A l'attention de Monsieur Bernard GONZALEZ, Préfet des Alpes-Maritimes
Objet : projet d’extension du Terminal 2 de l’aéroport de Nice Côte d’Azur
Monsieur le Préfet,
L’enquête publique relative au projet d’extension du Terminal 2 de l’aéroport de Nice Côte d’Azur vient de prendre fin, et Madame Azan-Brulhet, commissaire enquêtrice, doit vous remettre très prochainement ses rapport et avis.
Alors que vous allez devoir prendre une décision historique, compte tenu de ce que représente ce dossier emblématique dans le contexte d’urgence climatique et de pollution chronique que nous connaissons, nous avons l’honneur, en tant que citoyens niçois et maralpins, de vous adresser ce courrier d’alerte.
Vous y trouverez plusieurs volets, et chacun d’entre eux mérite votre attention.
Aspects géophysiques et climatiques
L’augmentation de la charge gravitaire de nouvelles installations sur une plateforme ayant déjà subi un accident majeur de glissement géologique en 1979 pose question, qu’il s’agisse de ces nouvelles constructions, comme celles, connexes, d’un dépôt pétrolier de plus de 5 millions de litres de kérosène (charge supplémentaire de près de 5000 tonnes). La plateforme aéroportuaire subit pourtant déjà un enfoncement régulier et différentiel selon les zones concernées.
Par ailleurs, l’avis de la MRAe n°2019-2234 du 15 juillet 2019 précise les points suivants[1] : ‘’Le projet situé à l’estuaire du Var, se positionne dans une zone de risque d’inondation et sur la nappe alluviale du Var très sollicitée pour divers usages, et sensible aux pollutions. Enfin, la plate-forme étant située en bordure de la Méditerranée, elle peut être soumise au risque de submersion marine, et la vulnérabilité du projet au changement climatique doit être clairement étudiée.’’
La fréquence des épisodes de pluies intenses s’accroît et induit des inondations importantes sur notre territoire. Le déclenchement, par vos soins, de l’alerte rouge et du plan ORSEC le 23 novembre 2019 en est une illustration patente. L’aéroport de Nice Côte d’Azur a d’ailleurs été fermé à tout trafic à cette occasion pour risque de submersion. Ce phénomène récurrent doit inciter les décideurs à prendre des orientations extrêmement fortes en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, et à ne pas céder aux sirènes de la croissance des activités carbonées comme celle d’un aéroport.
Concernant la montée des eaux liée à ce réchauffement, le schéma ci-dessous, extrait du PCAET 2019-2025 de la Métropole Nice Côte d’Azur indique clairement qu’à deux degrés d’augmentation de température moyenne, la plateforme niçoise est totalement submergée. Or les dernières études scientifiques font état d’une augmentation tendancielle de +5°C à +7°C à la fin de ce siècle. Nous pouvons en déduire que l’aéroport de Nice Côte d’Azur devrait être inexploitable bien avant la fin de ce siècle, et probablement dès les années 2050 (submersion progressive par nappage), en plus d’un lot de catastrophes de tous ordres sur notre territoire. Cette alerte cruciale rejoint donc le point soulevé précédemment.
Aspects liés à la biodiversité et aux impacts sur l’eau et les déchets
- Zone mitoyenne Natura 2000
Page 11 de l’avis de la MRAe : ‘’La zone du projet est localisée en limite de la basse vallée du Var, sur laquelle on retrouve le site Natura 2000, la ZPS FR9312025 « Basse vallée du Var » et la Znieff de type 2 « le Var ». Des inventaires ont été réalisés en août et septembre 2018, sur une période trop courte et en dehors de la période la plus favorable aux inventaires généraux faune/flore (de mars à juin). Cela ne permet pas de s’assurer d’une pression d’inventaires suffisante au regard des espèces potentiellement présentes.
- Recommandation n°6 : ‘’Compléter les inventaires en élargissant la période d’inventaires et les nuits d’écoute à toutes les périodes propices à ces inventaires.’’
- Ressources en eau et ruissellement
En outre, concernant l’eau, deux recommandations de la MRAe demandent des évaluations non présentes dans le dossier :
- Recommandation n°11 : ‘’Évaluer l’incidence de la consommation d’eau potable supplémentaire prévisible sur les eaux souterraines.’’ Or nous savons que l’aéroport ponctionne entre 15 et 20% de l’eau captée par la ville de Nice.
- Recommandation n°12 : ‘’Estimer les débits de ruissellement générés par le projet, évaluer les incidences sur les eaux superficielles, notamment dans un contexte de changement climatique, et proposer les mesures ERC adaptées.’’ Encore une fois, les événements du 23 novembre (plan ORSEC inondations) doivent faire urgemment réagir la puissance publique.
- Déchets liés à l’augmentation des flux touristiques
Enfin, concernant les déchets, la présence de près de 4 millions de personnes supplémentaires (correspondant aux 7,75 millions de passagers en 2030) ne fait l’objet d’aucune évaluation sur les incidences et le traitement des déchets induits par cet accroissement de population. Le Comité Régional du Tourisme (CRT) indique que les touristes passent 6 jours en moyenne sur le territoire. On peut donc estimer la population supplémentaire à environ 60.000 équivalents-habitants. Le tonnage de déchets peut ainsi être approximativement estimé à 34.000 tonnes par an[2], nullement pris en compte dans les études liées au projet alors que le traitement des déchets est très émetteur en gaz à effet de serre[3]. Or le traitement des déchets a encore récemment démontré ses limites sur notre territoire (exportation de nos déchets vers les Hauts-de-France). Problématique identique concernant le traitement des eaux usées.
Contradictions
Dans l’étude de mobilité (bureau d’études Ingérop, page 11), il est indiqué que la croissance du trafic passager à suivre et à accompagner est de +3,8% par an[4] de 2019 à 2030 (+50%), tout en présentant une courbe figurant un trafic asymptotique maximum à 18 millions de passagers en 2026 (+30% par rapport à 2018), puis stable au-delà de 2026.
Or une autre pièce du dossier (étude d’impact pour l’environnement Ingérop du 27/02/2019, en page 123), indique clairement un passage par 15,5 millions de passagers en 2021, vers 21,6 millions en 2030, soit +7,75 millions de passagers d’ici 10 ans, ou encore +56% par rapport au trafic 2018.
Le dossier est donc fondé sur des éléments totalement contradictoires, voire mensongers. Contrairement aux assertions de la SACA, qui clame que ce projet ne fait que répondre à l’accroissement du trafic et n’induit pas d’augmentation du nombre de passagers, on lit pourtant dans le dossier (cf. graphes ci-dessous) que la fréquentation prévue en 2021 et 2030 varie bien en fonction de la réalisation ou non du projet d’extension.
Le dossier soumis à enquête présente deux cibles très différentes d’augmentation de trafic passager à l’horizon 2030 : +4,15 millions (+30%) d’un côté et +7,75 millions (+56%) d’un autre, soit 1,86 fois plus, ou encore un différentiel de 3,6 millions de passagers !
Incohérences
- Décorrélation trafic passager et mouvements avion
Les porteurs de projet insistent sur la quasi absence de vols supplémentaires, et donc d’émission de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Cette croissance est annoncée comme n’induisant quasiment pas d’augmentation du nombre de mouvements avions. Cette assertion, aucunement garantie dans le projet, ne résiste pas à l’étude. Elle est d’ailleurs dénoncée par la MRAe ainsi que par l’Autorité de Contrôle des Nuisances Aéroportuaires (ACNUSA).
- Recommandation n°1 de l’avis MRAe : ‘’(…) quels que soient les objectifs affichés concernant l’augmentation du nombre de passagers à trafic aérien constant, qui ne correspondent pas à des engagements formels, le dossier ne présente pas les éventuelles incidences indirectes de la poursuite de la croissance d’activité permise par le projet, notamment en termes d’artificialisation induite des sols, création de zones d’activités, urbanisation des environs de l’aéroport… Or pour la bonne information du public c’est l’impact potentiel de l’activité rendue possible par les nouvelles installations qui doit être étudié. Ce qui n’empêchera pas d’actualiser et de préciser par la suite cette étude d’impact en fonction de réalisations à venir.’’
- Recommandation n°4 de l’avis de la MRAe : ‘’Compléter l’étude d’impact par une évaluation des émissions directes et indirectes des gaz à effet de serre et de la qualité de l’air de l’aéroport actuel et des augmentations d’activité rendues possibles par le projet, notamment les incidences du trafic aérien (avions, en escale ou en phase décollage/atterrissage, engins associés aux manœuvres et fonctionnement des avions).’’
La lente amélioration du taux de remplissage avion (80% en moyenne et 98% en été[5]) et l’augmentation du nombre de sièges avions, dont l’effet combiné induit une augmentation régulière de +2,2 passagers par mouvement en moyenne annuelle, ne peuvent suffire à atteindre ne serait-ce que 18 millions de passagers en 2026 sans accroître le nombre de vols. D’autant moins pour 21,6 millions. Et d’autant moins que les compagnies aériennes s’orientent peu à peu vers des moyen-courriers de taille intermédiaire (150 places), avec retrait progressif des très gros-porteurs A380.
Les élus œuvrent pour augmenter la part touristique des périodes dites hors-saisons. Cela est confirmé par les propos récents de Rudy Salles, président de la Commission du Tourisme à Nice, dans une interview du 7 novembre 2019 sur le plateau de FR3 Côte d’Azur. Cet objectif démontre que le nombre de vols devrait croître, notamment en dehors de la seule période estivale. De nouvelles lignes aériennes internationales sont également recherchées avec énergie. C’est le cas des nouvelles lignes Pékin-Nice, ouvertes le 2 août 2019, à hauteur de trois liaisons hebdomadaires, qui augmentent de facto le nombre de mouvements avions et induisent une nouvelle charge d’émissions de gaz à effet de serre globale de près de 70.000 tonnes de CO2 par an.
L’étude des projets et annonces des élus et de la société Aéroports de la Côte d‘Azur démontre clairement que la décorrélation du nombre de passagers et des mouvements aériens n’est pas crédible, comme l’indiquent les avis de la MRAe et l’ACNUSA. Ce faisant, une augmentation de +30 à +56% de passagers d’ici 10 ans doit entraîner un accroissement significatif de vols. Et donc de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques.
- Trafic routier et tram
Les trois études de mobilité prétendent de concert que le projet n’induira aucun impact, au prétexte qu’avec ou sans projet d’extension, le trafic augmentera à 18 millions de passagers. Or ce projet favorisera un accroissement de passagers non pas vers 18 mais 21,6 millions de passagers, comme le précise l’étude impact Ingérop page 123. Les études évoquent +8.800 véhicules jour (à 18 millions de passagers) sur une base calendaire tronquée puisqu’elles ne prennent en compte que le second trimestre et non la période estivale la plus fréquentée du troisième trimestre. Ce projet à ‘’effet de pompe’’ va donc générer en période de haute-saison touristique un surplus de +12.300 véhicules jour, soit +27% du trafic actuel sur la Promenade des Anglais. Ce point n’est absolument pas explicité dans le dossier d’enquête. Il en est de même pour les capacités de parking sur l’aéroport. Il faut investiguer pour détecter une allusion à un parking P3 sur un des schémas de l’une des pièces du dossier, sans indication de places offertes supplémentaires.
Enfin, les promoteurs du projet évoquent la ‘’solution Tram’’. Un accroissement de +7,75 millions de passagers se traduit, dans l’hypothèse où tous prendraient le tram (ce qui est évidemment utopique), par une captation de 70 rames par jour (300 places)[6]. Selon les heures, le tram est en outre déjà souvent au maximum de ses capacités d’emport sur la ligne T2 rejoignant l’aéroport. Ce projet va donc nuire au transfert modal des Niçois de la voiture vers les transports en commun.
L’impact trafic routier et tram de l’augmentation du trafic passager dépasse de loin celui évoqué dans les études de mobilité du projet d’extension du T2 et induira des saturations sur les principaux axes de transport.
Questions procédurales
Nous relevons trois points qui nous semblent poser problème dans le cadre d’une enquête publique.
- Aucune indication budgétaire n’est indiquée dans le dossier soumis à enquête. La commissaire-enquêtrice n’en a pas eu davantage connaissance. Or le coût réel de l’ensemble des bâtiments et ouvrages annexes et connexes à créer, ainsi que des reprises d’ouvrages nécessaires à la bonne marche du projet, que le maitre d’ouvrage ne me semble pas avoir intégré dans son coût, doit, comme vous le savez, être comparé au seuil de saisine de la CNDP (150 M€).
- Le dossier soumis à enquête présente trois études de mobilité (10, 19 puis 26 juillet 2019), présentant des données différentes.
- Sur le site numérique ouvert par la ville de Nice manquaient les avis de personnes publiques associées (PPA), qui sont des pièces obligatoires dans tout dossier d'enquête publique. Ces pièces ont été rajoutées le vendredi 22 novembre, à trois jours de la fin d’enquête publique.
Manipulations du grand public
- ‘’Saucissonnage’’ d’un projet plus vaste
Nous dénonçons la pratique extrêmement trompeuse et malheureusement fréquente du ‘’saucissonnage’’, utilisée par les dirigeants de la société Aéroports de la Côte d’Azur et porteurs de ce projet, afin de donner l’apparence d’un projet immobilier anodin à ce dossier et de diluer l’évidence de la poursuite de la croissance de ses activités passagers, fret et avions, comme c’est le cas depuis huit années consécutives. Or, le dossier lui-même, complété par des sources provenant de l’aéroport de Nice CA, sème quelques indications démontrant que ce projet d’extension du Terminal 2 n’est qu’une pièce d’un vaste plan d’investissement du directoire ACA : parking P3, futur Terminal 3 (cf. note[7]), dépôt pétrolier de quatre cuves de kérosène de 1.300 m3 chacune, et autres bâtiments connexes. Cette approche permet aux porteurs de projet d’éluder la question des impacts globaux de cette stratégie de croissance. Ce point a d’ailleurs fait l’objet de la recommandation n°2 de l’avis de la MRAe : ‘’Justifier le périmètre de projet en précisant les liens de l’extension du terminal 2 avec les projets connexes de la plate-forme aéroportuaire.’’
- Communication abusive et trompeuse
L’aéroport Nice Côte d’Azur, mais également les élus de la métropole et de Nice, communiquent à outrance sur son accréditation Airport Carbon Accreditation 3+ ''neutre en carbone'', laissant à penser, auprès des médias et du grand public, que ses activités, et donc ce projet, n’ont aucun impact climatique. Or ce label n’assure que la compensation, par achat de garanties d’origine (GO)[8] ou de ‘’droit à polluer’’, des émissions CO2 résiduelles (bâtiments, véhicules de servitude, roulage des avions), représentant 1.600 tonnes de CO2 en 2018. Le périmètre réel de l’aéroport, tel que demandé par l’ADEME, devrait inclure les décollages et atterrissages jusqu’à une hauteur de 3.000 pieds (intégration des cycles LTO). Selon ce calcul (source SACA), l’empreinte territoriale de l’aéroport de Nice représente 155.000 tonnes d’équivalent CO2 en 2018, soit cent fois plus.
Il en est de même pour l’information selon laquelle l’aéroport de Nice atteindrait le ‘’zéro émission’’ en 2030[9].
La ‘’neutralité carbone’’ (ACA 3+) de l’aéroport de Nice Côte d’Azur ne repose que sur 1% de ses émissions de gaz à effet de serre et est utilisée de manière abusive et trompeuse par les Aéroports de la Côte d’Azur. Ce projet s’appuie donc sur un accroissement d’émissions GES non comptabilisées en termes d’activités aériennes induites.
- Intervention du gouvernement dès la reprise de l’enquête publique
Alors que l’enquête publique a repris le 4 novembre 2019 suite à une suspension pour remplacement du commissaire-enquêteur, le secrétaire d'État aux Transports Jean-Baptiste Djebbari a exprimé publiquement son soutien dès le 5 novembre, jugeant ‘’cohérent’’ le projet d'extension de l'aéroport de Nice : ‘’Cela se fait en parfait soutien avec les élus pour atteindre la capacité d'accueil de 18 millions de passagers’’, soit 4 millions supplémentaires, ajoutant que l'aéroport a atteint sa limite (ce qui n’est pas exact) et doit répondre à une augmentation prévisible du trafic… Monsieur Djebbari et ses services semblent ne pas avoir noté l’augmentation visée vers 21,6 millions de passagers à l’horizon 2030, ni que ce projet favorisera la progression du nombre de passagers comme vu plus haut.
Les citoyens entendent donc, au cœur même de l’enquête publique, que ce projet est soutenu par les élus et le gouvernement, imaginant bien l’issue que vous pourriez en donner, en tant que représentant de l’Etat dans les Alpes-Maritimes, à la fin de cette année…
Le soutien gouvernemental du 5 novembre 2019, démontrant l’intérêt devenu national pour un projet à l’argumentation fallacieuse, sur un aéroport d’envergure internationale, et cette partialité, tout à fait anormale et inacceptable, requièrent la reprise d’un débat public éclairé et l’intervention urgente d’une autorité supérieure indépendante : la CNDP.
Ce point a motivé une demande de saisine auprès de Madame Chantal Jouanno, Présidente de la Commission Nationale du Débat Public, en date du 15 novembre, par un collectif associatif du territoire maralpin. Vous avez été destinataire de ce courrier.
- En pleine enquête publique, un groupement d’organisations professionnelles mené par la CCI Nice Côte d’Azur et l’Union Pour l’Entreprise UPE06, a fait publier une pleine page en faveur de l’extension de l’aéroport dans l’édition du 22 novembre 2019 de Nice-Matin (image en annexe). Cette affiche, non déclarée comme publicité au profit d’une société anonyme à directoire, pose problème, notamment par les termes utilisés :
- ‘’Nous refusons les entraves que certains voudraient lui imposer à l’occasion d’une enquête publique.’’, alors qu’une enquête publique a précisément vocation à laisser les citoyens s’exprimer librement sur un sujet d’importance !
- ‘’Nous soutenons sans réserve un projet de développement raisonnable et nécessaire.’’, alors qu’il s’agit d’un projet présentant un objectif de croissance de +56% de son activité passager en dix ans.
- Des informations insincères : 9 millions de passagers aujourd’hui (au lieu de 13,8 millions en 2018), l’aéroport le moins émissif de France…
Les porteurs du projet, soutenus par un consortium de parties intéressées par les seuls aspects économiques et financiers, tentent de dévoyer le principe même de l’enquête publique sur un projet qui concerne les citoyens niçois et maralpins au premier chef, leur santé et bien-être.
Risques associés et impacts
- Impact climatique
Ce projet d’extension, en dépit de sa présentation tout à fait trompeuse par la SA Aéroports de la Côte d’Azur, s’inscrit donc totalement en opposition avec les impératifs de protection de l’environnement, du climat et de la santé publique : il peut être qualifié d’aberration climatique et sanitaire. Or le 1er rapport du Haut Conseil pour le Climat (juin 2019) rappelle toute l’importance de la ‘’cohérence climatique des projets nationaux et régionaux’’. Or l’état d’urgence climatique, déclaré par Christian Estrosi en conseil métropolitain en septembre 2019, et qui doit être autre chose qu’un slogan politique, rappelle la gravité et l’urgence de la situation. Or le plan Climat (PCAET 2019-2025) de la métropole Nice Côte d’Azur, adopté en octobre 2019, s’engage à réduire les émissions de gaz à effet de serre de -22% d’ici 2026, puis -33% d’ici 2030, en route vers les -75% de la neutralité carbone en 2050.
- Pollution atmosphérique
Si les GES peuvent être théoriquement compensés, il n’en est rien concernant les polluants atmosphériques, notamment sur un aéroport urbain comme celui de Nice.
Le Plan Climat de la Métropole Nice Côte d’Azur (PCAET) s’engage à réduire ces polluants de 44% en moyenne d’ici 2026. Or l’accroissement certain de l’activité aérienne de l’aéroport de Nice Côte d’Azur induira une augmentation de la pollution qui s’ajoutera immanquablement au fond de pollution déjà très important du littoral et de la région maralpine[10]. Et c’est cette pollution chronique à l’année qui pose les plus sérieux problèmes de santé publique.
Plusieurs sources tout à fait officielles[11] convergent vers le chiffre actuel de 500 décès prématurés par an du fait de la pollution de l’air sur la seule ville de Nice[12]. A noter, sur cette question, que l’étude d’impact sur l’environnement du dossier (page 85) précise que ‘’l’aéroport enregistre des valeurs moindres en comparaison aux zones urbaines ou de trafic’’ alors même que l’unique capteur ne remonte qu’une faible partie des polluants principaux sans les cartographier et se trouve positionné en marge géographique de la plateforme.
- Sécurité alimentaire et énergétique
Si ce projet d’extension du T2 est mené à bien, ce sont donc près de 4 millions de personnes supplémentaires drainés par l’aéroport qui viendront s’ajouter aux touristes et aux résidents, alors même que le territoire niçois souffre d’une insécurité alimentaire (2,1% d’autonomie) et énergétique (8,7% d’autonomie) extrêmement préoccupantes.
Non seulement ce projet ne contribuera pas à l’effort territorial de réduction forte des gaz à effet de serre, mais il aggravera les problèmes de santé publique de la pollution atmosphérique, responsable de 500 décès prématurés sur Nice chaque année, d’insécurité alimentaire et énergétique du territoire des Alpes-Maritimes, de nuisances sonores et de saturation des axes de transport.
Aspects juridiques:
- Code de l’environnement article L122.1 (partie III)
Le dossier soumis à enquête n’a pas respecté le principe d’une prise en compte, par l’étude environnementale, des effets directs et indirects du projet notamment sur la population et la santé humaine, l’air et le climat. Un seul exemple : l’objectif des 21,6 millions de passagers indiqués dans le projet en 2030 ne donne lieu à aucune étude sur ses effets, ce qui inacceptable.
- Jurisprudence
Dès 1977, le Conseil d’Etat a estimé qu’une atteinte excessive à l’environnement peut faire perdre à une opération son caractère d’intérêt public nonobstant l’intérêt économique et social qui pourrait être attaché à la réalisation de l’aménagement en cause (jurisprudence : CE 9 novembre 1977 Weber, AJDA 1978, p. 340, CE 26 mars 1980 Beau de Loménie, Rec. p. 171, De Bernis 3 février 1982, Rec.T. p. 641).
- Principe de précaution
Enfin, le principe de précaution, qui relève en France du droit positif depuis la loi Barnier du 2 février 1995, et qui est aujourd’hui de valeur constitutionnelle, s’impose depuis l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat ‘’Association coordination interrégionale stop THT’’ du 12 avril 2013. Cet arrêt est clair : une opération qui méconnaît le principe de précaution ne peut être légalement décidée par les pouvoirs publics.
Face aux aléas environnementaux et sanitaires, le principe constitutionnel de précaution, le code de l’environnement, appuyés par la jurisprudence, doivent prévaloir devant les considérations purement économiques du projet, largement mises en exergue par ses promoteurs.
Alternatives à l’extension du T2
Contrairement aux affirmations des porteurs du projet, aucun citoyen ne promeut la fermeture de l’aéroport, mais la grande majorité des résidents maralpins souhaite un développement territorial authentiquement durable et des efforts importants de réduction des gaz à effet de serre avec une diversification d’activités réduisant le risque du ‘’tout tourisme/surtourisme’’. A cet égard, l’enquête publique s’est achevée sur l’expression de près de trois-quarts d’opposition au projet[13]. En conséquence, abandonner le projet ne serait nullement critique comme le laisse entendre la SA Aéroports de la Côte d’Azur.
Les solutions alternatives présentées dans le dossier de la SACA soumis à enquête sont indigentes. La recommandation n°3 de l’avis de la MRAe demande d’ailleurs la justification des ‘’choix au regard des enjeux environnementaux’’ et la présentation de ‘’solutions alternatives’’.
Les promoteurs de ce projet justifient leur choix par les lacunes stratégiques territoriales et régionales sur les volets mobilité et emplois.
Enfin, le développement ambitieux de modes de transport très peu carbonés (offre ferroviaire LGV et TER, navettes maritimes électriques) doit être fortement encouragé auprès des élus (EPCI, département, région, et partenaires des sociétés de transport).
- Mobilité
Le département des Alpes-Maritimes, et le territoire niçois en particulier, souffrent d’un déficit chronique en termes d’offre ferroviaire : absence de ligne à grande vitesse, suppression des trains de nuit, offre TER insuffisante, etc. Toutes ces lacunes promeuvent l’option du transport aérien, alors que celui-ci est beaucoup plus émetteur de GES que le train (TER 29,4 g CO2/km et TGV 2,4 g CO2/km, contre 101 g CO2 par passager aérien[14] pour la seule partie aéroportuaire sans l’empreinte de leurs vols). Pourtant l’Etat ordonne et donne le pouvoir aux dirigeants de la Métropole, en tant qu’EPCI, de ‘’coordonner’’ les acteurs et actions dans le champ de la transition écologique et énergétique, dans et au-delà de ses seules compétences patrimoniales.
- Emplois
De manière très conventionnelle et conformiste, le chantage à l’emploi est largement utilisé par les promoteurs du projet (‘’projet vital pour l’économie de la région’’). Or une étude comparant l’évolution passée du trafic passager de 2011 à 2016 (+19%) à celle de l’emploi sur la zone niçoise (-2,38% des actifs ayant un emploi[15]) ne démontre pas l’apport d’emplois pérennes et stables à l’année du fait de la croissance de l’activité de l’aéroport.
En revanche, dans l’optique d’une nouvelle économie locale, responsable et durable, le développement de nombreux champs inexploités à ce jour offrirait de formidables gisements de dizaines de milliers d'emplois hors tertiaire, et qui permettrait de sortir de la monoculture touristique, vulnérable aux moindres crises énergétiques, sociales ou économiques :
- agriculture urbaine, périurbaine et rurale (dans le cadre du Projet Alimentaire Territorial (PAT) de la métropole Nice Côte d’Azur, adopté en octobre 2019, par exemple, et en phase avec la nécessaire sanctuarisation des terres arables du département et de la Plaine du Var).
- rénovation énergétique du bâti ancien : le SRADDET PACA demande la rénovation annuelle de plus de 5.000 logements, alors que le PCAET MNCA n’en prévoit que 500, soit 10%...
- énergies renouvelables (EnR, dont photovoltaïque et solaire thermique) : au cœur de la Côte d’Azur, 0,6% seulement de l’énergie électrique consommée sur le territoire provient de l’énergie solaire. Cet état de fait, que l’on pourrait qualifier d’incompréhensible, ouvre de très grandes perspectives d’emplois non délocalisables (production mais également installation).
Il est urgent de reconsidérer la question stratégique de la mobilité sur la région Sud PACA et le département des Alpes-Maritimes, de façon à privilégier des solutions alternatives non fortement carbonées, polluantes et bruyantes comme le transport aérien.
Alerte sur les spéculations technologiques
La diminution des consommations des réacteurs d’avions adopte une courbe asymptotique depuis des décennies[16], démontrant que la réduction des émissions de GES ne pourra s’opérer que par une stabilisation, puis une réduction des déplacements carbonés (route, air et mer).
Les spéculations technologiques (avions gros-porteurs électriques ou à hydrogène) ne doivent pas laisser penser que le développement du trafic aérien sera compensé par ces voies encore immatures, voire tout à fait fantaisistes avant le milieu de ce siècle.
Le transport aérien doit participer activement, par sa maîtrise voire sa réduction, à l’effort de réduction de l’empreinte carbone des activités territoriales, sans attendre des solutions technologiques illusoires, et en intégrant son empreinte CO2 réelle (cycles LTO). Ce projet, fondé sur un pari risqué, est donc contraire à la direction de développement durable exigée par les engagements de l’Etat, des Régions et des collectivités.
Conclusion sur importance de ce projet-pivot en contexte d'urgence climatique
Nous ne sommes pas opposés au tourisme ni à l'aéroport, mais sommes déterminés à ne pas sacrifier la protection environnementale, la lutte contre le réchauffement climatique, la santé publique et le bien-être des habitants des Alpes-Maritimes sur l’autel de la seule économie touristique.
Les engagements pris dans le cadre des Accords de Paris (COP21), de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), du Plan Climat de la Métropole Nice Côte d’Azur (PCAET), l’état d'urgence climatique déclaré par le Président de cette dernière, doivent s’imposer et s’opposer à ce type de projet ‘’croissanciste’’ fondé sur les énergies fossiles, que l’on peut qualifier d’un autre temps.
Plus globalement, apparaissent un déni manifeste et une absence patente de vision à long terme, notamment aussi à l’égard de deux faits scientifiquement prouvés : la montée du niveau moyen de la mer (l’aéroport est à fleur d’eau) et le dépassement du pic pétrolier conventionnel dès 2008.
Monsieur le Préfet, nous vous prions de bien vouloir considérer, en tant que représentant de l’Etat, que votre décision ne portera pas sur un permis de construire anodin d’un bâtiment supplémentaire sur le territoire niçois, mais bien davantage sur un projet emblématique du surtourisme et d’une croissance déraisonnable à l’heure où toutes les alertes convergent sur leurs impacts directs et indirects. Il est plus que temps de faire entrer le territoire maralpin en transition, et d’instaurer une concertation publique authentique, transparente et en amont, sur la vision globale des projets structurants.
Sur cette décision stratégique et historique, par les impacts qu’elle pourra avoir sur la transition de notre territoire, sur la santé des citoyens, et dans le contexte de réelle urgence climatique que nous connaissons, il en va, Monsieur le Préfet, de votre responsabilité morale et juridique.
Les citoyens comptent sur vous.
Lien vers la lettre complète (avec graphes) : https://www.pearltrees.com/s/file/preview/209313128/Lettre%20au%20Prefet%20AM%20Aeroport%20Nice%2027%20Nov%202019.pdf?pearlId=279622215
Signataires :
- Collectif Citoyen 06 (lobby citoyen pour un territoire durable) : collectif-citoyen06@orange.fr (pour contact)
- Alternatiba 06
- Groupe local Greenpeace Nice
- France Nature Environnement 06 (FNE 06)
- Terre de Liens PACA
- Collectif Associatif Pour des Réalisations Ecologiques 06 (CAPRE 06)
- Groupement des associations de défense des sites et de l'environnement de la Côte d'Azur (GADSECA)
- Collectif Synergie de la Transition écologique et citoyenne
- Terre Bleue
- Citoyens pour le Climat (groupe local de Nice)
- Association Niçoise pour la Qualité de l'Air, de l'Environnement et de la Vie (ANQAEV)
- Association Pour une Maison de l’Ecologie (POM’Ecolo)
A titre d’information :
- Monsieur Emmanuel MACRON, Président de la République, Paris
- Madame Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, Paris
- Madame Corinne LE QUERE, Présidente du Haut Conseil pour le Climat, Paris
- Monsieur le Maire de Nice et Président de la Métropole Nice Côte d’Azur
- Monsieur Jean Léonetti, président de la Communauté d'agglomération Sophia Antipolis
- Monsieur Dominique THILLAUD, Président du Directoire Aéroports de la Côte d'Azur
- Monsieur Pierre DARTOUT, Préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur
- Monsieur Renaud MUSELIER, Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur
- Monsieur Charles Ange GINESY, Président du conseil départemental des Alpes-Maritimes
- Madame Pascale ROUSSELLE, Présidente du Tribunal administratif de Nice
- Monsieur Jean Pierre VIGUIER, président de la MRAE Missions Régionales d’Autorité Environnementale
- Mesdames et Messieurs les maires des 48 communes MNCA (hors Nice)
- Mesdames et Messieurs les conseillers métropolitains Nice CA et conseillers municipaux de Nice
- Mesdames et Messieurs les Députés des circonscriptions des Alpes-Maritimes
- Mesdames et Messieurs les Sénateurs des circonscriptions des Alpes-Maritimes
- Monsieur Serge CASTEL, directeur de la DDTM des Alpes-Maritimes
- Monsieur Jean-Pierre SAVARINO, Président de la CCI de Nice Côte d’Azur
- Monsieur Arnaud LEROY, Président-Directeur général de l’ADEME
- Monsieur Yves LE TRIONNAIRE, Directeur régional de l’ADEME PACA
- Madame Anne-France DIDIER, Directrice de la DREAL PACA
- Monsieur Patrice DE LAURENS DE LACENNE, Directeur régional de la DRAAF PACA
- Monsieur Loic CHOVELON, Directeur général du Comité Régional de Tourisme PACA
- Monsieur Denis ZANON, Directeur gal de l’Office de Tourisme Métropolitain Nice Côte d'Azur
- Monsieur Pierre-Charles MARIA, Président d’ATMOSUD
- Associations de Nice et des Alpes-Maritimes
- Médias locaux et nationaux
[1] § 1.3. Enjeux identifiés par l’autorité environnementale (page 7).
[2] Sur une base moyenne de 536 kg par an et par habitant en France (source : http://www.cniid.org/Les-dechets-en-France-quelques-chiffres,151).
[3] Près de 120.000 tonnes d’équ. CO2 par an sur la Métropole Nice Côte d’Azur (source : PCAET 2019-2025).
[4] Or ce taux est une perspective mondiale, qui ne tient aucun compte des nombreuses contraintes de l’aéroport de Nice Côte d’Azur : deux pistes avec traversée de la piste intérieure, manque de moyens d’approche IFR (‘’mauvais temps’’), etc.
[5] Rapport INGEROP.
[6] Si les 21,6 millions de passagers s’orientaient sur un transport tram (modèle théorique transfert modal 100% sur le tram), ce seraient 200 rames quotidiennes en moyenne tout au long de l’année qui seraient mobilisées pour les entrants-sortants de l’aéroport.
[7] Page 36 de l’étude d’impact sur l’environnement.
[8] Projets au Chili, Rwanda, Togo, Cameroun et Madagascar.
[9] Publication dans Nice-Matin en novembre 2019.
[10] Trois contentieux frappent toujours la ville de Nice (Conseil d’Etat et CJUE).
[11] Agence Nationale de Santé, Agence Régionale de Santé PACA, études épidémiologiques.
[12] Ce dossier a fait l’objet d’une lettre au directeur général de l’ARS PACA le 20 octobre 2019 (dont vous avez été destinataire).
[13] Au terme de l’enquête publique, 74,7% des 1224 observations ont exprimé une opposition au projet.
[14] Source Aéroports de la Côte d’Azur.
[15] Source https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-06088#chiffre-cle-3
[16] Les motoristes avions évoquent une réduction de consommation de 1% par an. Or l’ancienneté moyenne de la flotte mondiale d’avions commerciaux donne à ces bénéfices un effet retard indéniable.