Nous vous proposons de le décrypter, avec le regard d’un de nos experts, sur la base des premiers éléments en notre possession, qui bien sûr, ne présagent en rien des futures conclusions des enquêtes, notamment du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) pour la sécurité de l’aviation civile. Comme toujours, parlons des faits, rien que des faits.

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Quelle météo ?
Ce soir du 21 septembre, à 23h30 heure locale, la météo était à l’orage sur la région niçoise, et notamment sur les alentours de l’aéroport. Mais plutôt que de tomber dans les commentaires « météo exécrable », ou « très mauvaise visibilité », nous avons fait le choix de nous tourner vers ce que les professionnels de l’aviation appellent le METAR. Un METAR (METeorological Aerodrome Report) est un rapport d’observation (et non de prévision) météorologique pour l’aviation.
Que disait celui de 21:30 UTC (soit 23h30 locales) ? Exactement ceci :
LFMN 212130Z 12004KT 070V140 9000 -TSRA FEW023 FEW030CB BKN063 BKN090 24/19 Q1013 TEMPO VRB20G35KT 1500 +TSRA BKN014 BKN030CB
Décryptage :
- LFMN : code OACI de l’aéroport de Nice
- 212130Z : 21 (septembre) à 21h30 (heure UTC)
- 12004KT : vent du secteur 120° pour 4 kts (4 nœuds, soit 7 km/h), variant 070°-140°
- 9000 : visibilité de 9 kilomètres
- -TSRA : orage léger (thunderstorm) avec pluie (rain)
- FEW023 : quelques nuages à 2300 pieds (soit 700 mètres d’altitude)
- FEW030CB (few) : quelques cumulonimbus (CB) à 3000 pieds (soit 915 mètres)
- BKN090 (broken) : ciel fragmenté à 9000 pieds (soit 2740 mètres), définissant le ‘’plafond’’
- Température de 24°C (point de rosée 19°C)
- TEMPO (temporairement) : vent variable 20 kts (37 km/h), rafales à 35 kt (65 km/h), visibilité 1 500 m, orage fort avec pluie, plafond (BKN) à 1 400 pieds (430 m), avec cumulonimbus (CB) à 3 000 ft (915 m)
Que conclure de cette météorologie locale ? Que le ciel était tourmenté, oui, mais pas exécrable, comme ont pu le raconter des commentateurs peu avisés : pas trace de FG (brouillard), de SH (averses) de XX (événements violents), ou encore de RAPID (changements prévus rapidement) sur ce METAR, et le plafond était de 9000 pieds (2700 mètres d'altitude), diminuant ponctuellement à 1400 pieds, soit 430 mètres d’altitude (donc toujours au-dessus des minima), avec un risque d'orage fort.
Outre les METAR, tout équipage prend également connaissance du TAF (Terminal Aerodrome Forecast), qui n’est autre que la prévision météorologique du terrain de destination : Nice dans le cas présent. Autrement dit, les équipages ne partent pas sans biscuit avant de se lancer, d’autant plus qu’ils disposent aussi d’un radar météo à bord, et que la tour de contrôle reste (en principe) vigilante pour transmettre les évolutions météo quand l’avion approche du terrain.
Les faits
Supposons que l’avion tunisien soit arrivé au pire moment : revenons donc aux conditions temporaires décrites dans le METAR (TEMPO). Le vent (de travers) a pu ponctuellement augmenter, mais ce vent n’entre pas en ligne de compte dans le cas précis de la presque collision, puisqu’une décision de remise de gaz aurait dû intervenir beaucoup plus tôt et que l’atterrissage n’aurait pas dû avoir lieu. Or nous avons appris du journaliste (également pilote) Michel Polacco, interviewé par ICI Azur le 26 septembre, que l’A320 de Nouvelair avait atterri juste derrière l’A320 d’EasyJet avant de remettre les gaz et de redécoller (ce qui s’appelle un « touch-and-go », point à confirmer, naturellement). Dans tous les cas, que le Nouvelair soit passé 3 à 5 mètres au-dessus ou juste à côté de l’EasyJet (puisque le haut de la dérive d’un A320 monte à près de 12 mètres), ou qu’il se soit posé un instant sur la piste, montre que l’équipage tunisien a pu parvenir au seuil de la piste. La météo du moment ne l’a donc pas empêché dans cette manœuvre.
Une précision importante : sur des approches de précision aux instruments de type ILS, les équipages doivent se conformer aux minima réglementaires. A savoir une hauteur de décision (DH) et une visibilité minimale (RVR, ou portée visuelle de piste). Or, les conditions dégradées (TEMPO) sont restées supérieures aux minima de la procédure. Ci-dessous : fiche d'illustration sans rapport direct avec le vol Nouvelair.

Dans le cas contraire, un équipage peut, et doit, remettre les gaz si les conditions de sécurité ne sont pas réunies lors de l’approche finale (avant l’atterrissage). Cela n’a manifestement pas été le cas. Et si les conditions n’évoluent pas, la procédure prévoit de dégager sur un autre aéroport (Marseille par exemple) si la météo est plus favorable.
Le (gros) problème est que l’A320 tunisien a touché (ou presque) le mauvais seuil de piste ! A Nice, par QFU04 (sens du trafic vers l’Est, cap 040°), les avions décollent sur la piste de droite 04R, et se posent sur la piste de gauche 04L. Ainsi, l’A320 d’EasyJet s’apprêtait à pénétrer sur la piste 04R avec l’accord du contrôleur aérien, et l’A320 de Nouvelair aurait dû prendre la piste 04L (gauche) pour se poser. Les deux pistes sont séparées de 300 mètres. Or, en dépit de ses confirmations de 04L, il a bien pris la mauvaise piste 04R (droite), point confirmé par les enquêteurs dès le 27 septembre. Nous pouvons dès lors évoquer une erreur de cet équipage. Reste à en comprendre les raisons. L’écoute des enregistreurs de vol (‘’boîtes noires’’) devrait élucider rapidement la question.
Qu’a-t-il pu se passer ?
L’interprétation de nos spécialistes est la suivante, qui n’augure en rien des conclusions à venir du BEA. L’équipage Nouvelair, peut-être peu accoutumé aux approches sur le terrain de Nice, qui reste une plateforme assez technique, a pu s’engager sur la mauvaise approche. Mais si une telle erreur reste possible, la suite n’est ni compréhensible ni acceptable. La vigie de la tour de contrôle aurait dû – en fonction de la visibilité, lever le doute. Or nous avons également appris qu’elle n’était ‘’armée’’ (activée) que par un seul contrôleur, chargé des roulages, des départs et des arrivées… Le second contrôleur étant absent ce soir-là, selon Michel Polacco, déjà cité. Il semble, au fil des révélations parues dans la presse ces derniers jours, que d’importants problèmes d’effectifs affectent le contrôle aérien à Nice, ayant des impacts sur les retards chroniques du trafic aérien local.

Nous imaginons donc que l’équipage Nouvelair s’est mal engagé. Qu’il n’a pas été alerté par le contrôle, compte tenu des circonstances exposées précédemment, et qu’il a donc poursuivi son approche. Il est à peu près certain qu’il ait aperçu l’Airbus d’EasyJet roulant sur la bretelle d’accès à la piste 04R, avec ses feux de signalisation allumés, mais qu’il ait probablement imaginé que celui-ci allait s’arrêter juste avant le seuil de piste pour le laisser se poser. Mais arrivant en très courte finale, le pilote de Nouvelair a dû réaliser trop tardivement que l’A320 d’EasyJet poursuivait son chemin, le frôlant de seulement quelques mètres. Selon les témoignages entendus, le pilote EasyJet a stoppé son avion juste à temps. Il y aurait donc eu, comme sur la plupart de tels événements, une succession d’erreurs. Les pilotes parlent de l’alignement des plaques de Reason : un empilement de plaques de sécurité, chacune perforée d’un trou (une faille), finit par s’aligner, et l’accident finit par franchir l’ensemble des plaques.
A côté de quoi sommes-nous passés ?
Un Airbus A320 peut embarquer entre 150 et 180 passagers. A supposer que leur taux de remplissage ait été de 70%, on peut déduire que la vie d’au moins 250 personnes, en sus des équipages, a été mise à risque ce soir-là. La mort n’est pas passée loin. Un tel avion, en phase d’approche, vole aux alentours de 140 kts (nœuds, soit 260 km/h), et probablement un peu plus avec la majoration liée aux rafales de vent. Pour résumer, imaginez un avion de 60 tonnes lancé à 260 km/h frôler ou percuter un autre avion au sol, chargé d’environ 6 tonnes de kérosène… L’aéroport de Nice est donc passé à côté d’une authentique catastrophe aérienne en pleine nuit.

Reste à savoir quelles auraient été les capacités d’intervention des services de secours, tant du côté de l’aéroport de Nice que de celui de la Préfecture des Alpes-Maritimes, de la Sécurité Civile en particulier, et des services hospitaliers, à près de minuit, un dimanche.
A l’évidence, des leçons très concrètes devraient en être tirées : sur les effectifs du contrôle aérien, sur les procédures de validation et de contrôle des décollages et atterrissages (‘’deconfliction’’), sur les effectifs et procédures des équipes de secours, sur la formation et la sensibilisation des équipages, et sur … l’augmentation permanente du trafic aérien à Nice.
En attendant, nous attendons impatiemment les conclusions d’enquêtes. Et nous étonnons du silence assourdissant des dirigeants du groupe Aéroports de la Côte d’Azur, gestionnaire de la plateforme niçoise…
Pourquoi l’extension du T2 pose problème ?
Compte tenu de toutes ces contraintes, et de cet événement potentiellement gravissime (mise en danger de la vie de centaines de personnes), il est légitime de s’interroger sur la hausse programmée du trafic aérien sur l’aéroport Nice Côte d’Azur.

Nous connaissons très bien le dossier de l’extension T2.3 de cet aéroport, qui vient d’ailleurs d’être très étonnamment validé par la Cour administrative d’appel de Marseille le 18 septembre.
Son étude d’impact complémentaire annonce précisément la couleur : le trafic aérien devrait augmenter de plus de +28 000 vols par an, soit +23%, d’ici 2034, avec un trafic passager augmenté de 6,4 millions par an.
Une telle hausse de trafic augmente mécaniquement l’exposition aux incidents et accidents aériens. Non à l’échelle d’un vol individuel, mais à celle du trafic global de la plateforme niçoise. Pour rappel, même si les avions commerciaux sont de plus en plus sûrs, les accidents aériens sont dus à 70 à 80% au facteur humain (équipage, maintenance, supervision, contrôle aérien, organisation). L’événement de dimanche 21 septembre est de ceux-là.
Nous demandons donc très sérieusement aux décideurs publics à quel jeu jouent-ils ? N’y a-t-il que le tourisme et l’affairisme qui comptent ? Comme souvent, faut-il un crash pour réveiller les consciences ?