
Par William Leday, enseignant en relations internationales à Sciences Po Aix, ancien conseiller pour les questions de défense de Benoît Hamon (candidat PS à la présidentielle de 2017) et de Yannick Jadot (candidat EELV à celle de 2022), ex-élu, il est membre de Chronik.
Une fête nationale est un moment singulier convoquant l’histoire et les mythes fondateurs d’une nation. S’agissant de la France, le 14 juillet s’appuie sur la prise de la Bastille en 1789 – qui marque une rupture symbolique avec l’Ancien régime -, mais également sur la Fête de la fédération, un an plus tard, organisée par La Fayette, qui célèbre l’unité nationale et le nouvel ordre autour de la monarchie constitutionnelle. Ce n’est qu’en 1880, 10 ans après la perte de l’Alsace et de la Loraine, et dans un contexte de forte tension avec l’Allemagne, que sur proposition de Benjamin Raspail, l’Assemblée nationale légifère pour faire du 14 juillet le jour de la fête nationale, avec comme point culminant un défilé militaire. C’est donc à ce moment une célébration guidée par l’esprit de revanche et valorisant les forces armées, considérées comme garantes de l’unité nationale. Aux lendemains de la Première guerre mondiale, cette fête s’inscrit définitivement dans le calendrier républicain jusqu’à nos jours, à l’exception de la parenthèse du régime de Vichy en 1940 et 1944.
Comme toute célébration, elle s’appuie sur un rituel qui a pu évoluer dans le temps et dont l’idée centrale de concorde nationale offre au chef de l’Etat la possibilité de s’adresser au pays. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui inaugure cet exercice, repris par François Mitterrand au moment du bicentenaire et prolongé par Jacques Chirac. Depuis lors, seul Nicolas Sarkozy s’en est totalement affranchi, Emmanuel Macron n’y ayant recouru qu’à deux reprises. En direct du Palais de l’Elysée, le chef de l’Etat fait alors un point d’actualité politique, formule une vision et trace une perspective.
Compte-tenu du contexte actuel de violences urbaines consécutives à la mort du jeune Nahel, ce 14 juillet constituait donc un moment propice pour apaiser les esprits et annoncer des mesures fortes. Or, Emmanuel Macron a confirmé hier, de Vilnius où il assistait au Sommet de l’OTAN, qu’il ne s’exprimera pas alors même qu’il prévoyait de faire un point d’étape sur les 100 jours d’apaisement. Cette expression présidentielle était pourtant très attendue. En effet, jusque-là, ses propos ont mis en lumière la supposée responsabilité des parents, des réseaux sociaux et des jeux vidéo dans le comportement des émeutiers, niant au passage la question sociale et les discriminations pourtant au cœur de l’irruption de cette violence. Des politiques de droite, à l’image de Bruno Retailleau, sont allés même jusqu’à théoriser un processus de régression ethnique de ceux qu’ils qualifient de Français de papier ... pourtant nés sur le sol national. L’idée-maîtresse est bien évidemment d’établir un lien direct entre les violences urbaines et les migrations postcoloniales de ces dernières décennies. Or, rien n’est plus faux.
En effet, les migrations sont des phénomènes structurels travaillant les sociétés contemporaines, elles sont même appelées à s’accroître, et bâtir des murs physiques, bureaucratiques, informatiques ou autres n’y changent rien et contribuent à invisbiliser des personnes qui n’ont souvent pas eu d’autre choix que de quitter leur pays d’origine en raison de conflits, de catastrophes climatiques ou parce que le mal développement y est endémique. En France, ces migrations, qu’elles soient italiennes, polonaises ou espagnoles dans un premier temps, puis celles, postcoloniales, originaires des Afriques, sont venues enrichir une société devenue de facto multiculturelle. Beaucoup de politiques ou d'éditorialistes peuvent déplorer cette nature multiculturelle de la société française, elle est néanmoins un fait tangible et établie d’un point de vue sociologique. Là encore, dénoncer cet aspect-là de la situation ne contribue pas à régler les discriminations dont certaines populations naturalisées ou pas sont victimes, et encore moins à réduire la fracture sociale ou à apaiser les esprits ou les craintes.
De fait, lier les violences urbaines de ces derniers jours aux migrations constitue au mieux une erreur de jugement au pire un accès de démagogie. Ce qui est en cause, c’est le rapport que la police entretient avec les populations de territoires déshéritées, où la précarité est endémique et où le délit de faciès est depuis longtemps monnaie courante. Ce qui est en cause, ce sont des logiques d’intégration qui ne fonctionnent plus ou peu et une République absente de territoires cumulant de forts handicaps sociaux et économiques. Les discriminations dont certains citoyens français d’origine étrangère sont victimes ne font qu’alimenter un mal-être individuel et collectif et fracturer un peu plus une société française travaillée par le populisme et les totems identitaires agitées par une bonne partie du spectre politique – de l’extrême-droite, à la droite, en passant par certains ténors du camp présidentiel.
Au-delà, c’est le contrat social – le pacte républicain – sur lequel repose la société française qui est en question. En effet, une partie des populations, dont la présence est désormais ancienne (2ème voire 3ème génération), et qui sont Français de naissance, ne se sent pas ou plus partie prenante de la communauté nationale en raison de leur couleur de peau, de leur religion, et de leur invisibilisation dans les représentations médiatiques et politiques. Cela signifie, au-delà de la question sociale qui reste entière pour beaucoup, que le récit national est aujourd’hui incomplet et ne parvient plus à prendre en considération des citoyens qui ne demandent pas autre chose que d’y participer. Cela suppose d’offrir à ces populations qui se vivent comme des citoyens de seconde zone, une perspective positive d’un point de vue social, économique, politique, mais aussi symbolique, avec un juste traitement mémoriel de la période coloniale. Or, il y a encore loin de la coupe aux lèvres...
Ce 14 juillet, Emmanuel Macron aurait pu prendre exemple sur son prédécesseur, Jacques Chirac, qui, aux moment des violences urbaines de 2005, avait déclaré : « (…) je veux dire aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines, qu'ils sont tous les filles et les fils de la République. Nous ne construirons rien de durable si nous laissons monter, d'où qu'ils viennent, le racisme, l'intolérance (...) » et annoncé des mesures visant à prendre en considération la demande d’égalité, tel que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité et pour l’égalité, devenu en 2011, le défenseur des droits… Le contexte actuel mérite des annonces fortes concernant le fonctionnement de la police, une réforme de la politique de la ville, avec en toile de fond, un travail avec les acteurs locaux de ces territoires en marge de la République afin de prendre en compte la demande d'égalité, résorber la fracture sociale et refaire nation. C'est tout cela qu'Emmanuel Macron aurait pu évoquer un 14 juillet 2023, car si la politique est faite de réalisations, elle est aussi affaire de symboles et de moment.