CNCD-11.11.11 (avatar)

CNCD-11.11.11

Abonné·e de Mediapart

49 Billets

1 Éditions

Billet de blog 19 juillet 2023

CNCD-11.11.11 (avatar)

CNCD-11.11.11

Abonné·e de Mediapart

Le siècle des métaux stratégiques

La sécurisation de l’approvisionnement en métaux stratégiques nécessaires pour une transition énergétique rapide et la réduction de l’impact environnemental de leur production passent par le recyclage, la diversification, la relocalisation et la sobriété. Par Arnaud Zacharie.

CNCD-11.11.11 (avatar)

CNCD-11.11.11

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alors que la demande en minerais et en métaux avait déjà sensiblement augmenté au cours du 20ème siècle, elle est appelée à fortement augmenter au cours du 21ème siècle. La transition énergétique et la digitalisation de l’économie sont en effet gourmandes en minerais et en métaux[1]. Une voiture électrique contient par exemple six fois plus de minerais qu’une voiture à moteur thermique[2]. La production des batteries nécessite d’importantes quantités de cobalt, de lithium, de nickel, de manganèse et de graphite. Le développement des réseaux électriques nécessite beaucoup de cuivre et d’aluminium. Les panneaux solaires sont fabriqués à l’aide de silicium, de zinc et d’aluminium. Quant aux éoliennes, elles nécessitent du cuivre, de l’aluminium et du nickel, ainsi que des terres rares pour l’éolien offshore[3].

L’atteinte des objectifs climatiques nécessitant une transformation rapide des systèmes énergétiques mondiaux, la demande en métaux est appelée à s’envoler au cours des deux prochaines décennies. Au niveau mondial, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la trajectoire menant à zéro émission nette de CO2 en 2050 nécessitera six fois plus de ressources minérales en 2040 qu’aujourd’hui. Au niveau européen, une étude de l’Université de Leuven estime que les Etats membres de l’UE auront besoin en 2050 de deux fois plus de nickel qu’aujourd’hui, de trois fois plus de cobalt et de trente-cinq fois plus de lithium[4].

Cette ruée mondiale vers les métaux pose plusieurs questions cruciales. Premièrement, la production doit être en mesure de répondre à la demande croissante, sans quoi des problèmes d’approvisionnement surgiront immanquablement – avec le risque de freiner la transition énergétique. Deuxièmement, la concentration géographique des ressources risque de provoquer des tensions géopolitiques et des conflits – qui à leur tour entraîneraient des problèmes d’approvisionnement. Troisièmement, l’extraction des minerais et la production des métaux peuvent engendrer d’importants dégâts environnementaux et des violations des droits humains et des normes fondamentales du travail – ce qui n’est pas cohérent avec les objectifs de la transition écologique et sociale.

Le risque des ruptures d’approvisionnement

Il ne devrait pas y avoir de pénuries liées au manque de disponibilité géologique des ressources minérales à moyen et long terme, car les capacités sont suffisantes. En particulier, les mal nommées terres rares ne le sont en réalité pas, car elles concernent dix-sept matières premières relativement abondantes[5].

En revanche, les choses s’annoncent plus compliquées pour l’approvisionnement de certains métaux à court terme. En effet, la demande en métaux va monter en flèche alors que les capacités de production sont limitées. Or l’exploitation de nouvelles mines prend du temps.

C’est pourquoi l’AIE craint que des hausses de prix et des problèmes d’approvisionnement surgissent à l’horizon 2030[6]. Elle prévoit que la demande mondiale de lithium sera multipliée par plus de 40 d’ici 2040, celle du graphite par 25, celle du cobalt par plus de 20 et celle du nickel par près de 20. En outre, la demande de cuivre pour le développement des réseaux électriques devrait plus que doubler au cours de la même période. L’AIE estime que les mines et les projets existants ne devraient couvrir que la moitié des besoins mondiaux en lithium et en cobalt, et 80% de la demande en cuivre. L’Union européenne est particulièrement dépendante et vulnérable, puisqu’elle concentre 20% de la demande mondiale des métaux alors qu’elle n’assure que 3% de la production mondiale. 

Le risque géopolitique

La concentration de la production des métaux est un autre facteur de risque. Le marché des métaux est en effet dominé par quelques Etats et quelques firmes transnationales.

En matière d’extraction, les deux tiers des réserves mondiales de cobalt sont concentrées en République démocratique du Congo, la moitié de la production de lithium est concentrée en Australie, 40% du cuivre proviennent du Chili et du Pérou, 70% du platine d’Afrique du Sud et la Chine concentre 60% des terres rares et du graphite.

En matière de raffinage, la domination de la Chine est insolente, puisqu’elle concentre près de 90% du traitement mondial des terres rares, plus de 60% du cobalt et du lithium et 40% du cuivre. La Chine a multiplié les investissements à l’étranger dans le but de sécuriser ses approvisionnements en métaux stratégiques et de renforcer sa position dominante en matière de raffinage – 80% des métaux nécessaires à la fabrication des batteries de véhicules électriques sont par exemple transformés en Chine[7]. Elle a dans ce but accepté d’assumer le coût environnemental de cette stratégie, car le raffinage est une activité très polluante – la séparation de la roche de certains minerais comme les terres rares libère des éléments radioactifs et nécessite d’importantes quantités d’eau.

Enfin, les opérations d’extraction et de traitement des métaux sont contrôlées par un nombre restreint d’entreprises – 90% du marché du lithium sont par exemple aux mains de cinq entreprises.

Cette concentration des capacités d’extraction et de production risque de remplacer la dépendance actuelle aux énergies fossiles par une dépendance aux métaux. Il est toutefois important de souligner que contrairement aux énergies fossiles, les métaux ne sont nécessaires que pour la fabrication des technologies vertes – pas pour leur fonctionnement et leur utilisation. Autrement dit, la hausse des prix des métaux n’affecterait pas les utilisateurs de voitures électriques ou de panneaux solaires existants, alors qu’un problème d’approvisionnement en pétrole affecte automatiquement tous les conducteurs de véhicules à moteur thermique.

Les risques de rupture d’approvisionnement sont néanmoins réels. C’est pourquoi les Etats-Unis et l’Union européenne ont défini des listes de minerais et de métaux critiques et stratégiques en vue de sécuriser leur approvisionnement. Les Etats-Unis ont ainsi identifié 50 matières premières critiques en 2022 et la Commission européenne en a identifiées 34 dans sa dernière classification publiée en mars 2023. Le projet de législation européenne sur les matières premières critiques fixe des objectifs à l’horizon 2030 pour améliorer les capacités d’extraction, de transformation, de recyclage et d’approvisionnement de l’Union européenne[8]. L’UE et les Etats-Unis négocient également un accord de coopération pour promouvoir des chaînes d’approvisionnement transatlantiques pour les minerais critiques nécessaires à la production des batteries de véhicules électriques[9].

Le risque environnemental et social

L’extraction des minerais et la production des métaux ont un coût pour l’environnement et les droits humains. La production de nombre de métaux pollue les sols et les eaux et libère des produits chimiques dangereux qui menacent les mineurs et les populations qui vivent dans les zones minières.

En outre, la teneur en minerais des gisements exploités diminue avec l’épuisement des gisements les plus riches, ce qui devrait en théorie demander toujours plus d’énergie pour les extraire. Toutefois, dans la pratique, l’énergie nécessaire pour extraire et traiter les minerais est restée constante et les émissions de CO2 du secteur ont baissé grâce aux progrès techniques, aux effets d’échelle et au recours croissant aux énergies renouvelables[10].

Par ailleurs, la transition énergétique, qui vise à remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables, aura en réalité pour effet de réduire les besoins d’extraction de ressources naturelles. En effet, si la décarbonation des systèmes d’électricité et de transport devrait multiplier par 7 l’extraction de ressources pour produire des métaux entre 2015 et 2050, elle aura aussi pour effet de réduire drastiquement l’extraction de ressources pour produire des combustibles fossiles. Ainsi, bien que la décarbonation du secteur du transport devrait entraîner un doublement de l’extraction de ressources entre 2015 et 2050, la décarbonation du secteur de l'électricité devrait au contraire réduire l'extraction des ressources d'environ 60% durant la même période. Au total, la transition énergétique aura pour effet de réduire les besoins d’extraction de ressources naturelles[11].

La sortie des énergies fossiles aura également pour effet de réduire le transport maritime, puisque près de 40% du transport maritime mondial sont consacrés au transport des énergies fossiles[12].

En définitive, il ne fait aucun doute qu’il y aura beaucoup moins d'extraction, de transport, de combustion et de pollution dans une économie mondiale décarbonée que dans une économie alimentée par les énergies fossiles[13].

Il n’en reste pas moins qu’il est crucial que les projets miniers respectent des normes sociales et environnementales les plus élevées possibles. D’abord, parce que la protection de l’environnement et les conditions de travail décentes sont des conditions sine qua non pour que la transition énergétique garantisse une amélioration des conditions de vie des populations. Ensuite, parce que la non prise en compte des normes sociales et environnementales risque d’exacerber les problèmes d’approvisionnement – qu’ils soient causés par un stress hydrique élevé, par la contestation des populations locales ou par des conflits provoqués par des groupes armés se finançant par l’exploitation illégale des minerais[14].

Recyclage, diversification, relocalisation et sobriété

Pour garantir l’approvisionnement en métaux stratégiques nécessaires pour une transition énergétique rapide, plusieurs mesures doivent être adoptées par les gouvernements et les entreprises.

Premièrement, le développement de l’économie circulaire doit permettre de recycler et de réutiliser les métaux, afin de réduire les importations et les dégâts environnementaux engendrés par leur extraction et leur production. Selon l’étude de l’Université de Leuven, le recyclage des métaux pourrait permettre de couvrir entre 40% et 75% des besoins de l’UE en 2050[15]. Cela implique toutefois de soutenir le développement de filières locales opérationnelles et rentables. En outre, la quantité de métaux à recycler est actuellement trop limitée, car la première vague de technologies vertes est encore trop récente. Il faudra dès lors attendre 2035 pour disposer d’une quantité plus importante de métaux à recycler. Par conséquent, les effets sur la réduction des importations ne pourront se faire sentir que vers 2040.

Deuxièmement, l’Europe doit envisager l’ouverture de nouvelles mines et de raffineries respectant les normes sociales et environnementales[16]. Cela permettrait non seulement de réduire les importations, mais aussi de ne plus se limiter à délocaliser l’impact environnemental de la production des métaux dans des pays où les normes sont plus faibles. L’étude de l’Université de Leuven estime que l’Europe a en théorie un potentiel minier capable de couvrir entre 5% et 55% de ses besoins selon les métaux concernés. En Europe, il existe des ressources en lithium en Serbie, au Portugal, en Espagne, en Finlande ou en France[17]. Les obstacles sont toutefois importants, car il est difficile d’obtenir des permis et les populations locales peuvent s’opposer à ces projets en raison de leurs conséquences environnementales. Le projet de mine de lithium de Rio Tinto en Serbie a par exemple provoqué une vive contestation[18].

Troisièmement, la diversification des fournisseurs et des ressources utilisées peut réduire la vulnérabilité aux ruptures d’approvisionnement. La concentration géographique des ressources rend toutefois difficile la diversification des importations à court terme. C’est pourquoi l’utilisation de ressources alternatives peut contribuer à réduire la demande de certains métaux stratégiques. Les batteries peuvent déjà remplacer le lithium par le sodium (batteries sodium-ion plutôt que lithium-ion) ou le cobalt par le minerai de fer (batteries LFP).

Les pays en développement riches en métaux stratégiques doivent quant à eux éviter de se limiter à fournir des minerais non transformés à faible valeur ajoutée, mais au contraire investir dans le développement de capacités de transformation et de chaînes de production régionales, afin de monter en gamme et de créer des emplois de qualité pour les populations locales. 

Enfin, il faut faire preuve de sobriété pour limiter les besoins en métaux. Il ne suffit par exemple pas de remplacer chaque voiture à moteur thermique par une voiture électrique. C’est l’ensemble de la mobilité qu’il faut repenser, afin de limiter l’usage de la voiture dans les centres urbains, d’investir dans les transports en commun et de faire de la voiture partagée la norme plutôt que l’exception.

 Arnaud Zacharie.

[1] Un minerai est une substance minérale solide d’origine naturelle qui peut être raffinée pour produire des métaux.

[2] Agence internationale de l’énergie, « The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions », AIE, mai 2021. https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-transitions

[3] Hache E. et Mignon V., « 10 points sur les métaux stratégiques », Le Grand Continent, 21 mars 2023. https://legrandcontinent.eu/fr/2023/03/21/10-points-sur-les-metaux-strategiques/

[4] Gregoir L., « Metals for clean energy. Pathways to solve Europe’s raw materials challenge », KU Leuven/Eurométaux, avril 2022. https://www.eurometaux.eu/metals-clean-energy/

[5] https://apnews.com/article/science-green-technology-climate-and-environment-renewable-energy-141761657a8e7a5627a0e49e601dd48e

[6] Agence internationale de l’énergie, « The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions », AIE, mai 2021. https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-transitions

[7] Bonnet T., Grekou C., Hache E. et Mignon V., « Métaux stratégiques : la clairvoyance chinoise », La Lettre du CEPII n°428, juin 2022. http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=13403

[8] La Commission propose que pour chaque matière première stratégique, l’UE soit capable en 2030 d’extraire 10% de sa consommation annuelle, de transformer 40% de sa consommation, de produire via le recyclage 15% de sa consommation et de limiter les importations de chaque matière première à 65% de sa consommation. https://single-market-economy.ec.europa.eu/publications/european-critical-raw-materials-act_en

[9] https://france.representation.ec.europa.eu/informations/lue-progresse-dans-les-negociations-en-vue-dun-accord-avec-les-etats-unis-sur-les-minerais-critiques-2023-06-15_fr

[10] Philibert C., « Transition et métaux rares : vraies et fausses alertes », Alternatives Economiques, 31 décembre 2021. https://www.alternatives-economiques.fr/transition-metaux-rares-vraies-fausses-alertes/00101634

[11] Watari T. et al., « Sustainable Energy Transitions Require Enhanced Resource Governance », Journal of Cleaner Production vol. 312, 20 août 2021. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652621019168

[12] Degnarain N., « Calls For Global Shipping To Ditch Fossil Fuels And Meet Climate Goals », Forbes, 25 septembre 2021. https://www.forbes.com/sites/nishandegnarain/2020/09/25/loud-calls-for-global-shipping-to-ditch-fossil-fuels-and-meet-climate-goals/?sh=28be5daf2aaf

[13] Roberts D., « What you need to know about minerals and the clean energy transition », Canary Media, 4 février 2022. https://www.canarymedia.com/articles/clean-energy/minerals-and-the-clean-energy-transition-the-basics-2

[14] Michaels K. C., Maréchal L. et Katz B., « Why is ESG so important to critical mineral supplies, and what can we do about it? », IEA, 9 septembre 2022. https://www.iea.org/commentaries/why-is-esg-so-important-to-critical-mineral-supplies-and-what-can-we-do-about-it

[15] Gregoir L., op. cit.

[16] Pitron G., La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, LLL, 2018.

[17] Millot R. et al., « Relocaliser l’extraction des ressources minérales : en Europe, les défis du lithium », The Conversation, 1 juin 2020. https://theconversation.com/relocaliser-lextraction-des-ressources-minerales-en-europe-les-defis-du-lithium-138581

[18] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/12/13/en-serbie-un-projet-de-mine-de-lithium-porte-par-rio-tinto-fait-face-a-une-fronde-inedite_6105800_3244.html

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.