Il est beaucoup question de droit en ce moment. Et particulièrement du droit à la liberté d'expression. En fonction de ce droit, You Tube diffuse une vidéo qui caricature violemment le prophète Mahomet et offense la sensibilité religieuse de millions de musulmans. En fonction de ce même droit, You Tube refuse de la retirer de son site. Le gouvernement des Etats-Unis qui pourrait forcer la main à l'entreprise américaine et qui pourrait être tenu en partie responsable d'une vidéo tournée sur le sol des Etats-Unis par des ressortissants états-uniens refuse d'agir efficacement et fermement, toujours au nom de la liberté d'expression. En France, une actrice invitée par un grand media peut exposer longuement son islamophobie. Enfin, ce matin, un hebdomadaire publie des caricatures pornographiques du prophète, toujours au nom de la liberté d'expression.
Parallèlement à cela, samedi, à Paris, quelque 250 manifestants de confession musulmane qui voulaient se rendre à proximité de l'ambassade américaine sont refoulés sans ménagements, maintenus un instant à l'écart, étroitement encadrés par les forces de police, puis, pour la plupart, arrêtés. Manuel Valls, le ministre de l'intérieur, justifie ce recours à la force par le prétexte que la manifestation n'aurait pas été déclarée, que quelques manifestants se trouvaient revêtus d'habits rituels et que des slogans hostiles à un "pays allié" auraient été proférés.
Plusieurs demandes de manifestation ont été adressées à des préfectures pour samedi prochain. Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, les a déjà rejetées, arguant que ces manifestations seraient des appels à la haine et à l'intolérance.
Au nom de quoi affirmer a priori que les musulmans, en manifestant, ne pourraient exprimer que de la haine et de l'intolérance ? Quel mépris sous-tend ce procès d'intention ! Certes, dans une protestation d'ampleur, il peut toujours y avoir des accents de colère de la part de quelques excités. Mais ce n'est pas la colère, je crois, qu'entendent d'abord exprimer les musulmans, c'est la souffrance. Souffrance d'être la cible constante d'attaques qui visent tour à tour et parfois en même temps leur religion et la communauté qu'ils représentent, souffrance de sentir une islamophobie mêlée d'arabophobie qui serait protégée par toutes les libertés d'expression quand eux n'auraient que celle de se taire.
Qu'on veuille leur refuser d'exprimer cette souffrance, de réclamer l'arrêt des attaques dont ils sont l'objet, on prendrait un bien plus grand risque que de les laisser manifester dans la dignité et le calme. Et l'on commettrait une injustice tout simplement.