3 jours aux côtés des manifestant.es serbes - Ce mouvement étudiant qui réveille la gronde populaire
La nuit tombe et la température approche les 2° aux abords de Malošište. Il y a 4 jours, près de 200 étudiant.es sont partis de Kragujevac. Le cortège n'est plus qu'à quelques heures de sa destination finale et aura parcouru en tout 137 km à pied.
"Puuuumpaj, puuumpaj!" crient les marcheur.ses pour se donner du courage - C'est le "pump it up"serbe - Les sifflets donnent la cadence de marche, le pas est rapide et les drapeaux serbes flottent au-dessus des têtes.

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L'ambiance en tête de marche est joyeuse et déterminée : les chants serbes sont scandés au mégaphone et la rakija est volontiers partagée par certain.es marcheur.ses. Cette motivation contraste avec la fin de peloton où les marcheur.ses, moins bien équipé.es, fatigué.es, parfois en claquettes, peinent à finaliser.
Devant leur portail, aux centres des villes et villages, les habitan.t.es les accueillent. "I want them to feel like home" (je veux qu'ils se sentent comme chez eux) nous confie une habitante. Les enfants courent pour distribuer des boissons, des fruits et des pâtisseries. Léna, étudiante en médecine, partage sa surprise. "Ce village doit compter 200 habitants et ils sont très nombreux à nous accueillir." Les brèves pauses permettent aux étudiant.es de s'étirer, de manger et de se soigner. Elles et ils repartent rapidement pour la dernière ligne droite, il faut arriver à temps pour la convergence des marches.

Le dit rassemblement a lieu à Niš le samedi 1er mars. Exactement 4 mois après que l'auvent de la gare de Novi Sad, à peine rénové, se soit effondré, et cause la mort de 15 personnes. Ce fut l'événement déclencheur. La goutte d'eau dans un vase trop rempli de fatigue et de colère contre un état décrit comme dictatorial, corrompu et inefficace.
Depuis ce jour tragique, les étudiant.es n'ont cessé de manifester et de bloquer les routes. Régulièrement, les habitant.es, les travailleur.ses, descendent à 11h52 dans la rue, pour respecter 15 minutes de silence à l'heure précise du drame. La commémoration des victimes et la protestation font partie du quotidien.

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Le 28 janvier 2025, le gouvernement répond avec la démission de plusieurs de ses membres, dont son Premier ministre. "Ce n'est qu'une farce" nous disent de nombreux.ses étudiant.es, convaincu.es que ces démissions ne sont pas suffisantes.
Ces dernier.es s'organisent par faculté et prennent des décisions en assemblées. Le mouvement se veut pacifiste2 et les revendications sont énoncées depuis le début, ils souhaitent:
- Que le gouvernement rende public l'ensemble des documents liés à la rénovation du bâtiment de la gare de Novi Sad.
- Que les manifestant.es inculpé.es lors des marches et des rassemblements soient libéré.es de toute charge.
- Que les personnes ayant menacé et agressé les participant.es soient identifiées et jugées.
- Une augmentation de 20 % des budgets liés à l’enseignement supérieur.
Lorsque les étudiant.es foulent enfin les rues de Niš, la troisième plus grande ville du pays, des motards venus leur ouvrir la voie les accueillent. Le point de rendez-vous est un carrefour central dans la ville, il permet la confluence des autres marches venues des quatre coins du pays.

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Ils sont des dizaines de milliers, la rencontre est une explosion de joie. La foule déborde d'émotion. Les coups de sifflet sont incessants, les moteurs des motos rugissent, les casseroles claquent aux fenêtres et aux balcons, les caisses claires tambourinent. Les retrouvailles sont intenses, heureuses et fières. La soirée s'annonce festive dans toute la ville.
Le soir même, les marcheurs.es dorment dans des gymnases. Les étudiant.es gèrent les arrivées massives de dons d'aliments, de matelas et de transats pour assurer leur séjour à Niš.

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Le lendemain matin, les voitures s'accumulent progressivement aux entrées de la ville. La police, très peu présente, se limite à faire la circulation. Des centaines de milliers de personnes sont venues rejoindre les étudiant.es pour manifester toute la journée. Rappelons pour mesurer l'ampleur de l'événement que la Serbie compte 6,6 millions d'habitant.es.
Des groupes de manifestants.es déambulent entre la forteresse et les principales places. Ils se croisent et à chaque retrouvaille s'étreignent. Les slogans sur les pancartes rivalisent d'humour et d'inventivité. Les sifflets, les percussions et les cornes de brume rythment la journée et de la nourriture faite maison par les habitant.es est distribuée dans toute la ville. L'effervescence est de toutes parts. "People are just happy to be here and meet each other " (les gens sont juste contents d'être ici et réunis) nous dit une étudiante.
Aleksa, étudiant en tourisme, confie que ses parents le soutiennent dans sa démarche "Ils sont venus avec de la nourriture. Je travaille lundi alors ils me ramènent chez moi ensuite." La ville vit une euphorie populaire qui cesse vers 23h lorsque les mégaphones sollicitent les manifestant.es pour participer collectivement au nettoyage du lieu.

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Oggy, informaticien d'une trentaine d'années, et photographe pour le mouvement, se sent reconnaissant de ce que les étudiant.es ont réussi à réveiller chez le peuple serbe. Une aspiration à plus de justice et à un réel État de droit. Mais il se tient sur ses gardes, et se demande quelle sera la suite. Le Président Aleksandar Vučić et son prédécesseur Tomislav Nikolić ne cèderont pas facilement. Tous deux actifs auprès du parti ultranationaliste dans les années 90, Ogy les considère like bugs who survived the nuclear bomb" (des cafards ayant survécu à la bombe nucléaire). Pour le moment, le gouvernement ne réprime pas ouvertement et se désolidarise de toutes les attaques faites aux manifestant.es. Mais si le mouvement ne passe pas à une étape supérieure, s'il se dégonfle, il craint la répression souterraine sur les participant.es. Au-delà de l'émotion, il espère qu'une voie stratégique se dessinera pour que le président démissionne. Peut-être par une alliance avec l'opposition ?
Pour Vladica, étudiante en master d'anthropologie, la pression sur les étudiant·es est trop grande. "Nous faisons ce que nous pouvons" dit-elle.
Le mouvement n'a jamais eu autant d'ampleur que ce samedi premier mars. Depuis, un appel à manifester dans la capitale a été émis pour le 15 mars à Belgrade, une grève générale a eu lieu le 7 mars et la session parlementaire s'est fait chahuter à coups de sifflet, de cris et de fumigènes par l'opposition ce mercredi 5 mars.
La Serbie vit un moment de lutte populaire historique inspirant et nous rappelle que l'État de droit n'est jamais un acquis.

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Oriane Vérité, docteur en géographie, laboratoire Espace et Société, Université d'Angers : https://theconversation.com/profiles/oriane-verite-1447004
Elsa Théry, réalisatrice, auteure et réalisatrice du documentaire "La ferme derrière chez moi" : https://www.intramuros.org/gavrelle/actualites/574683
Notes :
1- Alors que les travaux devaient coûter près de 4 millions d'euros, la note finale s'élève à officiellement 16 millions. https://www.transparentnost.org.rs/en/110-english/naslovna/12814-key-financial-data-on-the-reconstruction-of-the-novi-sad-railway-station-are-still-unavailable
Le coût total des travaux de l’infrastructure c’est-à-dire de l’ensemble du complexe de la gare ferroviaire, s’élève lui à 65 millions d’euros. https://m.youtube.com/watch?v=z_FK8UwNVig
2- Les étudiant.es ont même été officiellement nommé.es candidat.es pour le Prix Nobel de la paix.