A 22h30 ce jeudi 4 mai, la Società Sportiva Calcio Napoli fait match nul contre l'Udinese et remporte le championnat d'Italie de football à cinq journées de la fin de la saison. Cette victoire consacre une année pleine pour le club de Naples : des victoires impressionnantes voire écrasantes en championnat, un quart de finale en ligue des champions, et à ce jour plus de quinze points d’avance qui confirment le succès mathématique des azzurri en Serie A.
Comme c’était annoncé, et espéré, cette victoire a donné lieu à une immense fête dans le centre de Naples. Les supporters, rassemblés dans tous les quartiers de la ville, ont exulté lors du but de l’attaquant Victor Osimhen puis au coup de sifflet final. Un titre, et une célébration, attendus depuis 33 ans. Et une quantité assourdissante de pétards, des feux d’artifice à en faire tourner la tête , « comme au Nouvel An » disaient beaucoup.

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Le Mattino de Naples, parfois en rupture de stock dès le matin, revient dans une édition spéciale de près de cent pages sur cette nuit magique ; rappelant que parmi le demi-million de tifosi présents, beaucoup ont du mal à y croire parce que jusqu’à la veille, la victoire finale était l’événement dont on ne devait pas parler, pour éviter un coup du sort. Le journal constate aussi que le Napoli qui gagne en 2023 n’est pas guidé par « un Soleil » comme Maradona, mais par la « normalité » de son capitaine Giovanni Di Lorenzo, et décrit l’équipe comme une « horloge suisso-parthénopéenne ».

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La victoire du Napoli, c’est bien sûr pour les tifosi l’occasion de mettre en avant leur identité et celle de leur ville. « Siamo figli del Vesuvio, forse un giorno esploderà » (« Nous sommes les fils du Vésuve, peut-être qu’un jour il explosera ») rappelle un des chants les plus entendus pendant cette folle soirée. L’identité napolitaine est construite en opposition aux clubs des autres villes, surtout du Nord, et en particulier la Juventus de Turin. On a aussi entendu des chants contre la voisine Salerne : en l’occurrence, la rivalité est moins historique, mais plus conjoncturelle puisque la Salernitana a privé le Napoli du scudetto dimanche dernier.
L’opposition au Nord peut apparaître comme un élément folklorique mais est évidemment expliquée par de nombreux éléments historiques et économiques. Le slogan figurant sur une banderole des Quartiers espagnols « Même avec votre Frecciarossa [TGV italien], vous n’avez pas réussi à nous rattraper », peut faire sourire ; mais il est révélateur du fait que les investissements ferroviaires de l’État italien ont prioritairement été faits au Nord, et plus généralement de l’important déséquilibre des politiques italiennes en défaveur du Mezzogiorno. Naples et sa région ont par ailleurs été fortement touchées par la désindustrialisation, comme en témoignent les bâtiments de l’Italsider, laissés en friche non loin du stade Diego Armando Maradona.
Si beaucoup avaient du mal à y croire, c’est parce que l’équipe de Luciano Spalletti est consacrée après trois décennies d’attente, et des années difficiles : les années 2000 ont notamment été marquées par une rétrogadation en serie C1 (la troisième division italienne). Parmi les plus grandes villes italiennes, Naples est la seule qui ne compte qu’un seul club de football de première division, contrairement à Rome, Turin, Milan ou Gênes. Le Napoli ne s’est pas illustré par l’achat des plus grandes stars mondiales, et sa victoire est significative puisque l’équipe est loin de la Juve ou des clubs milanais en ce qui concerne le budget ou les recettes. Elle est aussi tout à fait historique pour le sud de la péninsule, car ce n’est que la 4e fois de l’histoire qu’une équipe du sud ou des îles remporte la serie A (contre 101 victoires des équipes du nord), un championnat qui cette année ne comptait que trois équipes méridionales (Lecce, la Salernitana et le Napoli). C’est un titre qui va contre la longue et fatale série des victoires des équipes du nord. Il symbolise une fierté retrouvée pour une ville qui a subi de plein fouet les conséquences de la criminalité organisée, de la désindustrialisation, et de politiques publiques défavorisant le Mezzogiorno.

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Il est évident que ce succès marquera une génération de napolitains, tout comme les titres de 1987 et 1990 ont marqué celle de leurs parents. Il a bien sûr donné lieu à quelques démonstrations de sentiment anti-méridional, comme en témoigne le site Corriere della sera, qui a mis en relation un meurtre crapuleux avec la fête du scudetto, comme si les deux étaient liés. Et pourtant, malgré l’ampleur de la célébration, les innombrables explosions et feux d’artifices, celle-ci s’est déroulée sans incident majeur. La fête, immense et extraordinaire pour « un hôte de Naples », comme s’est défini Luciano Spalletti dans une interview cette semaine, révèle la fierté et de l’unité des habitants d’une ville qu’il n’est pas facile de comprendre et de connaître, mais qui est plus que jamais vivante malgré les difficultés du quotidien, ou les stéréotypes dont les napolitains sont régulièrement victimes.