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Par Lilia Ben Hamouda, ex-rédactrice en cheffe du Café pédagogique, membre du Conseil scientifique de l'Observatoire des Zones prioritaires et membre de Chronik.
« Assurer la réussite ne pourra se faire qu’avec les parents », selon la ministre de l’Éducation nationale lors de sa conférence de rentrée mercredi 27 août. « La coéducation est la responsabilité de tous », a-t-elle ajouté. Une déclaration ambitieuse, qui contraste avec les constats dressés dans le rapport 2024 de la Médiatrice de l’Éducation nationale. Chaque année, ils sont des milliers à solliciter la médiation de l’Éducation nationale pour comprendre une décision qu’ils estiment injuste. pour les parents d’élèves ou étudiants, derrière chaque saisine, il y a une inquiétude, un malentendu, parfois un conflit ouvert. En 2024, la médiation a reçu plus de 23 700 saisines, dont une part croissante concerne la relation entre l’École et les familles. « Dans un monde traversé par de profondes mutations (…), l’École et Université font face à de nouveaux défis : restaurer le sens de nos enseignements et de nos valeurs, redonner confiance aux familles, dans un cadre rassurant pour que l’éducation signifie bonheur d’apprendre et promesse d’avenir, plutôt que succession d’épreuves » écrit la Médiatrice de l’Éducation nationale, Catherine Becchetti-Bizot. C’est dans ce contexte que son rapport annuel révèle les signes d’une fracture entre les parents et l’École...
Une hausse des conflits
Si les relations entre les familles et l’École n’ont jamais été un long fleuve tranquille, le dernier rapport annuel de la Médiatrice de l’Éducation nationale « Éviter les ruptures, faciliter les transitions » atteste de l’aggravation des tensions. Sur les 23 700 sollicitation de médiation, plus de 18 000 émanent des usagers. 27% sont adressées par des étudiants, 49 % des collégiens ou lycéens et 17 % concernent des écoliers. « Les demandes provenant du premier degré sont en très forte augmentation (+ 105 % en cinq ans) ». 6 550 saisines concernent directement la vie quotidienne dans les établissements scolaires, domaine qui connaît une progression de + 20 % en 2024. « En 2024, 23 % de ces 6 550 saisines concernent des conflits entre parents d’élèves et établissement, 18 % sont des contestations liées au fonctionnement de l’établissement, 8 % ont trait à la notation et aux évaluations, 5 % sont liées à des absences de professeurs ».
Sur 5 ans, ce type de saisines a plus que doublé, il a progressé de +137 %. « Ce chiffre peut être interprété comme le signe d’une dégradation de la relation entre les membres de la communauté éducative, notamment de la relation École-familles, qui rend de plus en plus nécessaire la mise en place d’alliances éducatives, pour assurer la cohérence et la continuité des parcours des élèves ».
Parmi les sujets les plus sensibles évoqués dans le rapport figure le harcèlement scolaire. Le nombre de saisines à ce sujet est passé de 300 à 800 cas entre 2019 et 2024. La Médiatrice évoque la nécessité de mieux former les personnels à la gestion de ces conflits, notamment à travers les dispositifs de sensibilisation co-construits avec les familles, et ce, pour un meilleur suivi des conséquences d’un harcèlement sur le parcours scolaire de l’élève.
De nombreux dossiers traité par la médiation mettent aussi en lumière des décisions administratives peu claires, des procédures opaques et une information transmise uniquement en ligne, sans relation directe avec les usagers. Le rapport pointe l’effet paradoxal de la dématérialisation des démarches scolaires. Si ces outils sont censés simplifier les relations entre l’usager et l’administration, ils peuvent avoir l’effet inverse - difficultés d’accès aux informations et aux recours administratifs - pour les familles peu familières avec le numérique ou ne disposant pas des moyens ou des connaissances nécessaires pour comprendre les décisions scolaires. Ce phénomène contribue à renforcer les inégalités d’accès à l’École, à l’information et aux recours et nourrit un sentiment d'injustice ou d'opacité, que les équipes de la médiatrice tentent de lever en apportant une lecture claire des procédures.
La médiation : un recours de plus en plus reconnu
Dans un système où les familles peinent à trouver des interlocuteurs disponibles, la médiation devient un point d’appui. Dans 79 % des cas, une solution est trouvée, que ce soit par l’écoute, la reformulation ou la recherche de compromis. Mais cette efficacité souligne aussi l’insuffisance des dispositifs de prévention. Trop souvent, les familles arrivent à la médiation après avoir été confrontées à des silences ou à des réponses automatisées de l’institution. « La médiation a su faire la preuve d’une efficacité croissante, en particulier parce qu’elle n’impose pas de décision mais cherche à faire émerger, du dialogue et de la concertation, des solutions inédites, équitables et durables. Ainsi, sans jamais s’écarter du droit, elle contribue à l’apaisement des relations entre les usagers, les personnels et leur administration. Elle facilite, en particulier, les démarches de tous ceux qui se sentent éloignés des services publics ou n’en possèdent pas les codes. Elle contribue ainsi à créer du lien, de la transparence et de la confiance entre les administrés et l’institution scolaire, au sein d’un système qui ne cesse de se complexifier ».
Repenser l’« alliance éducative » pour rétablir l’équité et la lisibilité
Le rapport 2024 s’inscrit dans la continuité du rapport 2023 intitulé « Faire alliance, redonner confiance ». Il appelle à une redéfinition de la relation entre l’École et les familles, non pas comme un rapport d’autorité mais comme une coopération. Cela passe par la création d’espaces d’échange dans les établissements, la formation des personnels à la communication avec les familles, et la simplification des procédures administratives.
Ces mesures sont d’autant plus urgentes que les tensions ne cessent d’augmenter, dans un contexte où les familles expriment de fortes attentes vis-à-vis de l’institution, mais aussi une défiance croissante.
La fracture École–Famille révèle également des inégalités profondes : seuls les parents les plus à l’aise avec les outils et les codes de l’École parviennent à faire valoir leurs droits ou à accompagner les parcours de leurs enfants. Pour les autres, l’opacité, la distance et l’impersonnalité deviennent des facteurs de renoncement.
Le rapport insiste sur l’importance de restaurer une École « lisible, humaine, accessible, compréhensible par tous et surtout respectueuse », notamment pour éviter que des incompréhensions administratives ne se transforment en ruptures de parcours.
Restaurer la confiance pour préserver l’École
L’École publique ne peut fonctionner sans l’adhésion des familles. Or cette adhésion s’effrite lorsque la communication devient unilatérale et que les familles ne trouvent pas de réponses à leurs préoccupations. La médiation joue un rôle crucial dans la reconstruction de ce lien, mais elle ne peut en être le seul garant.
Il appartient à l’institution de remettre la relation humaine au cœur de son fonctionnement, d’écouter avant de sanctionner, d’expliquer avant de décider. C’est à ce prix que l’École pourra retisser ses liens avec toutes les familles.