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Billet de blog 9 déc. 2019

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Autonomie financière: l’enjeu féministe de la retraite

La question de la retraite est un enjeu féministe crucial et souvent peu abordé. Elle met en effet en jeu non seulement la question des inégalités économiques de genre, mais aussi plus fondamentalement, la question de l'autonomie financière des femmes.

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La question de la retraite est un enjeu féministe crucial et souvent peu abordé. Elle met en effet en jeu non seulement la question des inégalités économiques de genre, mais aussi plus fondamentalement, la question de l'autonomie financière des femmes. Le projet du gouvernement, en faisant de la retraite un strict reflet de la carrière, y compris dans ses périodes les plus précaires, en conditionnant les droits familiaux et en réduisant le niveau général des pensions, menace encore davantage une autonomie déjà insuffisante.

Le système des retraites actuel accroît les inégalités de genre déjà présentes dans la vie professionnelle, parce qu’il combine inégalités de salaire et inégalités de carrière. Le projet de réforme du gouvernement risque de ne faire qu’aggraver les choses. Les femmes sont déjà nombreuses à devoir compter sur le salaire, puis la pension de leur conjoint pour s’assurer un niveau de vie décent. Alors qu’elles ne gagnent déjà que 75 % du salaire des hommes en moyenne, leur pension de retraite ne représente qu'environ 60 % de celles des hommes. Les femmes sont aussi plus nombreuses à vivre sous le seuil de pauvreté[1]. L’écart genré se creuse avec l’âge : après 75 ans, le taux de pauvreté des femmes est de 3,4 % contre 2,2 % des hommes[2]. Le risque de dépendance financière s’accroît ainsi avec l’âge. Les chiffres sur les pensions de réversion sont également éloquents : ce sont les femmes qui en sont largement bénéficiaires (89 %) et elles représentent 96 % des bénéficiaires d’une pension de réversion ne percevant aucune pension propre.

La question de la retraite et des inégalités économiques dans le vieil âge est donc éminemment féministe. Le droit à vivre avec qui on le souhaite, le droit à choisir son mode de vie amoureux, le droit à la séparation, le droit à l’autonomie ne doivent pas être réservés aux femmes en âge de travailler ou percevant de hauts revenus. Depuis le début de l'année 2019 et à l'heure où nous écrivons, 140 femmes sont mortes sous les coups de leur (ex-)conjoint ou des suites de ceux-ci[3]. Parmi les femmes tuées depuis le début de l'année dont l’âge est connu, 36 avaient 60 ans ou plus, c'est-à-dire étaient à la retraite ou proches de l'être. Cela représente plus d'une femme victime de féminicide sur quatre. Or, la question de l’autonomie financière est centrale dans la lutte contre les violences domestiques. Quitter une relation abusive lorsque l'on ne sait pas si l'on pourra subvenir seule à ses besoins (et à ceux de ses enfants) est difficile, voire impossible : le rôle central du coût matériel de la séparation en cas de violences domestiques a été mis en lumière par de nombreuses recherches[4].

Alors que le gouvernement veut imposer une nouvelle réforme du système de retraites, il reste très vague quant à l'impact de son projet sur les pensions des femmes. Si certains points demeurent dans l'ombre, d'autres sont déjà connus et sont alarmants :

Une sortie des mécanismes de solidarité du cœur du système

Aujourd’hui, les mécanismes de solidarité sont des droits garantis afin d’éviter de trop creuser les inégalités. Ce sont les femmes qui en bénéficient largement, puisqu’ils sont censés compenser en partie les périodes d’inactivité, de temps partiels, de congés parentaux etc., qui concernent encore en majorité les femmes. Dans le nouveau système, il est prévu que ces mécanismes de solidarité fassent désormais partie d'une enveloppe séparée, dont le montant serait laissé aux mains des parlementaires.

Dans son principe, cette proposition est une rupture majeure : notre système actuel de retraite ne dissocie pas les droits « contributifs » (c’est-à-dire dérivant directement de ses cotisations) des droits « de solidarité » (c’est-à-dire octroyés comme compensation). Cela veut dire que droits octroyés pour compenser les périodes d’inactivité ou de temps partiel, qui étaient jusqu’à maintenant comptabilisées comme des droits à la retraite pleins et entiers, seraient distingués explicitement de droits « normaux » et que leur montant dépendrait des choix des gouvernements successifs. Ainsi, la solidarité du système de retraites dépendrait directement du budget de l’État, et non plus de celui de la Sécurité sociale. Le risque est grand que cette enveloppe de solidarité serve de variable d'ajustement et puisse être réduite - ou insuffisamment revalorisée - sur simple décision politique.

Une régression sur les pensions de réversion

En ce qui concerne les pensions de réversion, la réforme prévue a aussi de quoi inquiéter. Si, dans son principe, la pension de réversion n’est pas entièrement satisfaisante, en ce qu’elle fait reposer le niveau de vie à la retraite des femmes sur la pension de leur conjoint défunt, ce dispositif permet aujourd’hui à de nombreuses femmes de s’assurer un niveau de vie décent dans la retraite. Or la réforme envisage une révision de ce dispositif à la baisse, sans y apporter les modernisations indispensables. Aujourd’hui, la pension de réversion peut être touchée dès 55 ans. La réforme du gouvernement prévoit qu’elle ne puisse plus l’être qu’à partir de 62 ans - et à condition que la bénéficiaire soit elle-même à la retraite. Dans un contexte où le gouvernement prévoit de reculer sans cesse l’âge pivot, cela signifie pour beaucoup de femmes un droit à toucher la pension de réversion toujours retardé.

De plus, la pension de réversion serait supprimée en cas de divorce. Une femme qui aurait été mariée à un homme pendant la majorité de sa vie active et qui aurait par exemple pris un temps partiel pour élever les enfants du couple, n’aurait pas le droit de toucher de pension de réversion au décès de son ex-mari. Elle devrait se contenter de sa propre pension (nécessairement affaiblie par la carrière à temps partiel), supplémentée uniquement par d’éventuelles compensations touchées au moment du divorce (dont on se demande par ailleurs comment elle pourrait prendre adéquatement en compte les moindres droits acquis par les femmes…). Enfin, alors que les modes de vie des couples existent de plus en plus en dehors du mariage, la réforme ne prévoit pas de pension de réversion en cas de PACS ou de concubinage.

Les mécanismes de compensation liés aux enfants : l’illusion du libre choix et le renforcement de la dépendance financière

La réforme prévoit de remplacer les mécanismes actuels de compensation liés aux enfants (qui prévoient une « majoration de durée d’assurance » (MDA) de huit trimestres par enfants au régime général et une majoration de la pension de 10 % si le couple a trois enfants ou plus) par une majoration de 5 % de la pension, au choix, de l’un·e des deux conjoint·e·s (ou à partager entre les deux). Or, dans un système où les hommes gagnent en moyenne plus que les femmes, il sera en général plus « rentable » d’appliquer les 5 % à la pension du père, alors que ce sont les mères qui subissent dans leur carrière (et donc leur pension !) le coût des enfants (interruptions de carrière, niveau de qualification, salaire, quotité d’activité, etc.), puisque c’est encore aujourd’hui à elles qu’incombe de manière massive le soin des enfants et leur éducation.

Un relèvement des minimas de pension en trompe-l’œil, pénalisant pour les femmes

Alors que le gouvernement se félicite de sa volonté de relever le minimum de pension, le projet de réforme prévoit non seulement de conditionner celui-ci à l’atteinte de l’âge pivot (qui reculera chaque année), mais aussi au fait d’avoir effectué une « carrière complète ». Or, puisque la réforme prévoit justement la suppression des majorations de durée d’assurance (voir ci-dessus) qui permettaient jusqu’ici aux femmes de « compléter » leurs trimestres, il est à craindre que les femmes seront pénalisées par cette condition de « carrière complète » et auront d’autant plus difficilement droit aux minimas de pension. Elles seraient donc renvoyées, encore davantage qu’aujourd’hui, à la dépendance économique vis-à-vis d’un conjoint, ou au minimum vieillesse – celui-ci étant d’un montant sensiblement plus faible, et par ailleurs en-deçà du seuil de pauvreté.
Par ces différents éléments, c’est non seulement le niveau de vie des femmes âgées qui est menacé mais aussi, plus largement, leur liberté de vivre comme elles le souhaitent et leur protection face aux violences domestiques. En compartimentant les mécanismes de solidarité dans une enveloppe séparée, en renforçant la conditionnalité des mécanismes de solidarité liés aux enfants et des pensions de réversion et en décidant une baisse générale du niveau des pensions[5], non seulement la réforme du gouvernement passe à côté des vrais enjeux, mais elle risque d’aggraver une autonomie financière des femmes à la retraite déjà extrêmement fragile.

Il est selon nous urgent de faire de l’autonomie financière des femmes un enjeu central de nos luttes et d’opposer une réponse féministe face au projet de réforme des retraites. Alors que le gouvernement continue d’opposer un silence assourdissant au décompte des féminicides par conjoints ou ex réalisés par des associations féministes et aux demandes de mesures concrètes pour que les violences cessent, et au lendemain de ce qui a sûrement été la plus grande manifestation contre les violences faites aux femmes que la France a connu jusqu’à aujourd’hui, cette dimension de la réforme doit plus que jamais être au cœur de nos préoccupations.

 Ce billet de blog a été rédigé par les militantes du Collectif Nos retraites.

[1]https://www.insee.fr/fr/statistiques/3567016

[2] Au seuil à 50% du niveau de vie médian. Selon le seuil de pauvreté adopté, on considère qu’une personne est pauvre quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 867 euros (seuil à 50 % du niveau de vie médian) ou à 1 041 euros (seuil à 60 %).https://www.inegalites.fr/La-pauvrete-selon-le-sexe?id_theme=22

[3] Ce chiffre, déjà trop effrayant, est probablement sous-estimé : il ne compte pas les femmes "disparues" (c'est-à-dire dont les corps n'ont pas été retrouvés), ni les femmes poussées au suicide, pour qui la mort a été le seul moyen pour sortir des violences, ni encore les femmes décédées des suites de maladies causées par les violences ou de leurs séquelles à long terme.

[4] Voir Marie-Laure Déroff, “Parcours de femmes victimes de violences conjugales” (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01253260/); Pauline Delage, “L’exception et la règle. Réformes de l’État-providence face à la reconnaissance de la violence conjugale”, Informations sociales 177(3), 2013, p. 136-139.

[5] À ce sujet, voir notamment les analyses du collectif Nos retraites (www.reformedesretraites.fr)

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