"Il faut ôter le permis de tuer à Bachar-al-Assad", réclament quelques cinquante personnalités dans le Financial Time. "Oter le permis de tuer", la formule est neuve. L'idée, elle, l'est moins. Aussi vieille que ce siècle en tout cas.
Il fallait ôter le permis de tuer aux talibans, il fallait l'ôter à Sadam Hussein, il fallait l'ôter à Khadafi. Résultat : plus d'un million de morts. La sinistre occupation de l'Irak, la guerre civile alimentée par les manoeuvres américaines. Une guerre de type colonial qui s'éternise dans un Afghanistan d'abord écrasé de bombes. Une Lybie sous contrôle de l'OTAN avec un régime théocratique.
Curieusement, lorsque les Etats-Unis ou Israël font usage de leur "permis de tuer", on n'entend pas ainsi de grands appels à les en priver d'abord. Envoyer un commando au Pakistan pour y massacrer Ben Laden et sa famille, armer des drones de bombes qui vont faire des milliers de morts dans ce même pays, utiliser des services secrets pour assassiner des savants iraniens, déverser des bombes au phosphore qui brûlent des enfants palestiniens à Gaza etc., cela paraît pratiquement normal. Il est vrai que la puissance qui a la plus grande capacité meurtrière de toute la planète et celle qui a la plus grande au Proche Orient imposent d'être ménagées.
Axe du mal, Etats voyoux et maintenant dirigeants tueurs, l'information à sens unique dont nous sommes accablés renouvelle tous les dix ans son vocabulaire mais pas son affligeant simplisme. Simplisme qui, appliqué à un réel mouvant, complexe, contradictoire, peut être la première et la plus redoutable des armes.
Il y a , il est vrai, une volonté d'émancipation des masses arabes soumises à un pouvoir fort qui a conduit en Tunisie et en Egypte deux révolutions internes et pacifiques qu'on a appelé "le printemps arabe". Il y a, et c'est tout aussi vrai, de la part des Etats-Unis, d'Israël, de l'Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe inféodées à l'Occident une volonté d'allumer des contre-feux à ces révolutions en renforçant, sinon en faisant naître, des rebellions dans les pays qui échappent peu ou prou à leur tutelle. la Lybie était de ceux-là. La Syrie l'est aujourd'hui.
La Syrie est l'alliée du Hamas au Liban et elle est l'alliée de l'Iran, ennemi intime des USA et d'Israël. Voilà ce qu'on ne pardonne pas aux père et fils Assad.. Voilà pourquoi le mouvement rebelle en Syrie est une aubaine pour les intérêts convergents d'Israël , des Etats-Unis et des monarchies du Golfe. La rebellion en Syrie est une une rebellion armée. L'intervention d'agents de la CIA pour l'organiser et la soutenir à ses débuts ne fait pas de doute. L'argent des Etats du Golfe pour la financer est très probable. La chaîne d'information quatari Aljeyzira en fait la propagande manifeste. Des journalistes réellement indépendants qui se sont rendus en Syrie ont pu montrer que les chiffres des manifestants contre Assad avaient parfois été gonflés. On a aussi pu montrer que de véritables méthodes d'intimidation étaient utilisées par les islamistes opposés à Assad pour contraindre tous les habitants d'un quartier à prendre parti pour eux. Faut-il s'étonner que Al Qaeda dont le rôle est de plus en plus trouble soutienne la lutte armée contre Assad comme elle avait soutenu celle contre Khadafi ? L'antagonisme Sunnites- Chiites, quoique moins simple à mettre en évidence en Syrie qu'en Irak, joue aussi un rôle puisque la rebellion est d'obédience sunnite et salafiste alors qu'Assad est l'allié de l'Iran puissance chiite.
Tout cela témoigne bien au moins d'une réalité complexe et de la stupidité autant que de l'injustice qu'il y a à mettre chaque mort, chaque blessé de Syrie sur le compte exclusif d'un Assad sanguinaire.
Ce qui est vrai et qui est incontestable c'est que la chute d'Assad désarmerait la Syrie, laisserait plus que jamais les mains libres à Israël pour attaquer l'Iran, assurerait la domination totale de tout le Proche Orient par les Etats-Unis, Israël, les Etats du Golfe et quelques pays européens (dont la France).
La Russie et la Chine ont compris cela. Par leur attitude ces deux puissances défendent la paix et l'équilibre du monde contre ce qui est bel et bien une offensive occidentale. C'est pour cela que ces deux puissances avec quand même d'autres pays non alignés soutiennent et continueront de soutenir Assad contre les appels au coup de force, celui de Badinter et de la cinquantaine de "personnalités" par exemple.