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Billet de blog 23 avril 2024

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FMI et Banque mondiale : des avancées insuffisantes dans un monde en crise

Les Réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale se sont clôturées le 19 avril, mais les nouvelles annonces ne sont pas à la hauteur des enjeux et l’écart entre les ambitions de ces deux institutions et les demandes de la société civile ne fait que se creuser. Par Antoinette Van Haute.

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UNE SITUATION FINANCIERE ALARMANTE

La semaine des Réunions de printemps 2024 a débuté avec la publication d’un rapport alarmant par la Banque mondiale elle-même. Selon ce rapport, l'écart entre la croissance du revenu par habitant des pays les plus pauvres et celle des pays les plus riches s'est creusé au cours des cinq dernières années, pour la première fois au cours de ce siècle. "Nous constatons une régression structurelle très grave, un renversement de tendance dans le monde. C'est pourquoi nous tirons la sonnette d'alarme", a déclaré Ayhan Kose, économiste en chef adjoint de la Banque mondiale et l’un des auteurs du rapport.

En parallèle, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) déclarait quelques jours plus tôt que la part de l’aide au développement internationale allouée aux pays dits « les moins avancés » (pays dont les indices de développement sont les plus faibles au monde) avait atteint 22% seulement, soit la part la plus faible depuis plus d’une décennie. Le même jour, la CNUCED annonçait également que près de la moitié de l’humanité vivait dans des pays qui dépensent plus pour rembourser les intérêts de leur dette que pour investir dans l’éducation ou la santé.

En outre, selon le Global Sovereign Debt Monitor 2024, publié au même moment par l’organisation allemande Erlassjahr, les pays du Sud devront payer cette année un montant record de service de la dette à leurs créanciers extérieurs. Et dans 45 pays, plus de 15% des recettes publiques sont consacrées au service de la dette. Par ailleurs, l’organisation ONE annonçait elle aussi une nouvelle alarmante : les flux financiers nets vers les pays du Sud (c’est-à-dire les prêts et subsides alloués aux pays du Sud, moins les paiements de la dette) ont diminué de 48% depuis 2022, et sont dorénavant à leur niveau le plus bas depuis la crise financière de 2008. ONE estime même que ces flux financiers sont devenus négatifs en 2023 : les pays du Sud rembourseraient donc désormais davantage qu’ils ne reçoivent.

BANQUE MONDIALE : GRANDS ENJEUX, SOLUTIONS ANECDOTIQUES

Si cette situation dramatique mérite des solutions ambitieuses, ces Réunions de printemps n’en ont pas apporté. Certes, la Banque mondiale a fait quelques nouvelles annonces : premièrement, son Président Ajay Banga a annoncé l’objectif de financer l’accès à l’électricité pour 300 millions de personnes supplémentaires d’ici 2030, en partenariat avec la Banque africaine de développement. Un autre objectif fut annoncé par la Banque dans le domaine de la santé : celui de fournir des services de santé de qualité à 1,5 milliard de personnes d’ici 2030, ce qui représente un doublement de son engagement précédent. Troisièmement, une nouvelle plateforme de garanties financières a été proposée, pour réduire le risque des investissements internationaux du secteur privé, notamment dans des projets liés au climat. L’objectif est ainsi de tripler le montant annuel des garanties de la Banque mondiale pour les porter d'ici 2030 à 20 milliards USD. Enfin, si différentes voix ont appelé à l’augmentation massive des contributions à l’IDA (le bras de la Banque mondiale qui finance les pays à faible revenu) pour la fin de l’année, les pays donateurs n’ont pas fait de promesses publiques et insistent à l’inverse sur leur situation budgétaire difficile. Par ailleurs, les appels pour un IDA plus efficace semblent se résumer à des considérations administratives, plutôt que d’intégrer la question de la transformation économique réelle que les projets IDA encouragent, ou les critiques liées à sa ligne budgétaire finançant le secteur privé (private sector window).

Ces annonces semblent finalement marginales par rapport aux inégalités structurelles profondes de l’architecture financière internationale. La réforme des Institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI) fait pourtant partie des priorités du G24 (groupe de pays du Sud établi en 1971), du G77, de la Présidence brésilienne du G20 et de la grande majorité des organisations de la société civile au Nord comme au Sud travaillant sur ces dossiers. La Banque mondiale avait en outre initié un processus de réforme de son institution en 2022, appelé « Evolution Roadmap ». Mais près de deux ans plus tard, l’éléphant a accouché d’une souris. Le processus s’est résumé à adresser l’efficacité administrative plutôt qu’une réflexion profonde sur le rôle que joue l’institution dans sa mission vis-à-vis des pays les plus pauvres du monde. La Banque a par exemple développé un nouveau set d’indicateurs d’évaluation de ses interventions (corporate scorecard), mais ce faisant, a décidé de réduire ces derniers, passant de 150 à seulement 22 indicateurs.

FMI : AUCUNE ANNONCE NOTABLE

De son côté, le FMI est peut-être encore plus décevant. Si la déclaration du Président du Comité financier et monétaire international  mentionne une révision de la politique des surtaxes, rien n’a été dit sur leur suspension ou élimination. Pourtant, le communiqué du G24 (groupe de pays du Sud) demandait justement leur suspension immédiate. Pour rappel, les surtaxes sont des pénalités qui s'appliquent aux prêts d'un pays dépassant un certain seuil, non remboursés après un certain nombre de mois. Elles affectent donc de manière disproportionnée les pays déjà en situation d’endettement élevé. Selon l’organisation Bretton Woods Project, ces surtaxes devraient coûter 2,1 milliards USD à 17 pays du Sud, rien qu’en 2024[1]. Parce qu’elles pénalisent spécifiquement les pays qui sont déjà en situation financière difficile, les organisations de la société civile demandent donc qu’elles soient tout simplement éliminées.

Le FMI n’a pas non plus fait d’annonce conséquente concernant les droits de tirage spéciaux (DTS), alors que le même G24 demandait une réorientation plus ambitieuse de ces DTS pour les pays qui en ont le plus besoin. Pour rappel, les DTS sont de la monnaie créée par le FMI pour constituer un avoir de réserve international, qui peut compléter les réserves de change officielles des pays membres. Cette réserve est particulièrement précieuse pour les pays du Sud qui n’ont pas facilement accès aux devises étrangères les plus prisées. En 2021, la plus grande distribution de DTS entre les 190 pays membres du FMI a eu lieu, mais ils sont allés en majorité aux pays riches, plutôt qu’aux pays les plus pauvres. Les organisations de la société civile demandent donc qu’une nouvelle allocation de ces DTS soit approuvée et mise en œuvre le plus rapidement possible, tout en permettant qu’ils aillent d’abord aux pays qui en ont le plus besoin.

Par ailleurs, aucune annonce substantielle n’a été faite concernant la réforme de la gouvernance de ces deux institutions. Pire : la confirmation de Kristalina Georgieva en tant que Directrice du FMI pour un second mandat a confirmé la règle non-écrite du Gentlemen’s agreement, selon laquelle la direction du FMI est tenue par une personne européenne, et la direction de la Banque mondiale est tenue par une personne issue des Etats-Unis. Cette règle non-écrite est évidemment contestée par les organisations de la société civile, qui exigent que la direction de ces institutions soit sélectionnée via un processus méritocratique, transparent, et ouvert à toutes les nationalités. Au sein du FMI en particulier, la dernière réforme des quotes-parts (qui se traduisent en droits de vote) en 2023 n’a permis aucun réalignement de ces dernières : les pays du Sud n’ont donc pas plus voix au chapitre qu’avant, et ce sont toujours les pays riches qui ont le plus grand pouvoir décisionnel. Mais une nouvelle réforme des quotes-parts est sur les rails : un rapport devra être présenté en juin 2025 avec plusieurs propositions de réalignement de ces quotes-parts, en espérant qu’il soit le plus ambitieux possible pour donner davantage de place aux pays du Sud dans les processus décisionnels, et leur permettre un plus grand accès aux financements disponibles.

UNE SOURCE D’ESPOIR : LA TAXATION DES ULTRA-RICHES

Les réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale ont donné le coup d'envoi des célébrations marquant les 80 ans de leur création lors de la conférence de Bretton Woods. Mais au lieu d'évoluer avec leur temps, l'absence de résultats de cette semaine montre à quel point ces institutions sont devenues incapables de faire face aux demandes et besoins des pays du Sud. Au lieu de s'attaquer à leurs problèmes structurels, elles ont réaffirmé les mêmes solutions insuffisantes.

En revanche, en marge des réunions de printemps, une source d’espoir est ressortie des initiatives de la présidence brésilienne du G20, en marge des rencontres officielles. En quelques jours seulement, plusieurs pays ont confirmé leur soutien à la proposition de l’économiste français Gabriel Zucman pour une taxe de 2% sur les patrimoines des milliardaires, soit les 3000 personnes les plus riches du monde. Les prix Nobel d’économie Esther Duflo et Joseph Stiglitz, ainsi que plusieurs organisations de la société civile, ont publiquement soutenu la proposition. Et c’est logique : selon les premières estimations, une telle taxe sur les 3000 individus les plus riches du monde rapporterait environ 250 milliards USD par an, soit l’équivalent de toute l’aide internationale à son niveau le plus haut. La prochaine étape sera la présentation d’un rapport coordonné par Zucman en juin 2024. La taxation des grands patrimoines est en enjeu qui monte dans les débats au niveau international. A défaut de permettre des décisions officielles à la hauteur des enjeux actuels, les Rencontre de printemps du FMI et de la Banque mondiale auront au moins servi de forum pour permettre à ce type de débat de gagner en visibilité.

Antoinette Van Haute. 

[1] Bretton Woods Project, Bretton Woods Observer, automne 2022.

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