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Billet de blog 31 octobre 2022

Ordre des médecins : une vision paternaliste de la médecine

Pourquoi nous opposons nous à l’ordre des médecins ? Nous sommes 4 médecins membres du Syndicat de la Médecine Générale à passer en procès à Nantes le 15 novembre pour refus de paiement de cotisation à l’ordre des médecins. Voici les raisons de notre refus de cotiser à une institution dont l’action va globalement à l'encontre de la santé publique et des droits des habitant·es.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le modèle de la médecine paternaliste traditionnelle, qui considère que seul le médecin peut apprécier ce qui est bien pour son patient, est progressivement remplacé par un modèle autonomiste (1). Les textes réglementaires, et notamment la loi du 4 mars 2002, officialisent ce changement de paradigme et fixent dans la loi une « décision médicale partagée ». Or, le conseil national de l’ordre des médecins, par des prises de position successives au cours de l’histoire sur divers sujets de société, a toujours défendu une vision paternaliste de l’exercice médical. Cette affirmation de Louis Portes, ancien président du conseil de l’ordre, l'illustre bien : « Au sens exact du terme, [le patient] ne voit plus clair en lui-même, car entre lui-même observant son mal et lui-même souffrant de son mal, s’est glissée une opacité et parfois même une obscurité totale ; tous ses pas dans sa connaissance de lui-même sont devenus trébuchants comme ceux d’un enfant » (2).

IVG et contraception (3)(4)

Cette vision très paternaliste de la médecine s’est exprimée en particulier sur les sujets liés à la santé sexuelle et reproductive, et au droit des femmes à disposer de leur corps. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que le conseil national de l’ordre des médecins est paritaire depuis 2017 dans les textes (parité effective en 2022 seulement). Auparavant, il était constitué d’une très grande majorité d’hommes. (Voir synthèse du rapport de la cour des comptes) 

Sur les questions de régulation des naissances, l’ordre s’est d’abord opposé à la contraception puis à l’IVG. Déjà, en 1956, l'ordre adressa un blâme au Dr Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé pour avoir créé l’association « La Maternité Heureuse », ancêtre du Planning familial. En 1962, 120 médecins se disent favorables à la diffusion de la contraception et créent le « Collège médical » du MFPF (Mouvement Français pour le Planning Familial issu de « La Maternité Heureuse » notamment). Le conseil de l’ordre écrit alors en 1962 que « le médecin n’a aucun rôle à jouer et aucune responsabilité à assumer dans l’appréciation des moyens anticonceptionnels, dans les conseils au public, ou les démonstrations relatives à ces moyens » (5). Il faudra attendre 1966 pour que le conseil de l’ordre admette que « le médecin n’a pas à s’en désintéresser [de la contraception] s’il veut la pleine santé et l’épanouissement des familles dont il est médicalement responsable ». A-t-il senti que le pouvoir médical devait reprendre le contrôle d’un phénomène qui risquait fort sinon de lui échapper ? 

Concernant l’avortement, dans son communiqué du 23 octobre 1970, l’ordre prend clairement position contre l’IVG, mettant en avant son rôle de garant de la déontologie médicale : « À l'occasion de la publication du projet de dispositions législatives nouvelles en matière d'interruption de la grossesse avant la période de viabilité fœtale, l'ordre national se doit de réaffirmer publiquement que le respect de la vie humaine constitue un dogme fondamental de l'action du médecin et que la vie embryonnaire et la vie fœtale ne peuvent être qu'artificiellement séparées de la vie humaine ». La seule concession envisagée était l'extension de l'avortement thérapeutique à certaines indications médicales telles que l'existence de malformations graves pour l'enfant à naître, et ce avec de multiples réserves. Tout autre élargissement paraissait inacceptable, en particulier pour ce qui concernait les indications sociales, car l'avortement « supprimant la vie d'un œuf sain constitue une violation directe de la doctrine de l'ordre ». 

De nouveau, en 1973, le Conseil de l'ordre réagit violemment à un nouveau projet de loi Messmer-Poniatowski : toute loi qui laisserait au médecin une marge de liberté individuelle en matière d'« indication » pour avortement serait, selon lui, de nature à détériorer l'éthique médicale et à saper la confiance que les malades ont dans leur médecin. Si l'ordre revendique le maintien de la responsabilité des médecins en matière d'avortement thérapeutique, il proclame qu'il est hors de question qu'ils en aient une quelconque en matière d'avortements dits « sociaux ». Toutefois, « dans l'hypothèse où la loi française reconnaîtrait la légitimité de l'avortement pour raison sociale ou psychologique », le Conseil de l'ordre affirme que la liberté devra être laissée aux praticien·nes de refuser de pratiquer un avortement et qu'il sera « très attentif à ce qu'aucun médecin ne puisse être obligé de pratiquer des avortements contre sa conscience ». Dès lors, après l’adoption de la loi Veil, l’ordre n’a eu de cesse de défendre cette clause de conscience spécifique, notamment en 1979 au moment des débats sur la reconduction de la loi, et très récemment en 2020 (en s’opposant à l’allongement des délais légaux d’IVG (6) (7)). Sur ces différents sujets, l’ordre a donc, à plusieurs reprises, nié les droits des femmes à disposer de leurs corps, sachant mieux qu’elles ce qui était « bon pour elles ». Sur d’autres sujets de société, l’ordre des médecins a pu, de la même façon, prendre des positions très conservatrices, faisant fi de l’avis des usager·es sur leur prise en soins. 

Traitements Substitutifs aux Opiacés et usager·es de drogues (8) (9)

À l’arrivée des TSO, alors que l’épidémie de SIDA touche encore de plein fouet les usager·es de drogues, certains médecins (Dr Jean Carpentier et Dr Clarisse Boisseau notamment) se voient poursuivi·es par le conseil régional de l’ordre des médecins d’Ile de France pour avoir prescrit des traitements substitutifs. Le conseil de l’ordre n’aura, là encore, fait que freiner la prise en charge des patient·es toxicomanes. 

Médecins « safe» et patient·es racisé·es

En août 2020, le collectif anti-raciste de « soignantes afro-descendantes » Globule Noir diffuse une liste de gynécologues noir-e-s en Ile de France. Une liste de soignant·es racisé·es est en cause à ce moment, mais il est à souligner qu’existent aussi des listes de médecins gay-ou LGBTI-friendly, de gynécologues « safe », etc. Ces listes sont construites par et pour patient·es ayant pu se sentir discriminé·es de par leur couleur de peau, leur orientation sexuelle ou leur genre, ou ayant été victimes de violences obstétricales ou gynécologiques. Elles contiennent des noms de praticien·nes qui, a priori, ne les discrimineront pas. La LICRA réagit immédiatement à cette liste de Globule Noir et déclenche une polémique(10). Le CNOM, associé au conseil de l’ordre des infirmier·es, condamne alors, en août 2020, Globule Noir « pour pratique de discrimination professionnelle basée sur la couleur de la peau ». Ils publient tous deux un communiqué (11) condamnant « la mise en ligne d’annuaires de professionnels de santé communautaires ». D’autres médecins, notamment le SNJMG, prennent position différemment (12). Le président du syndicat des jeunes médecins généralistes, Benoît Blaes, se dit favorable à la mise en place de listes de praticien·nes racisé·es. « Ce qui pose problème, c’est qu’il y a des patients et des patientes qui se sentent discriminé·es en santé et que ce problème n’est pas réglé par les institutions qui devraient le régler. Toutes les initiatives extérieures qui visent à y répondre, on les défend parce qu’au moins elles proposent d’avancer sur le problème du racisme en santé ».

Là-encore, l’ordre des médecins a eu une réaction corporatiste et paternaliste, niant les propos de certain·es patient·es. Il aurait certainement été plus constructif de chercher à comprendre ce qui a conduit les patient·es à la réalisation de telles listes, et, en tant que « garant de la déontologie médicale », de mener une réflexion pour lutter contre les biais racistes, sexistes, LGBTIphobes qui existent dans le soin, comme dans l'ensemble de la société. (13)

Prise en charge des personnes trans

Concernant la prise en charge des personnes trans, deux affaires (14)(15) relatent des plaintes déposées par des proches de patient·es transgenres, proches opposé·es à leur transition de genre, contre des médecins ayant prescrit des hormonothérapies hors du cadre prévu par la SOFECT (protocole largement décrié par les associations de personnes trans). Dans chacune de ces affaires, l’ordre rend ses décisions sans prendre en compte les patient·es concerné·es, sachant mieux qu'elleux ce qui est bon pour elleux, et à l'encontre des médecins qui les accompagnent. Pire, ces décisions sont jugées transphobes par les associations de patient·es. 

Ainsi, ces différents exemples montrent que le conseil de l’ordre des médecins a souvent pris des positions à la place des principales personnes concernées, considérant qu’en tant que médecins, ils et elles savaient mieux ce qui était souhaitable pour les patient·es, et notamment celles et ceux issu·es de minorités.  Ces prises de positions ne sont pas issues d’une réflexion éthique, qui pourrait d’ailleurs être menée par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) existant en France depuis 1984, et permettant à différentes sensibilités de s’exprimer (sociales, spirituelles ...). Ce sont des positions politiques, basées sur des valeurs morales conservatrices, servant les intérêts d'une profession, alors même qu'elles peuvent être contraires aux données de santé publique (IVG, contraception et TSO ont largement prouvé leurs bénéfices de ce point de vue !). 

Surtout, ces prises de positions politiques conservatrices ne sauraient être représentatives de l’ensemble d’une profession et il est urgent qu’elles soient portées par des instances représentatives de la pluralité des opinions, auxquelles les médecins auront choisi d’adhérer (contrairement à l’ordre auquel iels sont obligé·es de cotiser).

Face aux nombreux dysfonctionnements de l'ordre des médecins, nous réclamons donc sa dissolution mais nous ne réclamons pas une dérégulation complète de l’exercice médical, ce qui serait préjudiciable à la santé publique. Nous demandons en revanche un contrôle plus démocratique et plus juste du pouvoir médical. Il existe déjà des institutions et organismes publics pouvant assurer ces missions, sous réserve de leur donner les moyens humains et financiers à la hauteur. 

Nous appelons  soignant.e.s et habitant.e.s à se joindre à nous pour demander la dissolution de l’ordre des médecins (16) et le transfert des missions ordinales actuelles à des institutions publiques.

(1)  Consentement aux soins et décision partagée. Prescrire. 2012;32(346):568‑70. 

(2)  Jaunait A. Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient. Raisons politiques. 2003;11(3):59‑79.

(3)  Ferrand M. Les médecins face à l’avortement. Sociologie du travail. 1988;30(2):367‑80 

(4)  Hassoun D. Histoire de la légalisation de la contraception et de l’avortement en France [Internet]. Association Nationale des Centres d’IVG et de Contraception. [cité 13 août 2022]. Disponible sur: http://www.avortementancic.net/spip.php?article3

(5) Communiqué du conseil de l’ordre des médecins, 24 janvier 1962, cité par FRIEDMANN Isabelle, Mouvement Français pour le Planning Familial, Liberté, sexualités, féminisme – 50 ans de combat du Planning pour les droits des femmes, La Découverte, Paris, 2006, p. 41.    

(6)  Clause de conscience spécifique à l’IVG [Internet]. Conseil national de l’ordre des médecins. 2020 [cité 13 août 2022]. Disponible sur: https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/clause-conscience-livg

(7)  Thomas M. Projet de loi sur l’IVG : l’Académie de médecine et l’ordre des médecins défavorables [Internet]. Libération. 2020 [cité 13 août 2022]. Disponible sur: https://www.liberation.fr/france/2020/10/12/projet-de-loi-sur-l-ivg-l-academie-de-medecine-et-l-ordre-des-medecins-defavorables_1802116/

(8)  Coppel A. Revue de presse du débat 1992-1994 [Internet]. [cité 13 août 2022]. Disponible sur: http://www.annecoppel.fr/traitements/5-revue-de-presse-du-debat-1992-1994/

(9)  Substitution sur ordonnance Les médecins de ville qui prescrivent des produits opiacés aux toxicomanes doivent le faire dans un cadre précis. Le Monde [Internet]. 1 déc 1993 [cité 13 août 2022]; Disponible sur: https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/12/01/substitution-sur-ordonnance-les-medecins-de-ville-qui-prescrivent-des-produits-opiaces-aux-toxicomanes-doivent-le-faire-dans-un-cadre-precis_3969345_1819218.html

(10)  Ponsay V, Ferret E. Liste de médecins noirs : « Cette liste n’est pas pour diviser les gens (...) juste pour leur donner un choix ». France3-régions [Internet]. 14 août 2020 [cité 13 août 2022]; Disponible sur: https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/grand-paris/liste-medecins-noirs-cette-liste-n-est-pas-diviser-gens-juste-leur-donner-choix-1863052.html

(11)           Ordre des médecins [@ordre_medecins]. L’ordre des médecins et l’ordre des Infirmiers condamnent fermement la constitution d’annuaires de professionnels de santé communautaires. [Internet]. Twitter. 2020 [cité 13 août 2022]. Disponible sur: https://twitter.com/ordre_medecins/status/1293168156568096769/photo/1

(12)           Nous, membres du CRAN et soignant.es du SNJMG, défendrons toujours l’accès pour toutes et tous à des soins de qualité [Internet]. SNJMG. 2020 [cité 13 août 2022]. Disponible sur: http://www.snjmg.org/blog/post/nous-membres-du-cran-et-soignant-es-du-snjmg-defendrons-toujours-l-acces-pour-toutes-et-tous-a-des-soins-de-qualite/1824

(13)           Shema M. Racisme et santé – un déni français [Internet]. Mediapart. 2021 [cité 13 août 2022]. Disponible sur: https://blogs.mediapart.fr/miguel-shema/blog/290321/racisme-et-sante-un-deni-francais

(14)           L’ordre des médecins lance une offensive juridique contre les droits humains ! - Le ReST — Réseau Santé Trans [Internet]. Réseau Santé Trans. 2019 [cité 13 août 2022]. Disponible sur: https://reseausantetrans.fr/2019/06/19/communique-de-presse-lordre-des-medecins-lance-une-offensive-juridique-contre-les-droits-humains/

(15)           Décision transphobe de l’ordre des médecins d’Occitanie [Internet]. SOS Transphobie. 2021 [cité 13 août 2022]. Disponible sur: https://www.sos-transphobie.org/decision-transphobe-de-l-ordre-des-medecins-d-occitanie

(16) Pétition « Dissolution de l’ordre des médecins » : https://www.change.org/p/emmanuel-macron-dissolution-de-l-ordre-des-m%C3%A9decins

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