Collectif des Associations Citoyennes (avatar)

Collectif des Associations Citoyennes

http://www.associations-citoyennes.net/

Abonné·e de Mediapart

23 Billets

1 Éditions

Billet de blog 7 février 2024

Collectif des Associations Citoyennes (avatar)

Collectif des Associations Citoyennes

http://www.associations-citoyennes.net/

Abonné·e de Mediapart

Simplification… une fausse réponse aux vrais problèmes

Établir un parallèle entre monde agricole et acteurs associatifs semble osé. Et pourtant c’est dans les non-réponses du gouvernement qu’on y trouve la logique d’un système politique fondé sur cette idée : plus on est gros plus on est productif. Fut-ce au détriment de la qualité de la vie.

Collectif des Associations Citoyennes (avatar)

Collectif des Associations Citoyennes

http://www.associations-citoyennes.net/

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Gilles Rouby

Alors que le monde agricole bloquait les routes pour réclamer le droit à vivre dignement, la principale réponse apportée est celle de la simplification des normes et des textes, la prochaine étape risquant d’être celle de la réduction des charges, pourtant garantes du pacte social à la française.

Pourtant le problème est systémique. Depuis 1992, la politique européenne s’en est remise aux strictes lois du marché et de la concurrence libre et non faussée. Jusque-là, le métier d’éleveur ou d’agriculteur consistait à produire pour nourrir la population. Le mécanisme est simple : je travaille la terre, j’élève des animaux, je produis du lait… et  avec la vente de ma production je dégage un revenu me permettant de vivre dignement. Pour cela les aides européennes s’inscrivaient dans le cadre d’une régulation des marchés, garantissant des prix, gérant des stocks et mettant en place un système de quotas évitant la surproduction et l’écroulement des cours. Analysant que cette Politique Agricole Commune a produit ses effets, les théoriciens et économistes libéraux des années 90 en ont tiré la conclusion que ce type d’aide pouvait être arrêté et dirigé vers des aides directes à la production basées sur la superficie des exploitations et le foncier, et donc ouvertes à tout type de production et d’exploitation.

C’est dans ces années que la Confédération paysanne s’est affirmée contre la mondialisation libérale, contestant les orientations libérales prises par Bruxelles et soutenues par le syndicat majoritaire.  La « marchandisation » et la « managériation » du monde agricole sont à l’œuvre. Pour survivre, il faudra produire davantage, donc étendre ses superficies d’exploitation, se moderniser (lire « s’endetter ») et augmenter les rendements à l’aide de produits néfastes pour l’environnement et la santé. Le modèle d’exploitations agricoles maillant le territoire, développant des produits de qualité, et façonnant le paysage se trouve alors en concurrence directe avec les entreprises agroalimentaires industrielles. Les résistances s’organisent contre les méfaits de cette politique : bœuf aux hormones, taxation de produits emblématiques (roquefort, moutarde…),  apparition des premiers élevages intensifs (1000 vaches, 5 millions de poulets…).  Le McDo de Millau devient un symbole de la malbouffe. Mais rien n’y fait, les mécanismes de régulation sont démontés, et les agriculteurs se retrouvent démunis, seuls face au monde industriel.

Pour nos gouvernants les responsabilités sont ailleurs, dans des normes ayant pour objectif de produire des produits de qualité, respectueux des sols, de l’environnement, des écosystèmes et de la santé. Plutôt que reconstruire les bases d’une agriculture paysanne, et les systèmes de protection d’un marché « à la française », par la stabilisation et la garantie des prix, par des aides ciblées, par la réduction des marges des industriels de l’agroalimentaire et de la distribution, et la juste rémunération des agriculteurs et agricultrices, ils persistent dans la logique libérale d’un marché tout puissant.

Simplification, un mot bien connu des acteurs associatifs

Le parallèle est osé mais plus que tentant. De la même façon que l’agriculture paysanne reposait sur un maillage du territoire, dans la proximité des habitants à qui étaient proposés les produits de leurs exploitations dans un vrai système de circuit court, sans aucun intermédiaire, le milieu associatif est présent sur l’ensemble du territoire, au plus profond des campagnes, au cœur des quartiers populaires comme dans les campagnes. Et c’est la même réponse que nos secrétaires d’état successifs, quand il y en a, apportent aux revendications du secteur. Et auxquels le CAC a déjà répondu dans un article « simplification côté pile, mise au pas des associations côté face ! » Le « choc de simplification » figurait déjà dans le New-deal associatif présenté dans la circulaire du 1er ministre en septembre 2015 ! Comme qui dirait, est-ce là de la poudre de perlimpinpin ?

Comme les agriculteurs et agricultrices, les acteurs associatifs, animatrices-animateurs, éducatrices-éducateurs, entraîneur.es sportifs, médiateurs et médiatrices culturels… vivent chichement de leur métier, fait d’horaires atypiques, de contrats courts, de temps partiel fragmenté et de CDD. Ils et elles sont pourtant directement exposés aux maux de la société. Pauvreté, perte d’emploi, chômage, racisme et discriminations… sont leur lot quotidien. Les 1,7 millions d’associations garantissent dans leur diversité le lien social entretenu avec les personnes les plus fragiles, avec les familles, auprès des jeunes comme des personnes âgées. Et pourtant les professionnel.les ont de plus en plus de mal à exercer leurs métiers. Manque de reconnaissance, incertitudes sur les budgets des associations, multiplication des procédures d’appel à projet et crainte sur les rétentions de subvention, notamment depuis la mise en place du Contrat d’engagement républicain qui limite leur liberté d’expression et d’action.

Là aussi il est question de politique européenne. Dans les textes comme dans les lois, le terme de non-lucrativité disparaît au profit d’une lucrativité limité, et sa conséquence directe, l’entrée d’entrepreneurs associatifs qui voient là un nouveau marché s’ouvrir. Des domaines entiers des politiques sociales ne sont plus protégés, et on en voit les effets dans le secteur des personnes âgées, des crèches, ou des établissements spécialisés… Le monde de la finance s’y engouffre, avec les effets dévastateurs dans les services à la personne (comme on peut le voir dans les EHPAD), et l’instauration de services à 2 vitesses entre les personnes pouvant payer ou non des prestations hors de prix pour les personnes ne disposant pas des ressources nécessaires.

Là aussi il est question d’accroissement sans limite, détournant le statut associatif à des fins de spéculation et d’enrichissement. Les Contrats à impact social comme nouveau modèle des politiques publiques en sont un exemple. Fortement soutenus par le gouvernement qui en fait même sa priorité, ils ne font que dépenser encore plus d’argent public dans des mécanismes quasiment réservés à de grosses associations, auprès desquelles un investisseur apporte des produits financiers  reçoit au cours de la mise en œuvre du contrat non seulement le remboursement, mais aussi un  juteux retour sur investissement, sans aucun risque. Tout cela garanti par des fonds publics. Tout en affaiblissant les réseaux associatifs, et en réduisant leur expertise et leurs préconisations.

Le Groupe SOS s’impose comme le leader du monde associatif spéculatif, tout en bradant ses valeurs. Les associations qu’il rachète par centaines (avec leurs actifs, biens immobiliers et ressources humaines), sont réduites à devenir de simples prestataires de service, soumises aux lois du marché, de l’appel d’offre et de la gestion managériale. Là où l’association s’appuie sur une gouvernance démocratique, associant bénévoles et professionnels dans un projet co-élaboré, ces nouvelles entreprises associatives importent les modèles de l’entreprise avec une forte soumission à une autorité hiérarchiquement extérieure. Les pratiques associatives se trouvent alors  exposées à une logique marchande qui ne vise pas à plus de démocratie, mais à plus de rendement. Le soutien apporté par la puissance publique tend même à en faire le modèle à suivre.

Mais là aussi ce monde du tout marchand a ses limites. Il n’est plus en phase avec les difficultés des habitants que seuls les élus locaux et les militants associatifs perçoivent. Les mobilisations s’organisent. « Sans l’écosystème associatif, l’équilibre de notre société et de notre démocratie est menacé » (Tribune Le Monde, 27 juin 2023), plusieurs centaines d’élus locaux se mobilisent pour dénoncer le Contrat d’engagement républicain. Un appel des élus et employeurs de l’Animation et de l’Éducation populaire (à l’initiative de Hexopée, organisation professionnelle des métiers de l’animation, du sport, de l’ESS...) réclame des moyens pérennes pour une juste rémunération des professionnel·les de l’animation et de l’éducation populaire (Médiapart, 10 mai 2023). Lors des Rencontres nationales de l’Éducation populaire à Poitiers, acteurs associatifs et élus locaux demandent une éducation populaire forte, comme réponse à l’urgence démocratique et la montée de l’extrême droite.

La forte mobilisation ce 31 janvier des centres sociaux contre le manque de moyens attribués et l’impossibilité à boucler les budgets est significative des difficultés du secteur. Pour leur fédération  « il devient donc urgent de construire dès maintenant des réponses à la hauteur des besoins pour continuer à faire vivre la cohésion sociale ». Et un appel est lancé pour réunir l’ensemble des acteurs du secteur début mars.

Le Collectif des associations citoyennes est né de cette analyse de la marchandisation des associations, sous l’effet du dogme européen de la concurrence libre et non faussée. Le CAC porte cette analyse d’une société qui ne fait plus confiance à ses acteurs. Une autre politique est pourtant possible. Par exemple le projet d’ une véritable Sécurité Sociale de l’Alimentation porté depuis plus de dix ans par un collectif d’associations et de chercheur.euses, tente d’étendre le principe de la sécurité sociale d’après-guerre au droit à l’alimentation. Il permettrait de redonner toute sa place à la culture paysanne, en garantissant les marchés comme les prix et en permettant à tout un chacun d’accéder à une nourriture de qualité indépendamment de ses moyens.

Il est urgent de renouer avec les politiques de proximité,  ancrées dans les territoires, en cohérence avec les élus locaux, les producteurs, les habitants et s’appuyant sur l’analyse et les pratiques des acteurs associatifs dans des dispositifs d’action collective.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.