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Billet de blog 25 septembre 2025

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Global Sumud Flotilla : l'heure de vérité

La Global Sumud Flotilla a été à nouveau la cible d'attaques israéliennes dans la nuit de mardi à mercredi, dans les eaux internationales. Cette initiative pacifique de citoyens du monde prouve qu'il est possible d'agir face au génocide, même en tant qu'individu. Elle souligne par là-même que l'inaction et/ou la complicité des États est un choix.

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Alors que voguent en Mer Méditerranée des dizaines de bateaux en direction de Gaza - une initiative de citoyens du monde qui font, en dépit de leurs moyens limités, ce que les États et organisations inter-gouvernementales auraient dû entreprendre depuis des années - un choix se pose à nouveau pour toutes celles et ceux qui ne sont pas à bord.

Ce choix se pose tout particulièrement aux responsables politiques, quel que soit leur mandat, mais il se pose aussi à chacun.e de nous, connu.e ou pas, très au fait de la politique et du droit international ou pas. Et ce choix se pose d'une manière plus claire que jamais pour plusieurs raisons:

- D'abord, car après plus de deux ans, personne ne peut plus ignorer l'ampleur de la violence qui cible les Palestiniens chaque jour depuis le 7 octobre 2023 et le fait qu'il ne peut s'agir de "légitime défense". A titre d'exemple, hier, mercredi 24 septembre, le décompte officiel annonçait en fin d'après-midi que plus de 80 Palestiniens avaient été tués à Gaza depuis l'aube. En moins de deux ans, selon les registres officiels dont nous savons qu'ils sont sous-estimés, ce sont près de 20 000 enfants qui ont été tués. Ce chiffre-là devrait suffire à questionner tout-un-chacun de manière très très profonde.

(A moins, évidemment, que l'on ne pense que la légitime défense peut justifier de massacrer jour après jour hommes, femmes et enfants quasiment sans défense et pris au piège dans un tout petit territoire, mais alors cela n'a strictement rien à voir avec ce que le concept signifie en droit international public. Voir l'article 51 de la Charte de l'ONU et le droit international coutumier) ;

- Ensuite, car désormais la quasi-totalité des juristes en droit international, experts en la matière et organisations internationales ont reconnu, les uns après les autres, que ce que les Israéliens infligent aux Palestiniens à Gaza est un génocide (voir notamment le rapport d'Amnesty International de l'année dernière ici ou dernièrement, le rapport de l'ONU ).

(Il convient de plus de rappeler que certains organes onusiens - la Cour Internationale de Justice et l'Assemblée Générale - ont fonctionné l'année dernière pour rappeler l'illégalité de l'occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie et que le délai qui avait été donné aux Israéliens pour se retirer de ces terres - un an - vient de s'écouler) ;

- Enfin, car à défaut des États, des individus du monde entier ont finalement réussi à organiser une flottille de plusieurs dizaines de bateaux qui est EN TRAIN DE FAIRE enfin ce que le droit (en plus de la morale et du bon sens) nous dicte à l'unisson : briser le blocus de Gaza et soustraire les Palestiniens à la violence génocidaire que leur infligent les Israéliens. En dépit de ses moyens limités et de sa vulnérabilité, la flottille prouve qu'agir face au génocide est non seulement possible mais également, d'une certaine manière, très simple. Et c'est en cela que cette initiative nous place désormais, comme à nul autre moment, face à un choix.

A toutes celles et ceux, notamment, qui se disent depuis le début qu'il.elle.s n'y peuvent rien, le moment de vérité est venu car il n'y a plus aucune place pour le doute face à l'horreur qui se déroule depuis près de deux ans et car la possibilité réelle d'y mettre fin n'a jamais été aussi concrète et atteignable. Jamais les interpellations de représentants, manifestations, pétitions et actions diverses n'ont été aussi susceptibles d'aboutir à un changement véritable, à une action internationale obligeant les Israéliens à cesser les exactions que leur supériorité militaire et leurs si nombreux soutiens leur ont jusqu'à présent permis d'orchestrer jour après jour.

La cinquantaine de bateaux de la flottille, armées de produits de première nécessité et surtout, d'un sens des responsabilités face à l'échec des États, montre la voie sans aucun des attributs généralement associés au pouvoir. Leur mission, cependant, est un pari. Le pari que d'autres, nombreux, sauront les soutenir à distance et que les États finiront par leur apporter la protection dont eux seuls ont les moyens.  

Dans la journée de mercredi, l'Italie a condamné les attaques israéliennes et envoyé une frégate militaire de soutien à la flottille (cela après deux journées de mobilisation populaire italienne massive contre le génocide), suivie quelques heures plus tard de l'Espagne. Aujourd'hui, il était question d'un deuxième navire italien. Pendant ce temps, à New York où se déroule la grande messe annuelle des chef.fe.s d'Etat réuni.e.s à l'Assemblée Générale des Nations Unies, la question du génocide est omniprésente et le président colombien Gustavo Petro a, lui aussi, évoqué la nécessité de recourir à la force armée face à la violence israélienne. De nombreux juristes ont exprimé une telle demande au cours des derniers mois. 

Il convient d'interpeller les représentants du plus grand nombre d'États, notamment la France, pour qu'ils soutiennent l'initiative citoyenne destinée à mettre fin au blocus. Concrètement, il s'agit d'envoyer des navires militaires pour protéger les militants du droit contre les attaques israéliennes et leur permettre d'atteindre Gaza afin d'ouvrir un corridor humanitaire, car c'est de cela qu'il s'agit.

Une telle intervention des États n'est pas seulement autorisée par le droit international puisqu'il s'agit d'assurer l'accès de bateaux chargés d'aide humanitaire à un territoire illégalement occupé et soumis à un blocus - ce qui revient à protéger les navires contre des actes de piraterie. Une intervention des États pour permettre à la flottille d'accoster à Gaza et d'ouvrir un corridor humanitaire est requise par le droit international puisque le blocus de Gaza est l'un des principaux ressorts du génocide en cours dans le territoire contre lequel la communauté internationale a l'obligation d'agir.

Il faut être bien clair : rien de ce qui se passera dans les jours et semaines à venir ne pourra jamais effacer la monstruosité de ce qui s'est déroulé et de ce qui continue de se dérouler à Gaza sous les yeux du monde. Les enfants calcinés ne reviendront pas à la vie, les amputés ne retrouveront pas leurs membres, les orphelins ne retrouveront jamais leurs parents, rien ne pourra jamais panser les plaies béantes dans les cœurs et les esprits, et le monde paiera quoi qu'il advienne le prix de l'inaction et de la complicité.

Nous autres porterons aussi quoi qu'il arrive, à des degrés divers, le poids de notre conscience, et ce d'une manière d'autant plus vive que le débat public lèvera progressivement le voile sur ce que de si nombreux médias auront cherché à enfouir sous prétexte de l'absence de journalistes étrangers ou d'un "équilibre" à maintenir entre victimes et bourreaux.

Mais si la flottille permet notre réveil collectif, si la multiplication des actions et l'intensification des pressions amènent les États à soutenir et assister l'opération - à défaut d'avoir su l'initier -, alors nous cesserons de continuer à creuser ce gouffre infernal dans lequel se consument les corps et les vies des Palestiniens et, avec eux, le cœur de l'édifice normatif (imparfait mais fondamental) hérité de deux guerres mondiales.

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PS: Pour celles et ceux qui ne sauraient pas trop par où commencer, je vous mets ci-dessous quelques suggestions d'actions :

- Se tenir informé via les sites et réseaux de la "Global Sumud Flotilla" ou de sa branche française "Global Waves of Freedom" (le site n'est pas très actualisé, cependant, et c'est sur réseaux, instagram etc, que l'on aura les dernières infos). On peut notamment suivre les bateaux de la flottille en temps réel. Le Middle East Eye suit également de près la flottille.

- Participer aux manifestations et autres actions organisées localement. Soyez à l'affut, ce week-end sera décisif.

- Parler du génocide autour de soi. Non, ce qui se déroule n'est pas normal et ce n'est aucunement une fatalité. 

- Interpeller nos représentants pour leur demander de protéger la flottille et ses membres et d'user de tous les moyens à leur disposition (politiques, économiques ou militaires) pour assurer la protection de l'initiative ainsi que son accès aux côtes souveraines palestiniennes de Gaza occupées illégalement par les Israéliens.

Le site de la Global Sumud Flotilla permet, en quelques clics, d'envoyer un message préparé à toute une liste de représentants de différents États. Le formulaire est en anglais, mais pas besoin d'avoir un niveau de langue extraordinaire pour le remplir : https://globalsumudflotilla.org/contact-officials/#map

Si on a un peu plus de temps, en tant que résidents/citoyens français, on peut interpeller :

-Emmanuel Macron, ici ou par mail : emmanuel.macron@elysee.fr.

-Sébastien Lecornu, ici.

-Affaires étrangères : on peut écrire un mail d'alerte à :  alertes.cdc@diplomatie.gouv.fr.

Et à l'heure actuelle, on peut également écrire à:  jeannoel.barrot@diplomatie.gouv.fr, t.peyroux@diplomatie.gouv.fr, c.deprez@diplomatie.gouv.fr

-On peut également contacter les parlementaires de sa circonscription. Pour les députés, on peut chercher les contacts via le site de l'Assemblée Nationale (Et si vous souhaitez identifier les député.e.s qui font partie de la Commission des affaires étrangères, vous pouvez cliquer ici). Plus qu'un simple mail, on peut également solliciter un rendez-vous.

-Quant au Sénat, on peut très facilement identifier les sénateur.trice.s de son département en cliquant via le site ici.

-Et du côté du parlement européen, voici le lien pour identifier votre député.e.

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Je vous propose à toutes fins utiles un court texte qui peut (ou pas) servir d'inspiration pour ces interpellations :

Madame, Monsieur,

En Mer Méditerranée voguent actuellement des dizaines de bateaux en direction de Gaza au sein de la Global Sumud Flotilla. Il s'agit d'une initiative de citoyens du monde qui font, en dépit de leurs moyens limités, ce que les États et organisations inter-gouvernementales auraient dû entreprendre depuis des années face au siège illégal de Gaza.

Le blocus de Gaza étant l'un des principaux rouages du génocide orchestré par les Israéliens à Gaza depuis près de deux ans, le briser est l'un des principaux moyens permettant de mettre fin au génocide.

Je vous demande donc d'agir conformément aux obligations internationales de la France face au génocide désormais constaté par l'écrasante majorité des juristes internationaux. A l'heure actuelle, cela implique de rejoindre l'Italie et l'Espagne qui ont envoyé des navires militaires afin d'assurer la protection de la Global Sumud Flotilla face aux attaques israéliennes répétées. Cela implique au-delà de rejoindre l'initiative portée par ces individus courageux qui, face à l'inertie et à la complicité de la plupart de nos représentants officiels, ont décidé d'agir pour ouvrir un corridor humanitaire et mettre fin au siège et à l'occupation israélienne de Gaza.

Une telle intervention des États n'est pas seulement autorisée par le droit international (puisqu'il s'agit d'assurer l'accès de bateaux chargés d'aide humanitaire à un territoire illégalement occupé et soumis à un blocus - ce qui revient à protéger les navires contre des actes de piraterie). Une intervention des États pour permettre à la flottille d'accoster à Gaza et d'ouvrir un corridor humanitaire est requise par le droit international puisque le blocus de Gaza est l'un des principaux ressorts du génocide en cours dans le territoire contre lequel la communauté internationale a l'obligation d'agir.

Il faut être bien clair : rien de ce qui se passera dans les jours et semaines à venir ne pourra jamais effacer la monstruosité de ce qui s'est déroulé et de ce qui continue de se dérouler à Gaza sous les yeux du monde. Les enfants calcinés ne reviendront pas à la vie, les amputés ne retrouveront pas leurs membres, les orphelins ne retrouveront jamais leurs parents, rien ne pourra jamais panser les plaies béantes dans les cœurs et les esprits, et le monde paiera quoi qu'il advienne le prix de l'inaction et de la complicité.

Nous autres porterons aussi quoi qu'il arrive, à des degrés divers, le poids de notre conscience, et ce d'une manière d'autant plus vive que le débat public lèvera progressivement le voile sur ce que de si nombreux médias auront cherché à enfouir sous prétexte de l'absence de journalistes étrangers ou d'un "équilibre" à maintenir entre victimes et bourreaux.

Mais si la flottille permet notre réveil collectif, si les États finissent par soutenir et assister l'opération - à défaut d'avoir su l'initier -, alors nous cesserons de continuer à creuser ce gouffre infernal dans lequel se consument les corps et les vies des Palestiniens et, avec eux, le cœur de l'édifice normatif (imparfait mais fondamental) hérité de deux guerres mondiales.

Je compte sur vous.

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PPS: Malgré le ton encourageant de mon billet, il s'agit ici d'une lutte de longue haleine. Toute action doit être répétée autant de fois que cela s'avèrera nécessaire pour aboutir. Pour les interpellations, je suggère au moins un message par semaine... 

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