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Billet de blog 3 décembre 2015

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Etat d’urgence ou acharnement policier contre les militants climatiques ?

Plusieurs récits et bilans du traitement policier de la manifestation pour le climat tenue ce dimanche 29 novembre à Paris sur la Place de la République sont parus pour dénoncer la violence policière. Divisés sur la question des moyens de lutte entre violence et non-violence, les opposants à l'événement font néanmoins tous face à l'arsenal répressif débridé d'un état d'urgence asymétrique.

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Manifestants encerclés à la nuit tombée (République)

 Garde-à-vue ou détention extra-judiciaire?

L’action « bravons l’Etat d’urgence » - à laquelle conviait un appel signé notamment par Frédéric Lordon, Eric Hazan et François Cusset – a débouché sur 341 arrestations et 317 privations temporaires de liberté. Neuf d’entre elles ont été prolongées.

Pour aller plus loin, et tout en recommandant le récit sonore de la Parisienne libérée, je partagerai dans ce billet quelques détails sur ce qui s’est passé que je tiens d’une source militante souhaitant rester anonyme. Commençons par une petite précision terminologique. Une garde-à-vue devant être notifiée dès son commencement, les neuf premières heures de confinement sur la Place de la République puis sur le parking du commissariat de Bobigny (durant laquelle les 130 militants en question n’ont rien pu manger et n’ont été que rarement accompagnés pour faire leurs besoins) ont correspondu à une privation temporaire de liberté de fait et non en droit. C’est la raison pour laquelle certains ont refusé de signer le procès-verbal mensonger établissant leur garde-à-vue à partir du moment de l’encerclement policier de leur groupe vers 15h45. Il conviendra donc d'employer le terme de "garde-à-vue" avec des pincettes, faute de pouvoir d'ores et déjà parler de détention extrajudiciaire.

Pour beaucoup, il s’agissait de leur première nuit dans un commissariat. Désobéissants mais non-violents, ils étaient conscients des risques tout en pensant être davantage à l’abri des arrestations dans le cortège emmené par le NPA, qui manifestait pacifiquement en tournant en rond sur la place. Nombreux furent ceux et celles qui, peu conscients de leurs droits, n’ont pas demandé d’avocat et ont répondu à toutes les questions de l’officier de police judiciaire. Néanmoins, il n’était pas nécessaire d’être un habitué des commissariats pour ne pas se sentir rassuré par de telles conditions de détention. Les heures d’encerclement ponctuées d’arrestations au compte-goutte ont laissé le temps aux numéros d’avocats de circuler, mais il s’est évidemment avéré impossible pour les trois avocats sympathisants de se rendre dans tous les commissariats franciliens qui ont accueilli les manifestants. Au final, comme me l’a confié une autre source comprise dans le même groupe, il était plus judicieux de demander un avocat commis d’office.

Les commissariats franciliens saturés

A raison d’une dizaine de manifestants par commissariat sur un total de 130 dans la poche concernée, on peut en déduire qu’au moins 13 commissariats en Ile-de-France ont été sollicités pour faire face à l’afflux. Selon des informations militantes, les 130 militants au complet ont été parqués à partir de 21 heures dans la cour du commissariat de Bobigny où ils ont attendu au moins trois heures dans le froid et la faim que d'autres fourgons de police viennent les chercher. Le dernier voyage aurait eu lieu vers une heure du matin. Une question était sur toutes les lèvres : « est-ce que nous sommes en garde-à-vue ? ». Une dizaine de policiers restaient plantés là à les observer, faisant mine de ne pas savoir.

Dès les premiers jets de chaussures et autres projectiles à leur attention, la consigne des policiers a manifestement été d’arrêter toutes les personnes restées sur la place. Une fois entouré, le cortège des 130 s’est très progressivement vidé de ses participants. Les premiers ont été arrachés de force par des CRS nerveux, tandis que le noyau dur s’est fait avoir à l’usure. Après avoir épuisé leur répertoire de chants révolutionnaires et autres, entonné tous les slogans anti-policiers qu’ils connaissaient et en avoir inventé d’autres (il y en a un, simple et efficace, qui continue à trotter dans la tête de ma source : « On a pas besoin… de votre protection ! »), à la nuit tombée, exténués et humiliés, des dizaines d’entre eux ont commencé à « faire la queue pour se faire arrêter », littéralement.

"De toute façon, vous allez tous y passer"

Le chef de brigade, selon ma source, présentait la situation de la manière suivante : « De toute façon vous allez tous y passer, donc est-ce que quelqu’un veut gagner du temps ? ». L’organisation policière, qui semblait bien rôdée au début, a cependant souffert du manque de bus et fourgons disponibles dans un premier temps, et de la saturation des commissariats par la suite.

De fait, a-t-on à ce point besoin de toute cette « protection » supplémentaire induite par l’état d’urgence ? Sur les 6300 policiers affectés à la sécurité de la capitale durant le week-end du 29-30 novembre, combien de milliers d’entre eux étaient à République dimanche ? Ceux-là étaient-ils occupés à lutter contre le terrorisme ? Et les préfets qui, sur tout le territoire, assignent à résidence, perquisitionnent et bloquent aux frontières des personnes qui se trouvent simplement être des militants écologistes ou anticapitalistes même pas toujours actifs, ils luttent contre le terrorisme eux aussi ?   Entre liberté et pseudo-sécurité, il faut choisir.

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