Le Président du Rassemblement National semble être l’homme providentiel à qui tout réussi. Engagé au Front National dès 2012, il gravit les échelons du parti à toute vitesse : collaborateur parlementaire, porte parole, membre du bureau national, tête de liste aux élections européennes, député européen, conseiller régional, vice-président du parti, président par intérim puis finalement Président du FN (devenu RN), le tout en moins de dix ans. En juin 2024, son succès aux élections européennes où il remporte plus de 30% des voix le propulse comme potentiel futur Premier ministre, à la suite de la dissolution décidée par M. Macron. Mais l’union des gauches rassemblées sous l’égide du Nouveau Front Populaire (NFP) enraye la machine : en tête au premier tour, le RN termine troisième au second, balayé par le « Front républicain » mis en oeuvre.
Si cet échec a stoppé le processus d’ascension, il n’a néanmoins pas remis en cause la volonté du trentenaire à prétendre à de hautes fonctions, d’autant plus que son avenir à la primature s’est doublé d’une potentielle candidature présidentielle depuis la condamnation de Mme Marine Le Pen. Produit marketing, Jordan Bardella est l’un des hommes politiques les plus formé aux passages médiatiques (on parle de média-training), c’est à dire la capacité pour lui de dérouler son discours sur un plateau de télévision. Mais derrière des phrases bien tournées, des éléments de langage bien huilés et des expressions préfabriquées, se cache un jeune homme vide, sans culture politique, ni expérience parlementaire tangible, désireux de remporter le pouvoir comme on remporte un trophée, et en réalité bien en peine dès qu’il n’est plus couvé par ses conseillers en communication.
La récente séquence dans l’émission « Quelle époque » (France 2, présenté par Léa Salamé), où, venu présenter son dernier livre, Jordan Bardella s’est fait légèrement malmené par Roselyne Bachelot, également invitée, a mis au jour la réelle médiocrité du faux prodige du RN. Ces quelques secondes, qui ont tourné en boucle sur les réseux sociaux, sont une aberration : non seulement la séquence est ratée pour Bardella qui échoue tout seul en répétant deux fois la même phrase (« Où trouve t-il toute cette énergie ?) pour M. Sarkozy, puis M. Trump, mais en plus la réaction est humiliante puisqu’il se trouve moqué par le plateau, moqué par sa voisine, et qu’il reste de marbre, incapable de réagir. Anecdotique mais symptomatique d’un cadre politique aux compétences si limitées que même l’humour le laisse coi.
Construction politique et dédiabolisation en demi-teinte
Les médias mainstream présentent M. Bardella comme le nouveau visage du Rassemblement National, un visage dédiabolisé, presque même dépolitisé. En réalité, il convient de rappeler qu’il s’est engagé au FN à l’âge de 16 ans, à l’époque de Jean-Marie Le Pen. Il fait partie de ces enfants qui n’ont pas été traumatisés dans leur jeunesse par la présidentielle de 2002, où Jean-Marie Le Pen s’était hissé au second tour. Il fait partie de ces adolescents qui, avec l’arrivée d’internet, des réseaux sociaux et l’émergence de la fachosphère en ligne, se sont retrouvé dans les discours du Front National, à l’époque pourtant encore considéré comme un parti à repousser. Enfin, il fait partie de ces jeunes hommes qui, par manque de culture ou par adhésion odieuse, n’ont jamais vu dans les propos de Le Pen-père des provocations racistes, antisémites, et négationnistes.
S’engager dans un parti héritier des vichystes et des nazis, adouber la principale figure de l’extrême-droite française (encore jeune, Bardella avait fait la queue pour pouvoir faire un selfie avec Jean-Marie Le Pen), ou encore nier l’antisémitisme de celui-ci (il avait exprimé sur BFMTV ne pas trouver le vieux Le Pen antisémite) devrait suffire pour considérer que M. Bardella, loin de la figure lisse et tranquille mise en avant par le RN, est en réalité un soutien du pire de ce qu’a produit le parti d’extrême-droite. Pourtant, de ce passé, il n’en est jamais fait mention sur les plateaux de télévision.
Si tous ces éléments ne suffisaient pas, on pourrait également citer le travail de Mediapart, Libération et StreetPress -entre autres- qui ont maintes et maintes fois documenté les proximités abjectes entre le RN et les groupes d’extrême-droite les plus radicaux, violents et méprisables. Le mouvement négationniste et antisémite Égalité & Réconciliation, de l’ancien ami de Marine Le Pen Alain Soral, a eu le plaisir de compter parmi ses membres un député RN influent, Frédéric Frédéric Boccaletti, et un certain François Paradol, qui n’est nul autre que le directeur de cabinet de Jordan Bardella, considéré comme « l’homme de confiance » du Président du RN. Qui ne rêverait pas d’un néo-nazi pour meilleur allié ?
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Tolérance médiatique ou campagne déguisée ?
Les chaînes d’actualité en continu ne brillent pas par la reprise des informations révélées contre M. Bardella. Pourtant toujours si prompt à exiger de la gauche, et en particulier de La France insoumise (LFI) des explications, à juste titre d’ailleurs puisque tous les responsables politiques sont responsables de leurs actes et prises de position, les charges contre le RN sont quasiment inexistantes. Quand est-il fait mention des accointances entre RN et néo-nazis ? Quand M. Bardella a-t-il été interrogé sur son directeur de cabinet ? Pourquoi des députés aux multiples affaires telles que M. Julien Oudoul, qui collectionne les séquences racistes, sexistes, dénigrantes et gênantes, et condamné depuis l’année dernière dans l’affaire des assistants parlementaires, n’est-il pas davantage interrogé sur son oeuvre ?
La stratégie du service public en particulier est déplorable : la complaisance avec M. Bardella et les membres du RN, sensée amoindrir les attaques que le parti d’extrême-droite porte à France 2, France 3 et Franceinfo TV notamment, se montre inopérante. Ainsi, on apprenait via le Canard Enchaîné que des questions '“dérangeantes” sur le média-training suivi par Bardella par exemple avaient été déprogrammées de son passage à Quelle Époque. Traitement de faveur incroyable. Sur Franceinfo TV, quand Julien Oudoul diffamait ouvertement Médiapart dans une séquence, la journaliste ne disait… rien. Pas même une défense de son confère, pas un rappel des faits. Le RN déroule son narratif sans aucune contrariété.
Et il en demande d’ailleurs toujours plus. Sur CNEWS, le patron du RN est traité comme le Messie, à tel point qu’il explique être comme avec sa “famille” sur le plateau. Imaginez si Mélenchon ou Macron disaient ça sur France 2 ou M6… Par ailleurs, le service après-vente de ses livres est continuellement assuré sur les chaînes du groupe Bolloré : avant la publication, pendant la publication, après la publication, tout est bon pour faire de la pub, pour mettre en avant M. Bardella. D’autant plus que Fayard, sa maison d’édition, appartiennent également au milliardaire Bolloré. On parlerait presque d’entreprise “familiale” à ce niveau là.
Récit fantasque, peopolisation à outrance
Outre le média-training, c’est aussi le storytelling, c’est à dire la mise en cohérence d’un récit plus ou moins réaliste, et/ou arrangé, qui a été travaillé avec des conseillers en communication. Son enfance dans les quartiers populaires, son apparente précarité, son histoire familiale complexe, tout cela constitue des éléments dilués d’une existence pas si dure, mais durcie pour parler à un électorat ciblé. La France rurale, paupérisée, qui galère, travaille dure et rejette l’immigration, l’islamisation et l’assistanat, qui fantasme la vie dans les quartiers, territoires désignés comme gangrénés par l’islamisme et la violence dans les discours du RN, est sensée se retrouver dans le parcours du jeune prodige : il est comme “nous”.
Pourtant, M. Bardella brille par son absence au Parlement Européen, maintenant largement documentée. Pareil pour son activité sur le terrain en région, où il n’était pratiquement jamais là. La France qui travaille dur et qui galère ? Visiblement, il ne se sent pas honteux de vivre sur son dos, puisque payé par le contribuable pour rien faire, sauf écrire des livres et en parler sur les plateaux de télévision. Ces mêmes livres qui lui ont rapporté au bas mot près de 700.000€. À 30 ans, sans jamais n’avoir rien fait d’autre que de la politique, sans compétence professionnelle, sans parcours universitaire ni estudiantin digne de ce nom, la figure de proue du RN qui se dit défenseur des pauvres, des travailleurs, et des ouvriers est donc quasi-millionnaire, assisté, incapable et boosté à la communication. Sidérant.
Sa proximité avec certaines stars du “PAF” (paysage audiovisuel français), à l’image du millionnaire Cyril Hanouna, défenseur acharné de la droite extrême, de Trump, et aligné sur les intérêts de Bolloré, vient nuancer le tableau du jeune prodige self-made-man porté par des aspirations populaires. La défense systématique de “Baba” (Hanouna) en faveur de Bardella, sur tous les sujets, peu ou prou les faits et la vérité, ainsi que les vacances passées entre les deux hommes, donnent quelques indices sur les stratégies médiatiques mises en oeuvre, d’autant plus que le traitement de la gauche au sens large, et surtout (encore) de LFI dans ces médias-là est devenu grotesque. Radio Bolloré vous parle de Bardella, Télé Bolloré vous montre Bardella et Livres Bolloré vous font lire Bardella. Big Brother s’appelle finalement Vincent.
L’accompagnement médiatique d’un tel homme, initié et entouré par l’extrême-droite raciste, antisémite, négationniste, islamophobe qu’elle a toujours été malgré les grands discours de dédiabolisation, le parcours falsifié d’un enfant soi-disant originaire des quartiers populaires alors qu’il a bénéficié toute son enfance d’une éducation privée privilégiée grâce aux ressources de son père, petit patron, sa proximité idéologique avec les plus grandes fortunes du PAF, de Bolloré à Hanouna, qui le défendent, le soutiennent, et l’enrichissent via les livres qu’il vend à grand renfort de communication, toute cette sphère pro-Bardella qui donne le ton à l’ensemble de la classe politique et médiatique française devrait légitimement interroger, et être dénoncée par toutes et tous.
Illustration : L’impasse nationale, iconographie générée par l’IA Open AI ChatGPT