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Billet de blog 22 octobre 2025

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Derrière la non-censure du PS

Les socialistes se gargarisent d'avoir fait plier le gouvernement. Ne seraient-ils pas, encore une fois, dans la posture plutôt que dans la rupture ?

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Grand soleil sur les vaguelettes du lac de Châteauneuf-sur-Isère. L’ambiance est décontractée et sympathique, la nouvelle édition des Amfis, les universités d’été de La France insoumise, bat son plein. Dans une salle de conférence, Manuel Bompard, le coordinateur national du mouvement, attend Charles Consigny, polémiste habitué des chaînes d’infos en continu et ancien soutien de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle de 2022 (LR, 4,78% des voix) pour un débat sur le mouvement des « Nicolas qui paye. » Mais ce dernier est en retard. Pour chauffer la salle, des militants entonnent des chants, qui sont joyeusement repris. L’un deux tient en une phrase : « Tout le monde déteste le PS. » Psychodrame sur les réseaux sociaux, et sur les plateaux, les méchants insoumis ont encore mal parlé des gentils socialistes. Seaux de larmes de l’État major du parti à la rose, qui se dit maltraité.

M. Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti socialiste et député de Seine-et-Marne, n’a pas voulu voter la censure de M. Sébastien Lecornu, choix stratégique lourdement appuyé par M. François Hollande, ancien Président de la République redevenu député de Corrèze à la faveur de la dissolution de 2024 et de la constitution du Nouveau Front Populaire, ainsi que sur les conseils avisés du député Phillipe Brun, nouvelle figure de proue du PS. Arrêtons-nous un instant sur le cas de M. Philippe Brun, qui mérite d’être accablé. Depuis quelques semaines, on le voit gambader de plateau en plateau, venir rapporter, avec son éternel regard de chien battu, les positions successives du Parti socialiste. Preuve vivante que l’on ne choisit ni son visage, ni son nom - s’appeler Philippe à 34 ans faisant sans doute partie des choses les plus difficiles à endurer pour un individu, il est aussi la confirmation qu’un mauvais départ dans la vie peut parfois s’avérer fatal : en plus du reste, rappelons qu’il est membre, et élu, du Parti socialiste. Il est certain que pour en arriver là, il fauta dans une vie antérieure. Vainqueur en 2022 grâce à la NUPES dans sa circonscription à 330 voix près contre le Rassemblement National (le visage de Jean-Luc Mélenchon en gros plan sur ses visuels de campagne y serait-il pour quelque chose ?), puis réélu avec la dynamique NFP avec près de 53% des voix, le député Brun a fait de sa spécialité la mise à distance de LFI à peu près sur n’importe quel sujet. On notera que cette splendide spécialisation s’est traduit depuis par son expérience pitoyable de négociateur du conclave et de la non-censure de M. Bayrou, par sa détestable performance de reniement lorsqu’il expliqua qu’il avait signé l’accord du NFP sans croire aux propositions inscrites dedans, ou encore par son aveu de mensonge lorsqu’il avoua sur un plateau de télévision que lui et M. Faure préféraient M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre de François Hollande, à la candidate Mme Lucie Castets pourtant désignée par les socialistes et les composantes du NFP au lendemain des élections de 2024. Il faut croire qu’au PS, un tel bilan vaut promotion puisqu’il fut à nouveau sollicité pour expliquer la non-censure de M. Lecornu.


Illustration 1

Selon les dires du Parti socialiste, le gouvernement aurait « reculé » sur la question des retraites, concédant à une suspension de la réforme. On peut déjà s’interroger sur la valeur simple de cette promesse : l’année dernière le PS réclamait haut et fort l’abrogation de la réforme, ce qui tend à prouver que leur position semble avoir déjà évolué au rabais entre temps. Mais c’était sans compter la confusion générale dans laquelle cette annonce a eu lieu. Tout soudain les mots d’abrogation, de suspension, de décalage, de modification, d’aménagement sont venus saturer le débat public, au point que pendant quelques jours plus personne n’y comprenait plus rien. Et c’est dans cette cacophonie que le PS a décidé de sa non-censure. En terme de négociation, on a vu mieux, la première règle étant généralement de s’engager sur des éléments manifestes et non pas sur des intentions.

Précisons ce qu’il en est désormais. Le député Brun, encore lui, s’enjaillait sur Franceinfo TV avoir « applaudi » le Premier ministre lorsque celui-ci avait annoncé la « suspension de la réforme des retraites », allant jusqu’à dire que c’était une « immense victoire pour le mouvement social » et, parce qu’il ne recule décidément devant rien, affirmait que c’était « la première victoire pour le mouvement social depuis le CPE en 2006, et que jamais la rue n’avait réussi depuis à obtenir le retrait d’une réforme. » Mensonges éhontés. D’abord, la question de l’éditorialiste de Franceinfo TV, Alix Bouilhaguet, qui expose en préambule que le Premier ministre aurait « tout lâché » au PS, ce qui est une analyse complètement erronée, n’aide pas. Ensuite, le contentement de M. Brun à propos d’une « suspension » est ridicule puisqu’il n’y a nullement suspension, il y a décalage du calendrier d’application (nous y reviendrons), ce qui n’a absolument rien à voir. Enfin, l’autosatisfaction avec laquelle il se prétend victorieux d’une bataille que personne n’aurait remportée depuis 2006 est un mythe : la dernière victoire de la rue contre une réforme gouvernementale datant de 2016, au moment des lois Travail de Myriam El Khomri… précisément sous le mandat de son allié François Hollande. On comprend pourquoi ce mouvement social lui avait échappé. De son côté, le député de l’Essonne Jérôme Guedj parle de «suspension totale » tandis que d’autres députés socialistes s’extasient devant une telle victoire que la députée du Finistère Mélanie Thomin alla jusqu’à dédier « à tous les salariés du pays », parce qu’après tout, pourquoi ne pas en rajouter ?

La non-censure du PS est donc une farce, un piège dans lequel le jovial Philippe Brun s’est engouffré avec son parti, et de surcroît en toute connaissance de cause. Ne pensons pas un seul instant que les socialistes aient pu se faire avoir, ils savaient. Forcément. La presse a révélé que Messieurs Faure et Lecornu s’appelaient parfois jusqu’à trois fois par jour au moment des négociations. Et immédiatement après avoir annoncé le décalage devant l’Assemblée Nationale, le Premier ministre s’empressait d’aller dire au sénateurs, majoritairement de droite, qu’il ne remettrait pas en cause la réforme. M. Macron lui-même, ne pouvant s’empêcher de la ramener, a déclaré il y a peu qu’il ne s’agit en réalité ni de « l’abrogation, ni [de] la suspension » de la réforme, mais bien du « décalage d’une échéance. » L’économiste Mickaël Zemmour précisait sur BFMTV qu’il s’agit d’un « décalage du calendrier puisque quand on regarde la réforme, c’est la même réforme, celle qui était prévue, qui amène à 64 ans avec 43 annuités, mais son application est décalée d’une génération, c’est à dire que pour les personnes qui sont nées entre 1664 et 1968, on va modifier de trois mois leur âge de départ. Donc par exemple si elles devaient partir à 63 ans et trois mois, ce sera 63 ans. »

La grande victoire du PS est donc un gain de trois mois de retraite pour seulement cinq générations, et cela justifierait de laisser en place le gouvernement Lecornu et le débat sur le budget qu’il présente. Finalement, les insoumis ont sans doute raison d’être en colère : chez les socialistes, on se vend pour pas cher.

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