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Billet de blog 16 septembre 2025

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Le droit international est en route pour Gaza

La Global Sumud Flotilla vient de (re)prendre la mer en direction de Gaza pour ouvrir un corridor humanitaire et mettre fin au génocide. C'est avec elle, sur de relativement frêles bateaux, que se trouve le droit international censé protéger les peuples...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Porté par "l'armée des guerriers moraux" (l'expression est de Francesca Albanese, la Rapporteure spéciale de l'ONU pour les territoires palestiniens occupés), le droit international est en route pour Gaza.

Il est incarné par des dizaines, des centaines de personnes. Certaines célèbres, d'autres pas particulièrement. Toutes déterminées.

J'ai eu la chance d'en rencontrer quelques-unes à Tunis il y a quelques jours. J'étais invitée à participer là-bas à un symposium sur les implications juridiques du siège de Gaza et de la Global Sumud Flotilla en amont du départ des bateaux de Tunisie, initialement prévu pour la première semaine de septembre. Au final, la flottille a (re)pris la mer hier, après avoir essuyé deux attaques successives, les 8 et 9 septembre. Sur le site de la Global Sumud Flotilla, un tracker permet de suivre en direct la progression de tous les bateaux qui sont en route pour Gaza. A l'heure où j'écris, 39 bateaux apparaissent dans le 'Flotilla Tracker', entre la Tunisie et la Sicile.

Illustration 1
Tunis - Inside training center © cph

Pendant ces quelques jours passés à Tunis, je suis allée dans le centre où se rassemblaient des délégations de plus de quarante pays pour préparer le départ : inscriptions, ateliers de préparation à la résistance non-violente en cas d'attaque israélienne, coordination, traduction organisée ou spontanée, échanges à tous les niveaux... La salle était bondée. Dans les rues alentour, mes boucles d'oreilles aux couleurs de la Palestine et le keffieh qui font de moi une marginale lorsque je circule en France, ont permis une reconnaissance immédiate avec des parfaits inconnus venus des quatre coins du monde.

Illustration 2
Tunis - Training center © cph

Il y avait à Tunis quelques "vieux" militants, actifs depuis des décennies, mais surtout beaucoup de jeunes, beaucoup de gens "normaux" qui, tout simplement, ne supportent pas qu'une population composée à moitié d'enfants soit bloquée, bombardée, affamée et torturée sous nos yeux. Des gens qui n'arrivent pas et surtout ne veulent pas oublier ce qui se déroule depuis près de deux ans et qui, pour certains, sont désormais prêts à mettre leur vie en jeu pour que cesse le génocide.

Je pense que nombreux sont ceux qui étaient prêts depuis longtemps mais attendaient impatiemment que le mouvement citoyen global permette enfin une action d'ampleur...

Illustration 3
Tunis - délégations © cph

Cette initiative est à la fois extrêmement complexe et extrêmement simple. Extrêmement complexe car il faut monter de toutes pièces, autofinancer et coordonner une opération maritime entre des personnes de plusieurs dizaines de pays pour contrer une armée d'occupation bénéficiant de solides soutiens et prête à tout pour poursuivre son opération de destruction sans interférences. Dans ce contexte, ni les attaques, ni les délais successifs de la flottille ne sauraient surprendre.

Au-delà de cette logistique complexe, pourtant, les choses sont d'une simplicité extrême : il s'agit d'individus qui, constatant l'échec des États, ont décidé de prendre les choses en main. L'action est une évidence, et aucun obstacle ne saurait l'empêcher.

Le mot d'ordre est très simple, et en anglais, il rime : "When states fail, we sail" (lorsque les Etats échouent, nous prenons la mer).

Au symposium de Tunis (co-organisé par l'Ordre national des avocats de Tunisie, la Global Sumud Flotilla, la Worldwide Lawyers Association - WOLAS et le Gaza Tribunal) s'est imposé un message tout à fait similaire :

Face au siège, au recours à la famine comme arme de guerre (dont le professeur de droit international Luigi Daniele rappelait dans son intervention que son interdiction est l'une des plus anciennes règles du droit de la guerre), face aux exactions, face au génocide, juristes et militants ont constaté tout à la fois l'échec des États à réagir en conformité avec leurs obligations en droit international et l'espoir porté par l'initiative citoyenne Global Sumud Flotilla. Un espoir pour les Palestiniens, mais aussi pour le reste du monde et pour le droit international.

Illustration 4
Tunis - symposium © P.G.

Car "l'armée des guerriers moraux", comme l'a appelée la Rapporteure Spéciale de l'ONU Francesca Albanese, ne s'apitoie pas sur un droit international violé en toute impunité. Devant l'inaction et la complicité, les individus qui composent la Global Sumud Flotilla font plus que dénoncer : ils revendiquent le droit, le portent sur leurs bateaux (je reprends ici l'image de l'une des organisatrices du mouvement l'Allemande Mélanie Schweitzer), exigeant son respect et décidant d'adopter eux-mêmes la pression décentralisée qui s'avère parfois nécessaire pour forcer le respect des normes internationales.

Forte de son droit de passage inoffensif et de libre accès aux eaux territoriales palestiniennes et côtes souveraines de Gaza, la flottille globale citoyenne a pour principal objectif de briser le siège de Gaza -illégal à plus d'un titre comme l'ont rappelé les intervenants du symposium - et d'ouvrir un "couloir" ou "corridor" humanitaire.

Contrairement à ce que certains parlementaires français avaient cru bon de déclarer lors de l'envoi de la Madleen, il n'y a rien d'irresponsable à prendre la mer à destination de Gaza dans un bateau rempli de produits de première nécessité alors que le chiffre des personnes mortes de faim augmente quotidiennement (hier, nous en étions à 425 personnes dont 145 enfants) et alors que depuis octobre 2023, d'après le décompte officiel assurément très en deçà des chiffres réels, près de 20 000 enfants ont été tués par les forces israéliennes à Gaza. Tenter de rejoindre Gaza dans un tel contexte est l'une des choses les plus responsables qui soit. Refuser le contrôle et la destruction du territoire et de ses habitants - petits et grands - par les Israéliens n'est pas seulement responsable, il s'agit d'une obligation juridique pour les acteurs internationaux. Ce qui est désolant, c'est que des individus en soient amenés à porter une telle responsabilité en lieu et place d'États qui manquent aux leurs.

A l'heure où les représentants politiques français s'efforcent de peser pour une reconnaissance d'un État palestinien diminué, démilitarisé qui passe sous silence des décennies de violations du droit international par Israël et le génocide en cours (voir à ce sujet l'excellent article de Raphaelle Maison dans Orient XXI et les non moins excellents billets de Muzna Shihabi ), c'est en Méditerranée, sur de relativement frêles bateaux que se trouve le droit international censé protéger les peuples...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.