordinaire des communautés humaines qui forment l’identité guyanaise.

Contrairement à nos voisins antillais, la Guyane se caractérise en effet par une présence non majoritaire de la population créole (elle représenterait 40% de la population guyanaise). Ces créoles guyanais sont des descendants d’esclaves affranchis par le “colon français” - rappelons-nous à ce sujet que la Guyane était une colonie française jusqu’en 1946, le 19 mars pour être exact, date à laquelle le Général De Gaulle accorde à la Guyane le statut de département français.

Si les hommes et femmes venus de métropole constituent aujourd’hui environ 12% de la population, en faisant une minorité à part entière, le reste de la population guyanaise est constituée en particulier de communautés Hmongs2  et de communautés bushinenghés descendants des noirs-marrons, esclaves ayant fuis les plantations3. A cela s’ajoutent les dernières vagues d’immigration du 20ème siècle, qui n’ont commencé à baisser qu’à partir de 2007 et qui représente près de 40% de la population actuelle de la Guyane. Ils viennent notamment de Haïti, du Brésil voisin, du Suriname bien sûr, notamment pendant la guerre civile de 1986, et puis plus récemment du Guyana et du Vénézuela. On compte aujourd’hui près de 35% d’étrangers nationaux

La Guyane est donc un melting-pot extraordinaire, territoire d’immigration majeur. C’est toutefois sans compter la présence des peuples autochtones amérindiens, présents sur le “Plateau des Guyanes” depuis plus de 40 000 ans4. Ils ne sont pourtant aujourd’hui plus que 10 000 à peupler les terres guyanaises, répartis en sept communautés : les Kali’na, les Lokonos, les Palikurs, les Tekos, les Wayapis, les Apalaï et les Wayanas. Ces communautés dites aussi amérindiennes vivent aujourd’hui dans des villages le long de la principale route du pays, la Route Nationale, et le long des fleuves Maroni et Oiapoque. Ces peuples constituent une part importante de l’identité guyanaise, qui est aujourd’hui revendiquée comme telle.

Des mesures d’exceptions…

Ces peuples amérindiens ont ainsi fait l’objet de politiques publiques de mise en valeur de ce qui est reconnu comme “un patrimoine culturel”, véhiculant une image d’Epinal” relayée par les politiques touristiques sur fond de développement économique endogène. Des politiques dérogatoires au droit commun sont mises en place pour permettre au communautés amérindiennes de continuer à pratiquer et vivre selon leurs modes de vie ancestraux. 

A titre d’exemple, dans la ville de Saint Laurent du Maroni, où on retrouve aussi une forte communauté “boni”, a été créé des Zones de Droit d'Usage Collectif, les ZDUC pour les initiés, sur le modèle des ZRU, Zones de Renouvellement Urbain ou des QPV, les Quartiers Politiques de la Ville. Dans le périmètre de la ZDUC, des dérogations au droit commun sont ainsi autorisées: on peut ainsi y pratiquer des cultures, la pêche ou la chasse en dérogation aux réglementations en vigueur, la propriété ne peut y être accordée qu’aux membres de la communauté et sur approbation du chef coutumier, qui a même un droit de regard sur les locataires5

Ces politiques “dérogatoires” concernent des villes entières, rassemblant une majorité d’amérindiens, comme Camopi à la frontière avec le Brésil à l’est ou Awala-Yalimapo au bord du fleuve Maroni à l’ouest. Dans ces villes de quelques milliers d’habitants, la notion de propriété privée n’existe pas et le droit de propriété tel que défini par la Constitution et la philosophie occidentale, ne s’applique pas, entrainant des réglementations différentes sur le foncier et sa fiscalité notamment6.

Sur la valeur patrimoniale et touristique des cultures amérindiennes, on notera la mise en place de panneaux d’indication positionnés à l’entrée des villages le long de la RN et sur les routes départementales qui invitent le passant à fréquenter des marchés mettant en valeur les pratiques artisanales. Sur le plan purement symbolique, des statuts des différentes communautés ornent le rond point à l’entrée de la ville de Kourou. Le rond point de Califourchon à Matoury accueille des sculptures en bois de Guyane, symbole du lien à la forêt ancré dans la culture amérindienne.  

...qui cachent un malaise profond

Ces mesures paraissent pourtant anecdotiques au regard de la situation absolument désastreuse dans laquelle se trouve aujourd’hui ces populations. Comme le note Raymond Depardon dans la préface de l’ouvrage collectif “Les Abandonnés de la République. Vie et mort des Amérindiens de Guyane”, publié aux éditions Albin Michel : “les dispositifs juridiques existants apparaissent encore bien fragiles par rapport aux menaces qui pèsent sur l’existence de certains groupes”7.

La tâche est en effet immense, la responsabilité de la France, incontournable. En 2015, un rapport d’enquête est remis au ministre des Outre-Mer par deux députés qui note : “ le drame stupéfiant du suicide chez les jeunes se déroule dans le silence le plus complet”. Le rapport souligne ainsi que les mesures mises en place ne semblent pas suffire à endiguer le phénomène qui touche en moyenne 8 à 10 fois plus que la moyenne des guyanais et qui continue de décimer, en silence, la population amérindienne de Guyane.

Depuis des années, les peuples autochtones tirent la sonnette d’alarme, allant jusqu’à créer une pétition en 2016 sur internet, pour la ratification de la Convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail, seul moyen juridique contraignant permettant l’application des Droits autochtones en France.

Cette demande est relayée dans un rapport rendu en février de la même année par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui fait le constat de “l’insuffisante prise en compte des spécificités des peuples autochtones, le non-respect de leur identité, de leur culture, de leur langue, de leurs traditions sont à la source de graves discriminations”. Depuis ce jour, rien n’a été fait. L’argument invoqué encore récemment par les fonctionnaires de l’Etat venus à Cayenne suite à la grève générale de lundi 27 mars: la nécessité de modifier la Constitution…et la longueur de la procédure. 

Quelle place dans les revendications du “Mouvement du 28 mars”?

Mardi dernier, les peuples autochtones amérindiens étaient bien présents dans le cortège mais aussi dans les débats. C’est la première fois de mémoire d’histoire guyanaise que les communautés amérindiennes se joignent aux revendications de l’ensemble de la population. C’est aussi la première fois que des revendications sont portées aussi largement par l’ensemble de la population guyanaise

Récemment encore, leurs demandes avaient été relayée à l’occasion du débat sur le “dossier Norgold”, du nom du consortium russo-canadien, détenu à 90% par la Russie, qui prévoit la création d’une mine d’or. Le site, situé en pleine forêt amazonienne, représente 150 stades de foot. Le 15 mars dernier, le collectif Or de Question organise une conférence publique sur le sujet, après avoir mobilisé près de 25 organisations rassemblées autour des enjeux environnementaux - chose rare en Guyane, tant il est vrai qu’il existe autant de collectif que de points de vue sur ces questions. 

A cette occasion, les peuples amérindiens sont représentés pour faire valoir leur droit en matière de foncier, sur les problèmes de contamination au mercure et réclamer une concertation de la population locale vivant à proximité du site. Moins d’une semaine plus tard, ils se joignent aux revendications communes du Mouvement du 28 mars en publiant leur cahier de doléance au gouvernement sur la plateforme collaborative rassemblant l’ensemble des collectifs guyanais, sur laquelle une catégorie “peuples autochtones” a été créé, à côté des thématiques de santé, éducation, sécurité ou économie, etc.

Rencontrés vendredi 31 mars par les ministres de l’Intérieur et de l’Outre-Mer, leur arrivée dans les négociations intervient le lendemain de la rencontre des collectifs, représentés par le collectif Pou La Gwiyann Dekolé, avec les représentants de l’Etat à la Préfecture jeudi 30 mars. Leurs revendications sont nombreuses et ne datent pas d’hier. La liste diffusée par les collectifs représentant les communautés montre en particulier le souhait d’une reconnaissance de la culture et des institutions coutumières pour elles-mêmes, mais aussi et surtout, au sein des instances de représentation démocratique et de gestion de la chose publique en Guyane. 

Il revient donc à l’Etat et aux collectivités, au niveau régional et communal, de prendre leur responsabilité pour intégrer les revendications des peuples autochtones au coeur du fonctionnement des institutions et non plus seulement à coup d’enveloppes de billet mal gérées, faute de moyens et de relais locaux. Il en va de la pérennité du développement de ces communautés et de la Guyane dans son ensemble. Cela serait aussi l’espoir d’un rassemblement de la Guyane autour des peuples Amérindiens, dont la cause est celle de l’humanité et de son rapport à elle-même dans une société post-industrielle, en lutte avec une vision capitaliste et néo-libérale qui ne répond pas aux enjeux posés par la société guyanaise.

1. Voir la plateforme commune créée par le collectif “Pou la Gwiyann Dekolé” : nougonkesa.fr

2. Peuple d’agriculteur, concentrés principalement dans les communes de Roura et Cacoa, l’Etat français les a fait venir d’Asie du Sud Est en 1977 et pour peupler la Guyane suite à leur soutien dans la lutte contre les communistes Viet-namien et après l’indépendance du Viet Nam en 1975.

3. Il existe d’ailleurs plusieurs communautés “bushi” qui se situent principalement à l’ouest et particulièrement dans la ville de Saint Laurent du Maroni : il s’agit des Saramacas, Paramacs, Alukus (ou Bonis), Djukas, Kwintis et Matawais.

4. Pour plus de détails sur cette part sombre de notre histoire occidentale, s’en référer à l’ouvrage “Les Abandonnés de la République. Vie et mort des Amérindiens de Guyane” aux éditions Albin Michel.

5. A lire, à ce sujet le “document contexte” issu des Ateliers de Maîtrise d’oeuvre urbaine de Cergy Pontoise organisés en 2016 sur le thème “Saint Laurent du Maroni, la transition urbaine d’une ville française en Amazonie : http://www.ateliers.org/IMG/pdf/les_ateliers___document_de_contexte_slm2060_v8_compressed.pdf

6. “La Guyane, pour un développement durable amazonien”, Daniel MANGAL, Ibis Rouge Editions, 2014.

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