Les images de deux décapitations auront presque eu le même impact que celles des tours jumelles frappées par un avion à leur sommet. « Odieux assassinat », « témoignage de lâcheté et d’abjection », « meurtre barbare » : les expressions des maîtres de l’Occident, Obama,Cameron, Hollande rivalisent dans le pathos indigné comme celles des Bush et des Blair de 2001. Et leurs voix s’unissent pour appeler la « communauté internationale » à la guerre contre ce nouveau foyer du terrorisme mondial que serait l’autoproclamé « Etat islamique ».
De quelque trois mille victimes américaines, on est ainsi passé à deux « seulement » pour justifier une nouvelle guerre du « monde civilisé » contre « les barbares ». En 14 ans, l’impact de l’image ne s’est pas dévalué !
Bien sûr, les images qui choquent ne se limitent pas à celles de deux têtes coupées (1). De multiples photos ou vidéos répandues sur le net montrent complaisamment divers meurtres ou exactions attribués aux activistes du djihad, photos ou vidéos toujours exhibées comme des preuves alors que beaucoup d’entre elles -on l’a montré (2)- sont d’une authenticité ou d’une attribution douteuse.


A côté de ces images d'horreur exhibées, étalées, mille fois commentées, il en existe d’autres rarement aperçues (camions calcinés, bâtiments détruits, cadavre vu de loin, jeune mutilé…) qui n’ont que la force de la suggestion. Derrière l’horreur à laquelle on réserve le qualificatif de terroriste, une autre horreur se cache qui n’est certes pas moins terrifiante. Il ne servirait à rien de prétendre que les deux (trois maintenant) otages du califat ont été égorgés et décapités par un caprice barbare, un besoin gratuit d’épouvanter. Ils l’ont bel et bien été en représailles aux centaines de morts et de blessés causés par les frappes américaines et en prévention de nouvelles hécatombes. Plus de 90 frappes américaines dont chacune a pu faire plus de 20 morts ou blessés ont précédé la première exécution d’otage. Combien de corps décapités, déchiquetés, de blessés mutilés, atrocement brûlés doit-on imaginer derrière ce chiffre de 90 frappes ? Deux morts américains pour des centaines de morts islamistes, la comptabilité de la dissymétrie en Irak est finalement la même que celle établie par l’OTAN elle-même en Afghanistan : un tué d’un côté pour au moins cent de l’autre.
Mais si l’horreur répandue par les avions est difficilement visible, elle est au moins déductible de l’annonce d’une frappe sur une cible donnée. Elle entre dans le cadre d’une guerre ouverte, elle frappe des combattants positionnés pour une action guerrière. Elle est terrifiante pour eux parce qu’elle est totalement imparable, pas parce qu’elle est totalement inattendue. Ce n’est pas le cas des attaques de drones qui peuvent frapper n’importe quand, n’importe où, n’importe qui se trouve sur l’étendue d’un territoire à portée de ces robots volants.

Victimes civiles de drones
Si l’action des drones n’est pas forcément plus meurtrière, plus imparable pour des hommes dépourvus de défense antiaérienne que celle des bombardiers pilotés par des soldats US, on peut dire qu’elle dirige sur ceux une menace, une terreur spécifique, permanente, le sentiment d’être exposé à la mort ou à de terribles blessures partout sans aucun moyen de protection. Ainsi, toute la population d’un territoire donné apparaît l’otage d’un terrorisme « robotique », puisque à tout moment l’action à distance sur un robot indétectable peut faire exploser un puissant agent de mort sur une cible quelconque de ce territoire.
Bien sûr, les américains qui, pour l’instant, sont les auteurs de ce terrorisme robotique prétendent qu’il ne vise que quelques chefs islamiques réputés dangereux pour la nation américaine. Mais le chiffre de 4 000 morts donné par le Bureau du Journalisme investigateur comme l’estimation minimale des pertes humaines causées par les drones dément brutalement cette minimisation et justification des assassinats. En cinq ans, les attaques de drone sur le Warisistan pakistanais, le sud Yémen et la Somalie ont été de 390, c’est dire leur banalisation. Quant à tuer des chefs, c’est le plus souvent de simples militants qu’elles sacrifient lorsque ce n’est pas des civils qui n’ont que le tort de vivre à proximité. Le même Bureau écrit ceci dans un article de janvier 2009 :
« Il y a 5 ans, le 23 Janvier 2009, un drone de la CIA a détruit une maison au Pakistan. C’était le 3e jour de la présidence d’Obama et la première attaque masquée de ce nouveau Commandant en chef. Les premiers rapports affirmaient que 10 militants étaient morts dont des combattants étrangers. Mais très vite d’autres rapports faisaient état de victimes civiles ; plus tard, il fut confirmé que 9 de ces personnes étaient des civils dont la majorité étaient de la même famille. Il y eut un survivant, un adolescent de 14 ans, Fahim Qureshi, avec des blessures terribles dont des morceaux de métal dans l’estomac, une fracture du crâne et la perte d’un œil. Peu après, ce même jour, la CIA attaqua une autre maison, ce fut une autre erreur. Dans cette deuxième attaque, entre 5 et 10 personnes sont mortes. C’étaient tous des civils (3). »
Toutes ces actions meurtrières télécommandées par voie électronique reçoivent l’aval d’un chef suprême qui est l’actuel hôte de la Maison blanche en personne. Ainsi, même si l’on considère que Ben Laden serait l’instigateur des attentats du 11 septembre, Barrack Obama lui est clairement responsable de plus de meurtres par voie terroriste (3 000 pour Ben Laden, et 4 000 pour Obama). Cette criminalisation du président des Etats-Unis rejaillit ipso facto sur les citoyens américains et les expose à la vindicte d’activistes qui peuvent se considérer comme vengeurs (bien qu’on puisse tout-à-fait réprouver leur façon de se venger).

Si les Français semblaient jusqu’alors refuser l’usage de drones tueurs, François Hollande s’est bel et bien impliqué en personne dans ce terrorisme robotique sans d’ailleurs en avoir rendu compte aux Français comme il l’aurait dû. C’est lui qui a fait communiquer aux Américains les renseignements de source française permettant de faire réussir l’attaque de drones contre le chef djihadiste somalien Ahmed Godane le 1er septembre à 170 km au sud de Mogadiscio. L’espionnage, souvent robotique lui aussi (comme celui pratiqué par la NSA), est le premier auxiliaire du terrorisme robotique, et les renseignements donnés aux auteurs de ce terrorisme pour enclencher une opération meurtrière en font partager la responsabilité.
Quand on veut entraîner la plus grande coalition possible contre un groupe d’hommes constitués comme veulent le faire Obama et Hollande contre l’État islamiste, l’arme la plus importante dont on peut disposer est l’arme de la supériorité morale. Le terrorisme robotique qui sévit du Pakistan au Sud Yemen en passant par la Somalie et en abordant l’Irak, ce terrorisme qui tue lâchement les frères de combat des djihadistes de l’Emirat islamique ainsi que des femmes et des enfants qui se trouvent à côté d’eux privent a priori les Américains et leurs alliés de cette arme-là.
Clément Dousset
(1) trois maintenant (le britannique David Haines en plus des américains James Foley et Steven Sotloff) mais les vidéos qui les montrent pourraient avoir été truquées
(2) Voir mon précédent article Le point de vue de l’État islamique sur le sort fait aux chrétiens
(3) Voir l’article More than 2,400 dead as Obama’s drone campaign marks five years (theBureauInvestigates)
(article paru d'abord dans lesite du Cercle des Volontaires )