La France est intervenue, intervient toujours en Afghanistan, elle vient d'intervenir en Libye, on réclame qu'elle fasse pareil en Côte d'Ivoire. Elle pourrait aussi intervenir au Niger pour empêcher les prises d'otage. Il faudrait qu'elle intervienne au Yemen, en Syrie, au Bahrein, en Iran, en Arabie Saoudite, en Thaïlande, en Chine...
Je ne conteste pas les raisons : il y en a toujours de bonnes. Ici il s'agit de protéger les femmes contre un pouvoir masculin qui les menace. Là il s'agit de protéger un groupe tribal entré en rebellion, ailleurs de remettre le pouvoir au vainqueur reconnu d'une élection, autre part de protéger des manifestants, plus loin de faire tomber une dictature de droite, plus loin encore de gauche etc.
Le problème est que ces interventions tuent et tuent en nombre des soldats qu'on a décrétés ennemis. On n'a beau montrer que des carcasses de char après les bombardements en Lybie, ces chars n'étaient pas téléguidés. Il devait bien y avoir aussi quelques fantassins autour. On a beau vanter la chirurgie des bombardements, cette chirurgie bave beaucoup et même de façon régulière. On ne compte plus en Afghanistan les dépêches plus ou moins discrètement connues révélant des bombardements de villages meurtriers en vieillards, femmes et enfants. Au Pakistan, c'est pratiquement chaque semaine que les drones américains font des victimes civiles.
Des drones américains... je m'égare. C'est de l'interventionnisme français dont je voulais parler. Non, je ne m'égare pas. Quand on aide un allié à combattre, on trempe ses mains dans le sang qu'il fait couler.
Mais l'interventionnisme n'est pas seulement sanguinaire, il est aussi profondément injuste. Et de façon d'autant plus insupportable qu'il fait le plus souvent baser sa légitimité sur la justice. Il est injuste parce qu'il s'accompagne du passage à l'acte toujours quand les attaquants courent un risque minime. La France n'attaquera jamais la Chine, bien sûr.
A partir du moment où la disproportion, l'asymétrie des moyens permettent l'agression sans gros risques, avec des pertes rapportées au camp d'en face qui varient entre le un pour cent et le un pour mille, les droits des va-t-en-guerre ne manquent pas : droit à l'ingérence humanitaire en Libye bien sûr aujourd'hui comme en Yougoslavie hier, droit aux représailles en Afghanistan, droit de précaution contre des armes de destruction massive en Irak, droit de lutte contre le terrorisme dans un de ses foyers, droit de défendre des intérêts économiques ou stratégiques considérés comme vitaux, droit aussi de poursuivre dans leur base arrière -comme au Pakistan- les résistants d'un pays occupé (l'Afghanistan). La raison du plus fort est plus que jamais la meilleure.
S'agissant du droit d'ingérence (humanitaire en Libye, politique en Côte d'Ivoire) qui est mis en avant (par la droite bien sûr, mais aussi, hélas ! par la gauche socialiste), il est peut-être quand même bon de rappeler le grand principe gaullien sur la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes. Bien sûr il faut équilibrer ce principe qui ne doit pas être celui de la tolérance aveugle ou de la complaisance coupable. Mais la diplomatie dépourvue d'arrogance, active et généreuse, l'utilisation intelligente et résolue des sanctions économiques peuvent toujours éviter d'en venir aux armes. Sur ce principe que je viens de rappeler, la diplomatie gaulliste depuis la fin de la guerre d'Algérie et jusqu'à la première guerre du Golfe a su non seulement éviter la guerre d'agression mais a aidé à mettre fin au Vietnam au pire conflit que le monde ait connu depuis 1945. Qu'au Cambodge ou ailleurs se soient passés pendant ce temps-là quelques épisodes regrettables de l'histoire du monde, c'est vrai. Le choix de la paix n'est jamais une chose simple et les pacifistes se font souvent traiter de lâches. De Gaulle, il me semble, ne craignait pas trop de se faire attaquer de ce côté-là !
Sarkozy dès maintenant, Aubry demain peut-être (en montrant aujourd'hui qu'elle n'a pas trop hâte de faire joujou avec les canonnières !) pourraient sans déchoir se placer sous ce grand patronage.
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