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Par William Leday, enseignant en relations internationales à Sciences Po Aix, ancien conseiller pour les questions de défense de Benoît Hamon (candidat PS à la présidentielle de 2017) et de Yannick Jadot (candidat EELV à celle de 2022).
Avec une majorité absolue du Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale le 7 juillet prochain, la politique extérieure de la France connaîtra un tournant car, en dépit des pouvoirs théoriques consignés dans le fameux « domaine réservé » du Président de la République, la cohabitation risque de conduire à un affaiblissement sans précédent de la France à l’international.
En effet, lors des trois précédentes cohabitations, les protagonistes convergeaient, avec des nuances, autour de ce qu’on a longtemps appelé le consensus gaullo-mitterrandien. Pour aller vite, ce dernier reposait sur une certaine idée de l’indépendance nationale adossée à la tenue de positions singulières sur l’échiquier mondial et dont la dissuasion nucléaire constituait l’assurance-vie. Depuis, la France a embrassé la construction européenne et voit sa puissance décliner relativement dans un monde qui se désoccidentalise à grands pas. La cohabitation entre d’une part, un président qui a ambitionné d’incarner jusque-là une forme de continuité, et d’autre part, une force politique dont la vision du monde s’articule autour de postulats nationalistes, débouchera sur la paralysie de notre diplomatie.
Une vision illibérale du monde
En effet, portée par une vision dans laquelle la nation est l’élément central, la politique extérieure que propose le RN découle d’un corpus idéologique privilégiant le bilatéralisme au détriment du multilatéralisme, la prise en compte du supposé « génie » des nations… Il faut se souvenir que le RN a prôné par le passé le rétablissement des relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar Al-Assad et la sortie du commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Sans compter le soutien apporté par le RN à la Russie jusqu’en 2022, les relations de proximité, y compris financières, et sa volonté de rétablir un partenariat avec la Russie, à l’issue du conflit ukrainien, sans que soit pour autant précisé le sort qui serait fait à Vladimir Poutine.
La préférence nationale, figure de proue du programme du RN, trouve sa traduction dans la célébration du mythe d’une France éternelle, nation menacée d’acculturation par les Anglo-Saxons et le mondialisme. Ainsi, notre pays devrait montrer sa singularité et restaurer sa « grandeur » tout en s’alliant avec les vieilles nations, comme la Russie, victimes du même phénomène que notre pays, avait déclaré Marine Le Pen, en février 2017, à Paris, lors de son discours sur la politique étrangère, en miroir de la vision du monde d’un certain … Vladimir Poutine.
Cette vision s’inscrit dans une lecture ethniciste et identitaire des sociétés humaines, dans la lignée de la tradition contre-révolutionnaire de Maurice Barrès [1862-1923], actualisée par le Groupe de recherche et d’étude pour la civilisation européenne (GRECE), qui voit dans l’homme un être lié charnellement à la terre de ses ancêtres, et qui considère que les Etats multinationaux sont des aberrations. Elle débouche sur une vision identitaire de la nation qu’exprimait Jean-Marie Le Pen en 1991, en s’opposant à la guerre contre l’Irak au nom de l’authenticité de la culture arabe, et qui fait écho aux positionnements de Marine Le Pen et du RN sur les différents dossiers internationaux. Dans ce registre, le « concert des nations » se substitue alors à la communauté internationale, et « Europe des nations » à l’Union européenne, une traduction illibérale des relations internationales qui fait fi du multilatéralisme et des droits de l’homme.
Dans cette vision, le rôle d’ennemi idéologique que tenait auparavant l’Union soviétique dans l’imaginaire de l’extrême droite est assuré par l’islamisme politique et par les Etats-Unis - ces derniers seraient le point d’impulsion du mondialisme, et le bras armé d’un impérialisme, exception faite de la présidence de Donald Trump. L’objectif du RN serait de sortir la France de l’orbite américaine et de restaurer l’indépendance de la diplomatie d’une puissance mondiale aux racines chrétiennes…
La paralysie prévisible de notre diplomatie.
Dès lors, et sans entrer dans le détail des différents dossiers, comment imaginer qu’un gouvernement qui aurait pour Premier ministre Jordan Bardella puisse trouver des points d’accord avec l’occupant de l’Elysée qui évoquait, il y a encore peu, l’envoi éventuel de troupes au sol en Ukraine ? De même, comment la France pourrait-elle tenir sa place lors des prochains sommets européens ou internationaux (G20/G7) si les deux têtes de l’exécutif ne parviennent pas à concilier leurs visions antagonistes sur la construction européenne, les questions climatiques ou le rôle de la France dans telle ou telle crise internationale, à commencer par le conflit russo-ukrainien ?
L’ambition du RN de se rapprocher des régimes illibéraux tels que la Hongrie de Victor Orban, l’Italie de Giorgia Meloni, et selon toute vraisemblance, les Etats-Unis, si d’aventure Donald Trump gagnait les élections en novembre prochain, se heurtera au véto de l’Elysée. De même, nos engagements internationaux au sein de l’OTAN, de l’Union européenne, en matière d’aide publique au développement, se trouveront mis à mal par un gouvernement qui ne manquera d’en bloquer les financements.
Au-delà de notre politique extérieure, déjà très affaiblie par l’éviction de la France de l’Afrique, la contestation de notre influence dans le monde et le retour des Etats à la puissance, c’est notre universalisme et un savoir être au monde qui seront menacés de disparition avec le Rassemblement national à la tête du gouvernement.