
Par Margot Holvoet, analyste environnement pour Chronik
Les résultats des élections européennes au soir du 9 juin 2024 ont libéré des torrents de haine. Le milliardaire Bolloré, qui a rapidement construit un empire médiatique grâce aux profits réalisés notamment sur l’exploitation des ressources africaines (bois, huile de palme…)[1], a franchi un nouveau pas dans la propagande raciste. Non content de la déverser sur les plateaux TV (CNews, C8,…), puis à la radio (Europe 1, RFM), avant de l’étendre à la presse écrite (Paris Match, JDD,…), il se permet désormais de l’afficher en grand dans les endroits les plus banaux[2]. Ainsi des magasins Relay, en gare, qui mettent désormais sous le nez du client, à la caisse, des piles de Valeurs actuelles, le journal d’extrême droite plusieurs fois condamné pour injure raciste et incitation à la haine raciale[3].
La rhétorique raciste, désormais omniprésente même dans la bouche de l’actuel Président de la République[4], n’a donc plus de barrière devant elle. Aussi de très nombreux citoyens la reprennent à l’envie.
Les conséquences sont de trois ordres. D’abord, sur le plan des politiques que pourrait mettre en œuvre un potentiel gouvernement Front national. La « préférence nationale » consacrerait dans la Constitution l’exclusion des étrangers de tout un ensemble de droits, ainsi que le stipule la proposition de rédaction de la Constitution du RN : “L’accès des étrangers à tout emploi public ou privé, à l’exercice de certaines professions, activités économiques ou associatives, fonctions de représentation professionnelle ou syndicale, ainsi qu’au bénéfice des prestations de solidarité, est fixé par la loi. La loi fixe les conditions et les domaines où peut s’appliquer la priorité nationale, entendue comme la priorité accordée aux nationaux.”[5]. Le droit du sol serait remis en cause, et de fréquentes sorties racistes des membres du RN font, en outre, craindre une extension des mesures discriminatoires non seulement aux étrangers, mais aux « Français d’origine étrangère » et aux binationaux[6]. Sans parler des mesures anti-sociales et anti-écologistes soutenues par le RN depuis son arrivée en masse à l’Assemblée nationale, qui feront peser toujours plus sur les classes populaires les conséquences du changement climatique et des inégalités, que le programme du RN prévoit de renforcer, contrairement aux sorties médiatiques de ses têtes d’affiche[7].
Une autre conséquence de ce climat de rejet et de haine est le mal-être profond voire l’angoisse ressentie par les millions de Français.e.s d’origine étrangère ou étrangers présents en France. Ceux-ci, déjà soumis depuis toujours à la discrimination d’accès à l’emploi malgré les diplômes, au logement, voire aux soins, sont de plus en plus nombreux à choisir le départ vers des pays où le racisme est absent ou moins ouvert[8]. Il doit être bien clair que le vote RN est un vote menaçant ainsi directement, même dans leur chair, les ami.e.s, voisin.e.s, professionnel.le.s, aides-soignant.e.s, médecins, etc. d’origine étrangère.
Enfin, la troisième conséquence de cette généralisation du racisme, sous la poussée du RN et des partis d’extrême droite soutenus par les médias Bolloré et adoubé par la droite française, est l’emballement probable de la haine, en intensité comme en parties de la société visée. En intensité d’abord : comme le rappelle Philippe Bernard, éditorialiste au Monde, le racisme est un engrenage : les mesures discriminatoires issues de la haine des étrangers ne résolvant aucun des problèmes sur lesquels prospère l’extrême droite, les « mesures » prises sont de plus en plus violentes, jusqu’à la mort[9]. A ce titre, on s’étonne chaque jour de l’étrange argument « l’extrême droite, on n’a jamais essayé », comme si une grande partie du pays était saisi d’une profonde amnésie au regard des années 1940. Comme dans ces sombres années de l’histoire de notre pays, faudra-t-il qu’une partie de la population ait été enfermée dans des camps ou exterminée pour que les électeurs ouvrent les yeux ?
Cette extension de l’intensité de la violence raciste s’accompagne en outre par l’élargissement, étape par étape, des parties de la société visée par le racisme et la haine : les étrangers sont rejoints par les Français d’origine étrangère et les binationaux, peut-être viendront ensuite les « gauchistes » et les « écolos », qui sait peut-être les syndicalistes. Et c’est peut-être seulement là que, comme dans les années 1940, les citoyens se réveilleront. Car au final, comme le relevait Aimé Césaire en 1955, ce qui n’a pas été pardonné à Hitler, « ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique »[10].
Aussi, pour ne pas avoir à choisir un jour de fermer ou non les yeux sur les violences subies par son voisin du fait de sa couleur de peau, d’être résistant ou collabo, le vote RN ne peut être un choix aujourd’hui. La classe politique doit de toute urgence revenir à la raison, refaire sienne les valeurs de l’humanisme étendu à tous les hommes et toutes les femmes, et renvoyer dans les limbes les rhétoriques racistes étalées désormais partout.
[1] https://reporterre.net/Bollore-quitte-l-Afrique-apres-avoir-exploite-la-foret
[2] https://www.mediacites.fr/interview/national/2024/06/18/la-crise-politique-que-nous-vivons-prouve-la-reussite-du-combat-civilisationnel-mene-par-vincent-bollore/
[3] https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/03/05/le-directeur-de-la-publication-de-valeurs-actuelles-condamne-pour-provocation-a-la-haine-envers-les-roms_4588230_3236.html et https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/17/valeurs-actuelles-condamne-en-appel-pour-injure-publique-a-caractere-raciste-envers-daniele-obono_6150329_3224.html
[4] https://www.liberation.fr/checknews/immigrationniste-comment-macron-a-fait-sien-un-terme-venu-de-lextreme-droite-20240619_6FDPRC4JKVDKPKEFWN6Q7TOYAQ/ et https://www.nouvelobs.com/politique/20240612.OBS89656/le-president-macron-s-est-mue-en-allie-objectif-de-l-extreme-droite-que-peut-faire-la-gauche.html.
On se rappelle aussi, chez de nombreuses personnalités politiques de droite, de sorties particulièrement choquantes – comme lorsque Edouard Philippe proposait de s’affranchir des règles de la Cour européenne des droits de l’homme pour contrôler l’immigration : https://www.lepoint.fr/politique/edouard-philippe-j-apprends-je-me-prepare-12-01-2023-2504532_20.php
[5] https://www.radiofrance.fr/franceculture/on-a-lu-le-livre-aux-origines-de-la-preference-nationale-de-l-udf-aux-le-pen-une-longue-histoire-4477126
[6] https://www.mediapart.fr/journal/france/210624/racisme-plus-de-40-candidats-rn-en-roue-libre-sur-les-reseaux-sociaux ; https://www.mediapart.fr/journal/politique/200624/sur-l-immigration-le-rn-cache-son-jeu-mais-est-toujours-aussi-dangereux
[7] https://www.jean-jaures.org/publication/les-contradictions-du-programme-social-du-rassemblement-national/
[8] https://www.infomigrants.net/fr/post/57209/la-france-tu-laimes-mais-tu-la-quittes--pourquoi-des-musulmans-surdiplomes-choisissent-lexil
[9] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/06/rappeler-l-engrenage-fatal-de-la-preference-nationale-dans-les-annees-1930-c-est-tirer-les-lecons-de-notre-histoire_6226230_3232.html
[10] Discours sur le colonialisme, Présence africaine, Paris, 1955 (2004), p. 14.