Ces dernières semaines, j'ai revu les films Hungergames avec l'un de mes enfants. Difficile de ne pas voir les parallèles entre cette histoire d'oppression, de violence et de révolte et ce qui se déroule en Palestine/Israël depuis des mois, même des années.
L'ouverture des Jeux olympiques à Paris renforce un peu plus le lien. Alors que paradaient vendredi soir les équipes sur leurs bateaux respectifs devant un public admiratif, les Jeux de la faim et de la terreur continuaient à Gaza. Alors que nous regardions une cérémonie orchestrée à grands frais en une belle soirée d'été, une population essentiellement civile continuait de survivre - ou de mourir pour nombre d'entre eux - dans la terreur.
L'équipe olympique palestinienne est bien représentative de cette situation, car elle est réduite du fait notamment des entraineurs et athlètes tués au cours des derniers mois. Moindre mal, certains athlètes n'ont pu s'entrainer. Ils et elles sont là malgré tout, et représentent leur pays martyrisé à grand renfort de broderies sur leurs chemises et sur leurs robes. Voilà à quoi ressemble la résistance des sportifs face à l'oppression : du fil sur des tissus, de la détermination et de la sueur face à la puissance militaire. Face à eux, malgré les suspicions terribles qui pèsent sur l'État israélien - la Cour Internationale de Justice a reconnu le risque plausible de génocide et demandé aux autorités israéliennes de cesser leur strangulation de la bande de Gaza et leurs attaques -, une équipe israélienne bien entraînée, sous haute protection (peu importe que le porteur de la flamme olympique ait diffusé des photos de lui dédicaçant une bombe à destination de l'enclave avec le message "From me to you with pleasure") et autorisée à porter bien haut les couleurs nationales, comme si de rien n'était. Et le débat en France semble condamné à tourner en boucle, associant ad nauseam chaque critique de l'État suspecté de génocide à de l'antisémitisme.
Les nouvelles familiales se recoupent une fois encore avec l'actualité car au milieu des (dizaines de ?) milliers de personnes déplacées une fois de plus par des attaques ce week-end se trouvent les cousins de mes enfants. Ils ont, une fois de plus, tout quitté - ils vivaient déjà sous la tente après la destruction de leur appartement, ce qui est le lot de l'écrasante majorité des habitants de Gaza - sous les bombes et les balles. Une partie d'entre eux en sont à leur quatrième déplacement, et ils sont chanceux car, habitants de Rafah, ils ont pu rester dans leur appartement relativement longtemps. Ils sont chanceux car aucun des membres de leur famille nucléaire n'est à l'heure actuelle mort ou gravement blessé. Ils sont chanceux car aucun d'entre eux n'a été kidnappé et détenu par l'armée israélienne dans des zones de non-droit dans lesquelles on pratique mauvais traitements et torture.
Ils sont donc, objectivement, chanceux vu le contexte, et pourtant ils n'ont à l'heure actuelle plus rien : plus de vêtements, rien à manger, rien à boire, plus de lieu de refuge. Ils sont à la rue dans une zone dont ils ne peuvent sortir. Ils sont à la rue dans une zone soumise aux bombardements et attaques armées sans aucun égard pour les populations civiles, dans le mépris le plus total des règles les plus basiques du droit international humanitaire. Ils sont à la rue dans une zone dans laquelle les hôpitaux, les écoles, les habitations, les usines... tout ce qui permet la vie, même la survie, a été systématiquement détruit par un État puissant qui dit lutter pour se défendre. Un État puissant gouverné par un pouvoir d'extrême droite qui a dit haut et fort depuis le début qu'il n'y avait pas d'innocents à Gaza et qui, depuis, agit en conséquence. Qui s'est convaincu que toute la population palestinienne devait payer pour l'attaque du 7 octobre (ou est-ce pour leur résilience à exister sur une terre tant convoitée?). Que ces gens ne sont pas comme eux, qu'on peut les tuer. Et c'est bien ce qui se passe depuis plus de neuf mois : il s'agit de l'acte de tuer et de faire du mal à autrui, quel qu'il soit, sans défense, et même les plus petits et les plus faibles, parce qu'on le peut, parce que les directives militaires l'autorisent et l'encouragent, parce que ces vies ne semblent plus avoir aucune valeur.
De manière extraordinaire pourtant, beaucoup de nos représentants politiques et beaucoup de gens semblent trouver tout cela normal, ou logique. Je lis Hannah Arendt pour essayer de mieux comprendre ce qu'elle a appelé la banalité du mal. Je ne sais pas si ça me rassure.
Les cousins de mes enfants sont des gens comme vous et moi. Avant le 7 octobre, leur vie était déjà compliquée : ils vivaient depuis plus d'une décennie dans une grande prison à ciel ouvert dans laquelle toute activité économique avait déjà été rendue quasi impossible. Depuis le 7 octobre, ils vivent dans l'endroit le plus dangereux du monde. Ils sont les victimes d'une violence débridée qui ne semble connaitre aucune limite. Et malgré nos efforts, la pression extérieure nécessaire à ce que cela cesse est, clairement, insuffisante.
Je pense aux membres de ma belle-famille là-bas, et j'ai honte d'avoir passé deux semaines à nettoyer et ranger la maison ici, me délestant des choses accumulées au cours des années, alors qu'ils essaient péniblement de récupérer l'indispensable à la vie dans les tentes qui les abritèrent un temps, en esquivant les balles, au péril de leur vie.
Je ne sais plus comment vivre dans un coin paisible et tranquille au milieu d'une société qui, dans l'ensemble, regarde ailleurs et d'un Etat qui combat si hargneusement tous ceux qui protestent contre cette violence pourtant si clairement documentée et dénoncée par les plus hautes instances internationales.
Et j'ai vraiment du mal à m'intéresser aux Jeux olympiques même si je sais que dans l'arène des jeux, les athlètes palestiniens mènent une lutte symbolique qui compte pour leur survie, et même si les marques de solidarité ont été nombreuses. Je n'arrête pas de penser qu'aux prochains JO, c'est aux jeux paralympiques que la Palestine enverra selon toute vraisemblance la plus grosse délégation, et que cela est le fruit d'une stratégie pensée et appliquée par un État que nos représentants continuent d'accueillir et de soutenir.
Pourtant, selon les chiffres officiels, plus de 39 000 personnes ont été tuées en moins de dix mois. Des civils dans leur écrasante majorité, pris au piège dans un territoire qu'ils ne peuvent fuir. Une étude du Lancet prévient que les chiffres réels pourraient bien être largement supérieurs, et avoisiner voire dépasser les 186 000 morts. 186 000 morts. Evidemment, rappelons avec ces chiffres que l'horreur, c'est pour ceux qui survivent derrière, tout particulièrement pour les plus de 90 000 blessés (beaucoup beaucoup d'enfants) alors que les hôpitaux ont été systématiquement détruits.
Le droit international est clair, les organisations et les cours internationales font leur travail, les athlètes aussi avec leur sueur et leurs broderies, et nous avec nos keffiehs et nos pancartes, mais sans le respect et la pression des États, normes et jugements resteront lettre morte et les jeux de la faim et de la terreur se poursuivront dans l'arène qu'est Gaza.
Mais que faut-il pour réveiller l'humanité des responsables politiques qui ne veulent pas ouvrir les yeux? De l'autre côté de la Méditerrannée, un peuple tout entier - et nous avec eux - aimerait tant pouvoir se dire qu'il s'agit d'un cauchemar dont on va se réveiller.