Il faut être frappé de cécité pour ne pas voir la floraison de panneaux publicitaires lumineux dans l’espace public, et frappé de surdité pour ne pas les entendre souffler sur nos trottoirs et dans nos halls de gare et d’aéroport…
Le DOOH envahit nos espaces de vie, nos rues, nos avenues, nos esprits. Le DOOH, acronyme dont raffolent nos sociétés néolibérales, est le Digital Out-Of-Home : la publicité extérieure sur écrans numériques. Autrement dit, le bourrage de crâne par écran lumineux. Dit ainsi, c’est plus simple et efficace. Et cela tombe à pic, puisque le monde du marketing et de la publicité cherche à devenir chaque jour plus pernicieusement efficace ! Il faut capter notre attention, pour nous conditionner à acheter et consommer comme des veaux décérébrés. Ce marché est extrêmement porteur et lucratif : la société ‘’Mediatransports’’, spécialisée sur ce segment, a connu une croissance sur le DOOH de + 58% sur les 5 années 2014-2018… Dès janvier 2019, elle annonçait avoir installé ‘’un parc de 2.000 écrans dans les univers de transports partout en France, dont 800 dans les métros de Paris, Marseille, Toulouse et Rennes et 1 200 dans les gares SNCF (bâtiments voyageurs et quais).’[1]’
Mais ce n’est pas exactement de cette manipulation dont il est question ici. Mais encore de l’hypocrisie la plus pathologique qui soit. Celle de nos représentants publics, nos élus politiques, qui nous livrent en pâture aux gens d’image, sur l’autel de la croissance et de la consommation.
Il est temps de nous faire plus précis. Descendons du train, en gare de Nice-ville. Juillet : il y fait chaud. A peine arrivés dans le hall principal, l’agression commence : des murs d’écrans ‘’Mediatransports’’ aux vidéos criardes, soufflant bruyamment leur chaleur à grands renforts de ventilateurs. Avez-vous seulement approché ces écrans et touché leur surface ? Ce sont d’authentiques radiateurs : pas tout à fait ce que le voyageur recherche en plein été. Et pour mieux attraper le regard de nos touristes, les écrans sont de très grande taille. Pensez donc : des ‘’98 pouces’’, pesant chacun plus de 100 kilogrammes! Leur diagonale mesure en effet 98 pouces, soit près de 2,5 mètres…
S’ils chauffent autant, c’est qu’ils consomment beaucoup d’énergie. C’est très tendance en ce moment, dans le monde des hypocrites et à l’heure du dérèglement climatique… Un écran de ce type est donné pour une puissance avoisinant les 800 watts. Ces écrans sont allumés durant la durée d’ouverture de la gare : de 4h45 à minuit 30 chaque jour, soit 19 heures et 45 minutes. Et ceci sur 365 jours de l’année. Sortons la calculatrice : 800 x 19,75 x 365 = 5.700 KWh d’électricité. Ceci signifie que chacun de ces grands écrans consomme 5,7 MWh par an et par écran. Or leur étiquette réglementaire de consommation affiche 1.000 KWh par an, soit 1 MWh, c’est à dire 5 fois moins. D’où vient cet écart ? En fait, les affichages prennent en compte une durée légale de 4 heures par jour, durée moyenne de visionnage des télévisions dans les ménages, bien en-deçà de l’usage des écrans publicitaires. Faisons le rapport : 19 heures 45 divisé par 4 heures = près de 5. Nous y sommes.
Qu’en retenir ? Que les affichages sont trompeurs, puisque les durées de consommation des écrans publicitaires se calent discrètement sur celles des TV des foyers. Qu’il n’est pas simple de trouver ces valeurs de consommation, très peu apparentes sur les sites des sociétés de publicité. Comme c'est curieux...
Mais surtout que nos dirigeants publics font montre d’une solide hypocrisie, en autorisant cet envahissement d’appareils ‘’pousse-à-l’achat’’ et très énergivores. Ces panneaux ont par ailleurs l'énorme désavantage de promouvoir l’alimentation industrielle et de favoriser l’émergence et l’entretien de l’épidémie de maladies métaboliques, dont l'obésité et le diabète, particulièrement chez les jeunes, très réceptifs à la publicité. Et nous savons aujourd’hui, en particulier, que ces maladies ont fortement aggravé la situation des malades comorbides face au COVID. Sur le seul site de la gare de Nice, vous trouvez près d’une dizaine de ces écrans, qui avalent a minima une énergie électrique de 57 MWh chaque année, l’équivalent de la consommation annuelle moyenne de 25 Français (2,2 MWh par an en 2020). Et c’est sans compter sur tous les écrans apparus récemment dans les artères de la ville de Nice. Rien que sur l'avenue centrale Jean Médecin et sur la gare de Nice, on compte plus de 80 panneaux publicitaires de grande taille, dont près de la moitié (37) d'écrans numériques 98 pouces (DOOH), le gâteau étant partagé entre JC Decaux, Mediatransports et Mediagares. Ce sont donc 30 kilowatts qui partent en chaleur sur ces deux sites de ''la ville verte de la Méditerranée''... Imaginons à l'échelle de la ville, voire de l'ensemble des villes françaises ! Les 2000 écrans Mediatransports représentent déjà une consommation électrique de 10 GWh sur l'année, à l'origine de l'émission de 400 tonnes de CO2 (selon le mix indiqué par RTE). Et nous ne comptons pas les émissions CO2 liées aux achats générés par cette publicité...
Qu’y peut le maire de Nice ? En fait, bien davantage que vous ne le pensez : le maire Christian Estrosi est en effet le président de la métropole Nice Côte d’Azur qui définit le RLPm - Règlement Local de Publicité métropolitain, couvrant les 49 communes de la métropole sur une superficie de 1470 km². Le RLPm fixe les règles relatives à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes, visibles de toute voie ouverte à la circulation publique. La démarche de validation du RLPm a été prescrite par une délibération du conseil métropolitain de Nice Côte d'Azur en date du 22 mars 2019, mais semble avoir pris quelque retard pour cause de COVID-19 : la phase de concertation a eu lieu en avril 2021, et doit être suivie d’une enquête publique prochainement.
D’un côté donc, le maire de Nice adhère à la démarche EcoWatt Provence Azur, dont l’objectif est d’inciter les particuliers, collectivités, entreprises et associations à modérer leur consommation en électricité. Pourquoi ? Parce que ‘’l’Est de la région PACA, qui ne produit que 10 % de l’électricité qu’elle consomme, est une véritable péninsule électrique. Outre les actions visant à inciter au développement des énergies renouvelables et à renforcer le réseau de transport d’électricité, la maîtrise de la demande en énergie constitue un objectif essentiel pour ce territoire’’[2]. Il a également promis de réduire la pression publicitaire lors des élections municipales de 2020. Mais de l’autre, il permet le déploiement massif de panneaux publicitaires numériques extrêmement énergivores sur sa ville, avant la validation dudit RLPm. Il livre la population dont il a la responsabilité aux griffes des marchands avides de profits croissants. Car c'est bien le cas.
Notre territoire manque de cohérence, et l’incohérence est le pire des maux dans la période que nous vivons aujourd’hui, car nous sommes clairement à la croisée des chemins, au cœur des enjeux sanitaires et environnementaux comme rarement l’humanité en a connus précédemment. Il est temps d’agir sincèrement et efficacement, sur cette question publicitaire, comme celle de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, contre la pauvreté et l’insécurité sanitaire, etc. Le profit et l’économie ne peuvent plus justifier cette hypocrisie et cette mise en danger collective. A défaut de quoi, nos enfants pourront crier : ''le DOOH m'a tuer !''. Et nous le reprocher...
De manière très concrète, le collectif citoyen 06 vous incite à vous exprimer lors de la prochaine enquête publique relative au RLPm, dont il relaiera l’avis dès sa sortie. Et à dire ce que vous pensez de cette publicité envahissante et toujours moins sobre.
[1] http://www.mediatransports.com/mediatransports-met-en-service-son-2-000eme-ecran-numerique/
[2] https://www.nicecotedazur.org/environnement/l-%C3%A9nergie-et-le-climat/la-d%C3%A9marche-eco-watt