Le double jeu de Bayrou
Les oreilles distraites du débat public, lequel n'intéresse, à raison, plus personne, ont peut-être eu vent de la dernière rumeur en date : les jours de Bayrou seraient comptés et son gouvernement tombera le 8 septembre prochain, laissant une place vacante à Matignon, voire ouvrant la voie à une nouvelle dissolution express. Dans le tohu-bohu, on pourrait analyser longuement la stratégie de Bayrou qui, en présentant de fait un des PLF les plus durs de ces dernières années, fait mine de découvrir que la précédente dissolution a laissé une large marge de manœuvre à l'opposition dont l'enjeu électoral ne se combine pas forcément avec l'impopularité du budget.
Le futur ancien Premier Ministre peut faire semblant de découvrir cette opposition autant qu'il le veut, il y a fort à parier, sauf à prétendre de son manque de stratégie, ce qui semble peu probable étant donné sa longévité, qu'il avait anticipé le déroulé et qu'il préfère partir auréolé des traits de la sacro-sainte "responsabilité", plutôt que d'admettre que la situation découle des politiques économiques directement initiées par Macron, en comptant ainsi sur cette aura pour jouer ses cartes en vue de 2027. Il sait qu'un Premier Ministre en exercice jusqu'au dernier moment n'est jamais parvenu à devenir président, dès lors il vaut mieux partir en victime qui peut renvoyer la balle à une opposition "irresponsable face à la gravité de la situation" que d'assumer le poids de 8 ans de gabegie budgétaire face à une Assemblée divisée. Mais Bayrou est-il le seul à parier sur l'auréole de la "responsabilité" ?
Le renouveau autonomiste du PS
Pour s'arroger les voix des électeurs modérés éparpillés entre EELV et Macron, tout en se démarquant de la stigmatisée LFI, le PS joue le jeu du "parti responsable" au-dessus de la mêlée et du chaos dont il accuse Macron d'en être le principal initiateur, lorsqu'il ne tire pas directement sur ses anciens partenaires de la FI.
Le PS reste persuadé qu'une présidentielle se gagne au centre et qu'il existe un électorat modéré qui pourrait divorcer d'avec le macronisme pour in fine outrepasser le rival JLM lors de la course finale. Les principaux perdants de ce regain d'activité du PS seraient EELV qui en partage l'électorat par le refus de faire entendre un discours plus radical que celui "apaisé" de Marie Toussaint aux Européennes et celui "raisonnable", mais plutôt vide sur le fond malgré moult punchlines bien senties et médiatiquement efficaces, de Tondelier. La stratégie PS est claire : il s'agit d'une tentative de différenciation de son principal rival à gauche, dont la radicalité est désormais trop gênante, à mesure que 2027 approche et qu'il devient nécessaire de sortir de son giron et du stigmate par association, pour se creuser une voie électorale médiane, entre LFI et LR.
Tout à sa stratégie, le PS a donc présenté un contre-budget et défié Macron de l'appeler au gouvernement où il espère former une coalition avec EELV et le PCF ainsi que des accords avec "le bloc central". Ceux qui avaient cru à une divergence de fond entre Faure et d'autres ténors du parti découvrent donc une union stratégique qui s'accorde sur l'importance de la prise du pouvoir par le PS et présente une uniformité idéologique sur l'ensemble des sujets budgétaires et économiques.
En d'autres termes, les différends entre Faure et ses acolytes ont toujours plus dépendu d'une divergence de stratégie (les uns prétendaient ressusciter le PS sans la FI ; les autres préféraient faire profil bas et jouer le jeu de l'union en profitant du tremplin NUPES et NFP pour renforcer le PS jusqu'à lui permettre à nouveau de voler de ses propres ailes) que d'une divergence de fond - à part sur d'éventuels sujets sociétaux -, et dès lors, une fois les obstacles stratégiques écartés, une fois la survie assurée, une fois le PS renforcé avec un groupe d'une soixantaine de députés et de sénateurs et des résultats encourageants aux européennes, le parti rejoue l'autonomie en tentant de se re-crédibiliser devant ses potentiels électeurs modérés.
L’impasse stratégique de la modération
En soi la proposition de budget, nonobstant l'exonération de CSG pour les salaires de 1 à 1,4 SMIC qui pose en réalité de sévères problèmes de financement à la sécurité sociale et décrédibilise quelque peu l'ensemble, est plutôt dans la lignée des programmes de gauche modérée. Digne en somme des projets qu'ils ont pu déjà présenter, avant que leur propension épidermique à la dérive néolibérale n'emporte leurs promesses initiales, comme en 1983 et en 2014. Pourtant le jeu est extrêmement dangereux : et si, après la chute de Bayrou, Macron prenait au sérieux la main tendue du PS ? Certes, il n'y a guère de chance que cela advienne, mais le plus petit pourcentage représente déjà un risque relativement sérieux.
Risque, parce que l'alliance nécessaire avec le bloc central pour faire passer un quelconque budget, ou même n'importe quel projet de loi, pourrait relancer le PS sur la voie de la trahison complète de ses prétentions et il n'est pas dit que les électeurs (ceux issus des classes populaires et de la gauche en tout cas) ne pardonnent une nouvelle dérive. Dans ces conditions, le PS n'aura plus qu'à totalement se fondre dans la centralité, laquelle est en réalité fortement contestée par une pléthore de prétendants (d'Attal à Édouard Philippe) qui risquent de diviser sérieusement son réservoir électoral et briser ses prétentions à dépasser un jour la FI lors de la présidentielle décisive.
En fait, ce que le PS ne perçoit peut-être pas, c'est que la cristallisation de l'électorat en trois blocs semble remettre en cause la loi immémoriale de la centralité victorieuse aux présidentielles. La montée massive de la contestation, fruit de 40 ans de néolibéralisation forcée dont le PS est en grande partie responsable, semble tracer la route d’une issue électorale bien plus radicale que ce que la stratégie raisonnable du PS ne semble pouvoir offrir.
Bien sûr le bloc bourgeois se raidit à chaque soubresaut social, mais ce durcissement du bloc ne corrige pas sa fragilité consubstantielle d'une part (voir "L'illusion du bloc bourgeois" de Bruno Amable et Stefano Palombarini) et semble plutôt tendre vers une forme de radicalisation du bloc en faveur de l'extrême centre et d'un compromis néolibéral dur et même autoritaire. En somme, il y a fort à parier que le bloc bourgeois préférera une solution "raisonnable" mais dure en matière de liberté démocratique et de "sécurité" à la Édouard Philippe ou Gabriel Attal, à la proposition d'un néolibéralisme modéré, supposément encadré par quelques mesures de taxation des plus riches, qui, si elles ne sont pas balayées par le jeu des alliances, pourront l'être par le jeu sans cesse répété de la trahison des idéaux électoraux à laquelle nous a habitués le PS depuis 1983.
Alors bien sûr, une certaine bourgeoisie progressiste, relativement effrayée par les envolées parfois discutables de JLM et par l'augmentation des conflits sociaux en faveur de l'extrême droite, pourrait se laisser tenter par une solution qui confère moins de dissonance cognitive que les propositions du bloc central. Mais cet électorat est-il si nombreux ? Hamon et Hidalgo/Jadot ayant fait exactement le même score (c'est-à-dire 2,2 millions de voix), cela donne une idée du faible socle sur lequel peut s'appuyer le PS. Reste donc à compter sur le grapillage des voix au centre, et on vient de dire ici que, non seulement l'espace semble saturé d'offre, comme en plus la radicalisation du socle électoral du centre et du centre gauche ne joue a priori pas en faveur du PS.
La stratégie semble donc périlleuse. Il est probable que le PS gagnerait bien plus à ce que Macron ne se lance dans une dissolution, car il est possible, comme dit plus haut, qu’en cas de non-alliance au niveau national entre les partis de gauche, les socialistes s’en sortent mieux que leurs partenaires, leur permettant ainsi d’espérer prendre la tête de l’opposition « raisonnable de gauche » face à Macron, et surtout à l’extrême droite. Une position en réalité plus favorable en vue de 2027 que le jeu de la collaboration que le PS fait mine aujourd’hui d’emprunter. Les cadres du PS le savent, et il est plus que probable que le jeu du budget et de la main tendue soit un bluff afin, encore et toujours, de contester à Macron, comme au bloc central, le rôle d’incarnation du parti des « raisonnables ». Ici, comme pour le reste, l’enjeu est toujours de s’arroger les apparats de la « responsabilité » via des faux-semblants dont l’effet sera surtout de finir par désintéresser le plus grand nombre du débat public et de ces magouilles.
Le jeu dangereux des « responsables »
Bien entendu, personne ici n'est devin et personne ne prétend lire l'avenir qui donnera peut-être tort à ce billet. Par ailleurs, il n'est pas dit que la stratégie inverse de la FI, jouant sur la polarisation du vote pour tenter d'emporter les voix du bloc de plus en plus massif de l'insatisfaction, en les arrachant à la fois, à la gauche qui veut du changement, à l'abstention et éventuellement à Le Pen, sorte gagnante en 2027. Mais force est de constater que si pour les uns, l'ennemi est à droite et le combat se joue sur le même terrain électoral de l'abstention et de la contestation pour tenter de lui disputer le match dans un moment antifasciste absolument décisif, d'autres préfèrent jouer leur survie en tant qu'appareil, quitte à se distancier en rejouant le jeu de la stigmatisation de ses anciens alliés pour tenter de les faire plonger, tout en luttant pour un centre où leur poids risque d'être dilué par des propositions bien plus sécurisantes pour le bloc bourgeois. Certains ont leur ennemi à droite, d'autres à leur gauche... et c'est le jeu historique de la participation tacite (ou directe) du camp modéré à l'avènement du fascisme qui semble se répéter.
Emile Joao
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