L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié ce 12 avril 2023 les statistiques concernant l’aide publique au développement[1] (APD) mondiale pour l’année 2022. Que nous disent ces chiffres ? Quels sont les impacts de la guerre en Ukraine sur l’APD internationale ? A-t-elle augmenté ? Est-elle réellement envoyée vers les zones les plus pauvres du monde ?
Explosion de l’APD internationale
En 2022, l’APD a augmenté dans 26 des 30 pays donateurs, membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE. Elle a atteint un nouveau niveau record de 204 milliards USD[2] (contre 186 milliards USD en 2021), soit une augmentation de 13,6% par rapport à l’année précédente. Cette augmentation est l'une des plus importantes jamais enregistrées dans l’histoire de l'aide publique au développement.
En pourcentage des richesses, l’APD internationale est passée de 0,33% à 0,36% du revenu national brut (RNB) combiné des pays donateurs, entre 2021 et 2022. Bien que ce ratio soit encore très loin de l'objectif de 0,7% adopté par les Nations Unies il y a plus de cinquante ans, il s'agit du ratio le plus élevé enregistré par les pays donateurs depuis 40 ans.
Sans surprise, le pays donateur le plus généreux en termes nominaux est resté les Etats-Unis, avec une aide de 55 milliards USD, soit plus d’un quart de l’APD mondiale. Suivent l’Allemagne (35 milliards USD), le Japon (18 milliards USD), la France (16 milliards USD) et le Royaume Uni (16 milliards USD). En pourcentage de leurs richesses, les champions de l’APD sont le Luxembourg (1%), la Suède (0,9%), la Norvège (0,86%), l’Allemagne (0,83% du RNB) et le Danemark (0,7%), puisque leur APD a atteint ou même dépassé l’objectif international fixé par les Nations Unies à 0,7% du RNB.
Accueil des réfugiés[3]… surtout ukrainiens
Cette augmentation est principalement due à une forte hausse des dépenses consacrées à l'accueil des réfugiés – surtout ukrainiens - dans les pays donateurs, suite à la guerre en Ukraine. Ces frais d’accueil pour les réfugiés ont augmenté de 130% pour atteindre 29,3 milliards d'USD en 2022, soit 14,4% de l'APD totale. Si de tels frais sont indispensables, les organisations de la société civile internationale demandent depuis des années qu’ils ne soient pas comptabilisés en APD, puisqu’ils sont dépensés sur le territoire des pays donateurs. Si l'on exclut ces dépenses liées aux réfugiés, l'APD internationale en 2022 n’aurait augmenté que de 4,6% par rapport à 2021.
L’explosion de ces frais d’accueil de réfugiés a montré l’absurdité de les inclure dans l’APD. Par exemple, l’APD de la Pologne a augmenté de 256% en 2022, étant constituée à 65% de frais d’accueil. L’aide de l’Irlande a augmenté de 125% en étant constituée à 51% de frais d’accueil. De même, l’APD de la République tchèque a officiellement augmenté de 167% - mais elle aurait diminué si les frais d’accueil de réfugiés n’avaient pas été comptabilisés, car ils représentent 65% de l’APD tchèque. De nombreux pays donateurs sont ainsi devenus les premiers bénéficiaires de leur propre aide au développement.
Aide à l’Ukraine
Un autre facteur à l'origine de l'augmentation de l’APD a été la hausse de l'aide à l'Ukraine. En effet, celle-ci est passée de 918 millions USD en 2021 à 16,1 milliards USD (soit 7,8% de l’APD totale), dont 1,8 milliard USD d'aide humanitaire. L’aide à l’Ukraine représente donc, par exemple, 25% de l’APD lithuanienne, 26% de l’APD canadienne ou 38% de l’APD des institutions de l’Union européenne.
En parallèle, l’APD bilatérale vers les pays dits “les moins avancés” (46 pays dont les indices de développement humain sont les plus faibles au monde) a diminué de 0,7% par rapport à 2021. De même, l’APD bilatérale vers l’Afrique (34 milliards USD) a diminué de 7,4%. Vers l’Afrique sub-saharienne, l’APD a même diminué de 7,8% pour se situer à 29 milliards USD. L’aide vers l’Ukraine représente donc en 2022 plus de la moitié de l’aide envoyée vers toute l’Afrique sub-saharienne.
La guerre en Ukraine a aussi renforcé une autre tendance préexistante : l’augmentation de la part de l’aide humanitaire dans l’APD totale. En effet, l’aide humanitaire a augmenté de 1% par rapport à 2021, mais de 22% par rapport à 2019, pour se situer à 22,3 milliards USD. L’OCDE rappelle que l’aide humanitaire est restée aux alentours de 10% de l’APD totale, mais sans prendre en compte la grande hausse des frais d’accueil de réfugiés dans l’APD. Si ces derniers en sont exclus, l’aide humanitaire représenterait en fait 13% de l’APD en 2022.
Toujours davantage de prêts
Une autre tendance préexistante est confirmée suite aux conséquences de la guerre en Ukraine : l’augmentation de la part des prêts dans l’APD totale, au détriment des dons. Les prêts souverains bilatéraux accordés par les pays donateurs ont augmenté de 36% par rapport à 2021, représentant 9,3% de l’APD bilatérale mondiale. Les pays dont la part des prêts dans l'APD bilatérale est la plus élevée sont le Japon (60%), la Corée (32%) et la France (22%). Les prêts souverains accordés par les institutions de l'UE ont plus que doublé (+110%) pour représenter 24% de leur APD bilatérale, principalement en raison de prêts à l'Ukraine.
En conclusion, la guerre en Ukraine a eu des impacts extrêmement importants sur l’APD internationale : une explosion de l’APD artificiellement gonflée par les frais d’accueil de réfugiés, notamment ukrainiens ; un renforcement de la tendance à l’augmentation de l’aide vers les pays à revenu intermédiaire (dont l’Ukraine) plutôt que les pays les moins avancés, notamment en Afrique sub-saharienne ; et une augmentation de la proportion de l’aide humanitaire, ainsi que des prêts, dans l’APD totale.
Antoinette Van Haute.
[1] Cet article utilise le terme « aide publique au développement » ou « APD » car il s’agit du terme officiel utilisé par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE.
[2] Sauf mention contraire, toutes les données et graphiques de cet article proviennent de : OCDE, Essor de l’aide publique au développement sous l’effet des dépenses consacrées aux réfugiés et à l’aide à l’Ukraine, 12 avril 2023, https://www.oecd.org/fr/cad/essor-de-l-aide-publique-au-developpement-sous-l-effet-des-depenses-consacrees-aux-refugies-et-a-l-aide-a-l-ukraine.htm
[3] Les pays de l’Union européenne ont pour la première fois activé la « protection subsidiaire » temporaire pour la population ukrainienne fuyant le conflit. Les personnes concernées ne disposent donc pas juridiquement du statut de « réfugiées », même si elles répondent à la définition du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).