Madame la candidate, Monsieur le candidat, à l‘élection législative de juin 2022.
Dans la vie politique française, depuis des années, les conceptions qui affirment la nécessité de la lutte contre l’immigration se développent dans une dimension nationaliste et xénophobe pour développer alors une lutte contre le droit d’asile et contre l’accueil des étranger.e.s exilé.e.s qui fuient des situations insupportables de violences inhumaines.
Les reconnaissances des droits de séjour en France pour les exilé.e.s sont ainsi progressivement reniées, et avec la réforme de l’immigration de mars 2016, les nécessités médicales de soins en France pour les étranger.e.s gravement malades sont déniées.
Nous, soignant.e.s et nécessaires protecteurs des exilés.e. s qui ont besoin de soins et de protection en France, nous devons vous alerter sur les pratiques des autorités qui réduisent de façon drastique la reconnaissance du droit de séjour en France pour raison de santé, en particulier pour les exilé.e.s qui souffrent de pathologies psychiatrique, et encore plus pour celles et ceux souffrant de psycho traumatismes provenant des tortures et violences subies dans leurs pays ou lors de leurs trajets migratoires.
L’inscription législative du droit au séjour pour raison médicale a été réalisée en France par les lois Debré (1997, protection contre l’éloignement) et Chevènement (1998, droit au séjour). Jusqu’en 2017, ce sont les médecins des DASS (directions des affaires sanitaires et sociales) puis des ARS (agences régionales de santé) qui évaluaient les demandes de séjour en France pour raison de santé. Les Médecins Inspecteurs de santé Publique suivaient dans l’ensemble les recommandations du ministère de la Santé jusqu’en 2003 où ces médecins commencent à se plaindre à leur ministre de tutelle, la Santé, des pressions qu’ils subissent de la part des services préfectoraux en réaction à des supposés « pourcentages excessifs d’avis positifs ».
C’est dans ce contexte qu’est intervenue la réforme de l’immigration de mars 2016, qui va confier à l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) la responsabilité de l’évaluation médicale. Alors même que les critères médicaux n’ont pas changé, on observe dès la première année, en 2017, une chute des taux d’accord à 53 % pour l’ensemble des pathologies et à 23 % pour les troubles psychiques.
En décembre dernier, l’OFII publiait son rapport 2020 sur les demandes de titre de séjour pour soin des étrangers malades. Le taux d'accord global est égal aux deux tiers des demandes. Ce taux est à interpréter en fonction de la part de premières demandes et de renouvellements, les plus nombreux : le nombre de premières demandes continue de chuter.
Les demandes de séjour pour soins psychiatriques sont passées du premier rang en 2017 au quatrième, soit de plus de 8000 demandes en 2017 avec 73,5% de refus à 4144 demandes en 2020 avec 64,7% de refus. Pourquoi une telle baisse, quand le nombre d’arrivants de pays en guerre ou suite à des violences extrêmes demeure aussi élevé ?
Les états de stress post traumatique (ESPT) représentent 31,7% des « troubles mentaux et de comportement » en 2020. Seul un quart (26,1%) des avis des médecins de l’OFII sont favorables aux malades. Ainsi, ces demandes sont bien moins entendues que celles pour maladies somatiques.
De plus, la loi de septembre 2018 impose que les arrivants déposent conjointement la demande d’asile et la demande de séjour pour soins. Or la durée de présence moyenne sur le territoire national lors du dépôt de la première demande pour motif d’ESPT est de 4,2 ans. Cette durée témoigne du fait que la plupart des arrivants ne voient leurs troubles reconnus que longtemps après leur arrivée. L’accès au soin est rendu plus difficile avec la multiplication des obstacles juridiques et pratiques (accès à l’AME, dématérialisation des procédures, etc.) mais aussi contextuels (crise sanitaire).
Les effets de ces mesures qui règlementent maintenant le droit de séjour en France pour raison de santé, et qui aggravent les dénis des besoins de soins et de protection en France, les soignant.e.s des exilé·e·s les rencontrent tous les jours avec désolation : décompensation des pathologies avec reprise des violents symptômes post traumatiques, tentatives de suicide, transmissions traumatiques aux enfants, vies marginales et clandestines en France avec tout ce que cela induit, errances sociales et géographiques ou retour dans leurs pays sans solutions de soins ni de protections, pour vivre ce que nous devons nommer maintenant des morts sociales : femmes qui ont fui des violences et qui doivent accepter des mariages forcés ou les excisions de leurs filles par exemple, soumissions obligées aux répressions policières ou organisations mafieuses et criminelles qu’ils avaient fui, etc.
Alors que l’Europe entière, y compris la France, bafoue les conventions de protection des enfants et des réfugiés, ou cautionne ou soutient ces maltraitances, que les migrant.e.s et réfugié.e.s sont devenus otages des conflits entre nations ou des conflits politiques, alors que les dizaines de milliers de morts en méditerranée sur les routes de l’exil sont un crime contre la civilisation, nous ne pouvons accepter que les droits des exilé·e·s qui nécessitent des soins et une protection en France, vu la gravité de leurs souffrances, soient déniés par des évaluations trompeuses.
Les évaluations par l’OFII se contentent d’une clinique de management bureaucratique qui se positionne contre les avancées scientifiques, universitaires, contre les compréhensions cliniques et pratiques des structures de soins spécialisés de la psychiatrie française, et contre l’inscription de la psychiatrie des soins des étranger.e.s dans une perspective plus large qui tient compte de la longue histoire de la prise en charge des victimes, ayant toujours oscillé entre suspicion et reconnaissance.
Cette inscription se doit d’être éthique et d’être conforme aux conventions signées par la France :
La convention d’Istanbul (2011) qui protège les femmes victimes du refoulement dans leur pays.
Le pacte de Marrakech (2018), qui met en exergue le respect de la personne, la protection des personnes vulnérables : enfants et porteuses de souffrance psychiques.
Le rapport de 2020 propose aussi de reconsidérer « l’excellence » des thérapies locales et des techniques cognitives proposées dans les pays d’origine. Deux critères motivent en effet les rejets : la non « exceptionnelle gravité du trouble », et la possibilité de se faire soigner au pays. Indépendamment d’un jugement sur la nature des soins locaux, il est nécessaire de rappeler qu’un psychotraumatisme suppose la mise hors-jeu des cadres de pensée et de sens du sujet et de son univers social. Il est difficile d’imaginer des prises en charge sur les lieux où ont été perpétrés les tortures, les viols, les emprisonnements, etc. Et encore plus de privilégier des « thérapies comportementales par réexposition au traumatisme ». Pour proposer un retour aux soins locaux et à de telles thérapies, il faut faire preuve de cynisme ou de méconnaissance clinique.
Madame la candidate, Monsieur le candidat, nous souhaiterions qu’avec nous, vous rétablissiez quelques vérités afin de limiter les arguments hypocrites et pour que vous vous engagiez à la restauration des nécessités d’accueil, de reconnaissance, et de protection :
- Il n’y a pas de santé psychique sans toit ni titre de séjour. Comment imaginer laisser à la rue des personnes, souvent allophones, en détresse psychique grave, sans leur donner les moyens d’améliorer leur condition ?
- Les traumatismes complexes, issus de violences répétées et intentionnelles, ne se soignent pas vite et bien avec des thérapies brèves ou des médicaments. À l’occasion de la tragédie du Bataclan, les nombreux témoignages de patient·e·s et de soignant·e·s prouvent que, pour certain·e·s le chemin d’apaisement se compte en années. Le risque de re-traumatisation en retournant au pays, bien qu’évidente, n’est pas pris en compte par les médecins de l’OFII.
- La mission des médecins de l’OFII ne semble plus être d’évaluer le meilleur pour la personne, mais de trouver des failles dans le dossier médical, en occultant la clinique.
Nous demandons :
- que l’évaluation des dossiers médicaux des étranger.e.s malades revienne au ministère de la Santé (comme avant mars 2016) selon des modalités et des critères d’évaluations cliniques éprouvés et cesse d’être manipulée par des intérêts politiciens de « lutte contre l’immigration ».
- que soit justement considérées l’existence et la gravité d’un psychotrauma pour des patient.e.s exilé.e.s, ainsi que la nécessité d'une durée longue et renouvelable des soins nécessaires à s’apaiser et à réduire le risque de re-traumatisation.
- que la suspicion envers les soignant.e.s qui prennent en charge les exilé.e.s en santé mentale cesse et que l’intérêt supérieur du ou de la patiente soit la priorité.
Au moment où la guerre en Ukraine a fait heureusement et légitimement décider de favoriser l’accueil les réfugié.e.s de ce pays en France, y compris en prévoyant leurs intégrations sociales, et à ce que des soins psychiques soient adaptés et disponibles pour elles et eux, victimes de traumatismes, il y aurait un recul de la médecine, de l’éthique et de l’humanisme si la solidarité et la reconnaissance sont organisées de façon sélective selon que les victimes sont incluses ou rejetées du « nous » car pour être « nous », il faudrait être « comme nous ».
Fait le 19 mai 2022 par le collectif Droit au séjour des étrangers malades PSY (Dasem PSY), associant des médecins, psychologues, soignant.e.s, chercheur.ses en sciences sociales, et accompagnant les exilé.e.s en détresse. Le collectif a réalisé les Assises "Psychotrauma et étrangers malades" en mars 2021 qui ont réuni plus de 400 personnes (cf ici).
Contact pour plus de renseignements : dasempsy@gmail.com
Noter le dernier numéro de la revue Plein droit, n° 131 : « Étrangers, des traumas mal/ traités par l’État », et celui du BULLETIN DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DE PSYCHIATRIE, Pour la recherche, n° 108-109, consacré à une partie de nos écrits.